Selon que cette guerre commerciale soit temporaire ou qu’elle s’avère un tournant permanent s’inscrivant dans une nouvelle aire protectionniste, l’État devra structurer son intervention différemment.
L’incertitude économique découlant de la guerre commerciale du président Trump amène certains à faire un parallèle avec la pandémie de COVID-19, dont on souligne le cinquième anniversaire. Comment aider nos entreprises et leurs travailleurs à passer à travers la crise?
Certes, l’État doit les accompagner pour qu’ils s’adaptent à cette nouvelle réalité, mais le parallèle avec la pandémie s’arrête à peu près là, après avoir noté cependant que le commerce international, comme l’assurance-emploi, relève des compétences constitutionnelles du gouvernement fédéral. Sur cette base, la responsabilité d’agir, et les coûts y afférents incombent davantage à ce dernier.
Si, lors de la pandémie, il était possible d’anticiper que la mise sur pause de l’économie serait relativement de courte durée, aujourd’hui, dans le cas d’une guerre commerciale, personne ne peut anticiper la durée. On sait toutefois qu’il y aura rapidement des impacts négatifs significatifs sur l’activité économique et sur l’emploi dans plusieurs secteurs.
Ainsi, selon que cette guerre commerciale soit temporaire ou qu’elle s’avère un tournant permanent s’inscrivant dans une nouvelle aire protectionniste, l’État devra structurer son intervention différemment.
Comment accompagner les agents économiques?
Cela dit, tant le gouvernement fédéral que celui du Québec voudront réagir en mettant en place un plan d’interventions. Chacun d’eux devra prioriser les actions économiques visant à protéger et à adapter la capacité de production des entreprises. Rappelons que le soutien de revenu en cas de pertes d’emploi relève du gouvernement fédéral. Si le gouvernement du Québec veut agir en lien avec les pertes d’emploi, il doit cibler la réallocation de la main-d’œuvre par le biais de la formation. En outre, il faut cibler les actions offrant un maximum d’effet par dollar et éviter de se disperser.
Bien sûr, des actions pour réduire notre dépendance aux exportations vers les États-Unis seront utiles, mais profitons des prochains paragraphes pour mettre de l’avant la contribution potentielle à l’économie d’une révision de la fiscalité.
Réformer l’imposition des sociétés
Certains impôts sont plus dommageables que d’autres pour l’économie, un constat maintes fois exposé, notamment par des organisations internationales comme l’OCDE. L’impôt sur le bénéfice des sociétés et celui sur le revenu des particuliers sont reconnus comme les plus dommageables. Or, le Canada, et a fortiori le Québec, se distingue par une surutilisation de ces deux modes d’imposition (5e et 6e plus forte utilisation de ces modes pour le Canada parmi 31 économies avancées).
Si le contexte budgétaire actuel rend la réduction du poids de la fiscalité difficile, il reste néanmoins possible de réaménager notre manière de collecter les recettes fiscales en réduisant le poids des impôts plus dommageables.
Rappelons d’abord que la forte réduction du taux statutaire d’imposition fédéral sur le bénéfice des sociétés, durant le premier mandat de Trump, a éliminé l’avantage fiscal dont jouissaient les sociétés canadiennes jusque-là. En 2018, cette réduction a permis de faire passer le taux d’imposition américain (fédéral-État combiné) de 38,9% en moyenne à 25,8%. Depuis, ce taux se maintient, se situant à 25,6% en 20241. Pendant ce temps, le taux combiné fédéral-Québec a peu diminué, passant de 26,8% à 26,5%. L’écart favorable de 12,1 points en 2017 est devenu un écart défavorable de 0,9 point en 20242. Au-delà du taux statutaire, le taux effectif d’imposition (impôt total payé divisé par le revenu brut des sociétés) apparait aussi plus faible aux États-Unis.
L’histoire rappelle que le Canada a déjà réagi à des changements de fiscalité américaine. Par exemple, sous le président Reagan, le taux d’imposition des sociétés a été progressivement réduit au Canada à partir de 1986, réduction financée par l’élimination de plusieurs mesures fiscales préférentielles.
L’OCDE a maintes fois suggéré au Canada d’abaisser son taux général d’imposition en rationalisant les avantages fiscaux afin de limiter les distorsions affectant négativement la croissance3. Au Québec, cette perspective a aussi été suggérée en 2008, par le Groupe de travail sur l’investissement des entreprises et en 2015, par la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise. Tous deux recommandaient une réduction du taux d’imposition des sociétés à 10%.
