Cette recherche aborde les enjeux et les défis linguistiques majeurs qui affectent l’enseignement supérieur (ES) en RDC. Langue des élites, symbole de pouvoir et de promotion sociale depuis l’époque coloniale, le français est la seule langue officielle de l'ES et celle de l’administration du système éducatif. Mais son usage engendre aujourd’hui un paradoxe majeur dans la mesure où il est peu maîtrisé par une grande partie de la population. Les langues nationales (LN) (lingala, kikongo, tshiluba et swahili) jouent un rôle central dans la communication quotidienne mais sont absentes à l’ES. Parallèlement, un débat sur l’intégration du bi(ou multi)linguisme anime l'Afrique, notamment la possibilité d’introduire les langues locales dans le système éducatif formel (Niang Camara, 2014; Racine Senghor, 2003); l'élément central de ce débat, qui en outre s’inscrit dans une réflexion plus large sur la valorisation des langues africaines, la décolonisation du savoir et la construction d’un modèle éducatif mieux ancré dans les réalités socioculturelles locales, veut que l’usage exclusif d’une langue étrangère, souvent héritée de la colonisation, constitue un frein à l’apprentissage. Ainsi, l’adoption des LN pourrait favoriser une meilleure compréhension des contenus pédagogiques, renforcer l’inclusion et réduire les inégalités. Mais cette question soulève également des défis majeurs, notamment en matière d’harmonisation dans un contexte où certains pays comptent des centaines de langues et de dialectes. L’absence de normes académiques stabilisées pour plusieurs idiomes, le manque de ressources pédagogiques adaptées et ainsi que la formation insuffisante des enseignants au multilinguisme en classe constituent autant d’obstacles à la mise en place de telles politiques linguistiques.
L’objectif principal de cette recherche est d’évaluer l’impact du déficit communicationnel en français, à l’oral comme à l’écrit, sur la performance académique des étudiants et la qualité de l’ES. Elle vise également à identifier des pistes d’amélioration pour renforcer les compétences linguistiques et optimiser la transmission du savoir.
Adoptant une démarche méthodologique essentiellement qualitative, nous avons formulé l’hypothèse que l’analyse des témoignages d’un échantillon de professeurs permettrait de mieux cerner leur perception des défis linguistiques dans l’ES. Pour ce faire, nous avons opté pour un échantillon non représentatif composé de 20 professeurs issus de trois facultés de l’U. de Kinshasa : sciences sociales, psychologie et sciences de l’éducation et droit. Ces données seront recueillies au moyen d’entretiens semi-directifs, une méthode privilégiée pour sa capacité à favoriser une interaction dynamique entre l’enquêteur et les répondants (Savoie-Zajc, 2019). Ces témoignages seront ensuite ont été confrontées à une revue de la littérature ancienne et contemporaine sur la question. Dans l’analyse des résultats, l’approche systémique est privilégiée, car l’étude des politiques publiques en matière de langue d’enseignement et de leur impact sur la qualité de l’ES requiert une vision globale permettant d’appréhender toute la complexité du phénomène.
Nos premiers constats sont à l'effet que les universités congolaises rencontrent des problèmes sérieux liés à la maîtrise du français, et ce, aussi bien chez les étudiants que chez les enseignants. Bien que la majorité des étudiants aient suivi un parcours en français, beaucoup éprouvent des difficultés à s’exprimer avec aisance, tant à l’oral qu’à l’écrit. Ce phénomène, que l’on pourrait nommer semi-francisation, se traduit par un usage approximatif du français. Quant aux enseignants, bien qu’experts dans leur discipline, ils font face à des défis similaires : certains peinent à transmettre leurs connaissances dans un français approprié et accessible aux étudiants, ce qui peut nuire à l’efficacité de la communication pédagogique; aussi certains recourent-ils aux LN afin d’expliquer certains concepts, introduisant ainsi des difficultés supplémentaires.
En adoptant le système Licence-Master-Doctorat (LMD) de manière effective en 2022, la RDC s’est engagée dans un processus de mondialisation et d’internationalisation de l’ES. Ce choix visait à harmoniser le système éducatif congolais avec les normes internationales afin de faciliter la mobilité, la reconnaissance des diplômes et l’amélioration de la qualité de la formation. Toutefois, la mise en œuvre effective du système LMD requiert une maîtrise rigoureuse du français. Or, les lacunes observées compromettent non seulement la transmission des savoirs, mais aussi l’intégration du pays dans l’espace académique francophone et mondial.