En 2025, le fédéral et le Québec auraient tout intérêt à le faire. D’autant que c’est possible sans aggraver la situation budgétaire, en resserrant toutefois le coût des mesures fiscales offertes aux sociétés. Il existe un certain espace à cet égard, sachant qu’en proportion du PIB, leur poids est trois fois plus important au Québec qu’en Ontario. Des questions à se poser ici : Nos mesures fiscales sont-elles efficaces? Doit-on privilégier celles contribuant à la compétitivité des entreprises?
Réformer l’imposition des particuliers
L’interaction des régimes d’imposition du revenu des particuliers fait en sorte qu’il existe un enjeu d’incitation au travail. Dans certaines zones de revenu, le gain financier pour un effort de travail additionnel est faible. Il est possible de s’y attaquer. Simultanément, on pourrait réduire notre dépendance à l’impôt sur le revenu. Pour combler les recettes, il suffirait alors de recourir davantage à un mode d’imposition moins dommageable pour l’économie tout en s’assurant d’une redistribution équitable de la richesse collective par le maintien d’un soutien adéquat pour les plus démunis. À cet égard, l’option la plus traditionnelle serait de rééquilibrer le dosage avec les taxes à la consommation, incluant l’écofiscalité.
Mieux tarifer l’hydro-électricité
Parallèlement, le Québec doit aussi réfléchir à la tarification de l’hydro-électricité, sachant qu’il recourt aux tarifs les plus faibles4. En 2024, le 8,05 cents le kWh à Montréal se compare avantageusement bien au coût dans les grandes villes canadiennes. Le kWh est 1,3 fois plus cher à Winnipeg jusqu’à 3,0 fois plus cher à Edmonton. L’écart est encore plus prononcé avec les grandes villes américaines où on observe un coût 5,9 fois plus cher à Boston, 7,2 fois à New York et 7,5 fois à San Francisco! Québec pourrait envisager de hausser de quelques sous les kW/h du bloc patrimonial sur un certain nombre d’années.
Une tarification accrue sur la surconsommation résidentielle devrait également être envisagée. Il y a déjà deux tarifs résidentiels, un plus bas sur les 40 premiers kW/h d’énergie quotidiens et un autre plus élevé sur l’excédent. La tarification d’hydro-électricité pourrait être plus progressive, en ajoutant un 3e tarif au-delà d’un certain seuil qui pourrait même varier selon les saisons ou autres paramètres, la technologie rendant cela possible.
Considérant les consultations en cours sur l’avenir énergétique, la nouvelle entente avec Terre-Neuve-et-Labrador pérennisant à long terme l’accès à l’électricité de Churchill Falls tout en revisitant l’achat immédiat à bas coût d’un bloc important d’électricité, et même tenant compte des interactions avec la péréquation, le moment est propice pour réfléchir à l’opportunité de mieux tarifer notre hydro-électricité.
Un double dividende apparait envisageable pour la société québécoise; d’abord mieux utiliser cette précieuse ressource tout en réduisant la pression sur l’évolution future de la demande d’électricité, puis mieux financer le panier de services québécois tout en offrant une fiscalité plus concurrentielle.
La guerre commerciale représente un défi économique important pour le Canada et le Québec, mais aussi une opportunité de changement. Profitons de l’occasion pour repenser notre fiscalité, un outil puissant de développement économique.
La guerre commerciale représente un défi économique important pour le Canada et le Québec, mais aussi une opportunité de changement. Profitons de l’occasion pour repenser notre fiscalité, un outil puissant de développement économique.
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Le président Trump a aussi promis une réduction du taux d’imposition pour le secteur manufacturier, ce qui donnerait un taux d’imposition américain sous 20%.
- 2
https://www.oecd.org/en/publications/corporate-tax-statistics-2024_9c27d6e8-en.html
- 3
OCDE, Réformes économiques 2019 – Objectif croissance, Éditions OCDE, Paris.
- 4
Prix moyens avant taxe à la clientèle résidentielle pour une consommation mensuelle de 1 000 kWh. Tarifs en vigueur le 1er avril 2024. Hydro-Québec (2024). Comparaison des prix de l’électricité dans les grandes villes nord-américaines. https://www.hydroquebec.com/data/documents-donnees/pdf/comparaison-prix-electricite-2024.pdf
- Luc Godbout
Université de Sherbrooke
Luc Godbout, détenteur d’une maîtrise en fiscalité et d’un doctorat en droit public, est professeur titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise en 2014-2015. Il a plusieurs fois été sollicité pour agir à tire d’expert notamment dans divers comités gouvernementaux et pour le FMI. M. Godbout a plus de 400 publications à son actif et a organisé ou participé à plus de 250 conférences. On peut également le voir régulièrement intervenir dans les médias pour ce qui touche aux divers aspects de la fiscalité et des finances publiques.
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