Sous certains aspects, l'histoire de l'élaboration de la série Curieuses histoires de plantes du Canada débute au Collège de Lévis durant la décennie 1960. Deux étudiants participent à diverses activités du Club de sciences naturelles en appréciant tout particulièrement l'étude des plantes et des oiseaux. Ils ont aussi l'occasion de bénéficier de stages d'été « sur le terrain » au Camp des Jeunes Explorateurs, une organisation mise sur pied, dès 1955, par le clerc de Saint-Viateur, Léo Brassard, connue sous l'appellation « Jeunes Explos ». Ils s'y retrouvent entre forêt et rivière au Cap Jaseux, près de Saint-Fulgence, sur les bords du Saguenay, là où ont lieu ces stages durant cette décennie.
Les premiers travaux
En parcourant le rapport annuel de 1970 des Jeunes Explos, on retrouve le document no.70-4 intitulé Itinéraires botaniques qui présente la « liste des plantes supérieures identifiées le long de quelques sentiers, domaine des Jeunes Explos (Cap Jaseux) en août 1970 ». Cet inventaire résulte d'observations réalisées par Richard Cayouette, agronome-botaniste qui, dès cette époque, s'intéresse à la flore du Saguenay. Il est accompagné pour cette opération par Gérard Drainville, prêtre et biologiste, Alain Asselin, étudiant, Jacques Cayouette, son fils, et Samuel Brisson.
Deux ans plus tard, Alain Asselin publie son premier article dans une revue scientifique avec comité de lecture : « Études sur la flore du Saguenay V. Présence du Salix vestita à la rivière Shipshaw », dans Le Naturaliste Canadien, 99 : 231-232. Richard Cayouette et Jacques Cayouette signent aussi, comme premiers auteurs, cet article qui traite de la présence d'une espèce de saule pubescent à la rivière Shipshaw. Alain Asselin est alors, depuis 1971, un étudiant de premier cycle en agrobiologie à l'Université Laval, après l'obtention d'un baccalauréat en philosophie de cette même institution.
Puis, pendant quelques décennies, les « itinéraires botaniques » d'Alain Asselin et de Jacques Cayouette prendront des embranchements différents, mais toujours dans le vaste univers du végétal.
Après sa licence en théologie, Jacques Cayouette poursuit sa formation graduée en botanique jusqu'à l'obtention d'un doctorat en 1984 portant le titre : « Étude chromosomique des Carex maritimes des sections Cryptocarpae et Phacocystis et de certains de leurs hybrides naturels ». La même année, il s'enracine à Agriculture et Agroalimentaire Canada à Ottawa, où il agit comme botaniste, chercheur et conservateur adjoint de l'herbier du ministère, dit Herbier DAO. Il participe à la 3e édition de la Flore laurentienne et à plusieurs autres projets tout en rédigeant À la découverte du Nord : deux siècles et demi d'exploration de la flore nordique du Québec et du Labrador, un ouvrage qui parait en 2014, aux Éditions Multimondes.
En 1978, Alain Asselin obtient un doctorat en phytopathologie (spécialisation en virologie) de l'Université Cornell. La thèse a trait à la caractérisation d'une nouvelle protéine associée aux particules virales du virus de la mosaïque du tabac. Il enseigne par la suite, à l'Université Laval, la phytopathologie, la virologie et la biochimie végétale. Ses recherches se concentrent sur certains mécanismes moléculaires de défense des végétaux en réaction à divers types de stress, particulièrement ceux associés aux infections virales. Son « microbe » préféré est le bon vieux virus de la mosaïque du tabac (Nicotiana tabacum) dont la première caractérisation crédible date de l'année de la parution de la Flore laurentienne (1935).
Un virus commun : le souci du partage
Malgré leurs différents parcours scientifiques, les deux anciens du Collège de Lévis et des Jeunes Explos partagent un même virus, celui du souci du partage de toutes connaissances relatives à l'univers fascinant des plantes d'ici. Les végétaux ne sont ni une banalité ni un décor dans notre histoire. Toute vie animale en dépend, l'agriculture, la foresterie, nos habitats, et maintenant la lutte aux changements climatiques...
Un peu après le début d'une retraite de la vie universitaire, Alain Asselin entreprend un projet d'écriture d'une série de curieuses histoires de plantes caractérisant l'histoire botanique de notre coin de pays. Lors d'une première rédaction, l'auteur réalise deux choses. Il y a trop d'histoires, de personnages et de plantes à mettre en évidence. De plus, ses connaissances en botanique et en histoire ne sont pas à la hauteur de ses attentes. Il recrute donc un vrai botaniste, son ami Jacques Cayouette, et pourquoi pas un autre Jacques, Jacques Mathieu, professeur émérite de l'Université Laval, spécialiste de l'histoire de la Nouvelle-France. La sage maison d'édition Septentrion explique aussi qu'il y aurait grand avantage à faire usage d'encadrés et d'appendices pour mieux compléter ou expliciter certains textes. Comme Jacques Cayouette possède une profusion de sources documentaires et d'illustrations, il devient plus facile de songer à une série plutôt qu'à un seul et trop volumineux ouvrage. Le projet se développera donc ainsi :
- Tome 1, 2014 : 21 histoires, de l'an mille jusqu'en 1670
- Tome 2, 2015 : 28 histoires, 1670-1760
- Tome 3, 2017 : 29 histoires, 1760-1867
- Tome 4, 2019 : 34 histoires, 1867-1935
- Tome 5, 2023 : 30 histoires, 1935-1975
Asselin, Cayouette et Mathieu sont les protagonistes des trois premiers tomes. Les deux derniers sont signés Asselin et Cayouette, seulement. Aussi, le 5e tome présente une trentaine d'histoires ayant lieu principalement au Québec.
Là où la botanique croise l'Acfas
Tome 4, 1867-1935
Dans l'index du tome 4, on retrouve sept mentions de l'acronyme Acfas en lien avec diverses histoires ou sources d'informations. À titre d'exemple, on apprend que Louis-Janvier Dalbis, originaire de Montpellier et ancien professeur du Collège Stanislas à Paris, connaît bien le fameux frère botaniste, Marie-Victorin. Dalbis fait même partie, en 1932, du jury de la thèse de doctorat du futur auteur de la Flore laurentienne. Alain Asselin est par ailleurs plutôt fier de réaliser qu'un certain Élie-Georges Asselin faisait aussi partie du jury évaluant les travaux doctoraux de Marie-Victorin.
Dalbis participe aussi à la fondation de l'Acfas et de l'Institut scientifique franco-canadien (ISCF). Au fil du temps, Marie-Victorin s'éloigne de Dalbis à qui il reproche son enseignement trop théorique.
Les publications de l'Association, dont les Annales de l'Acfas, sont pour leur part des sources privilégiées d'informations scientifiques et même historiques. À l'occasion, des difficultés passagères d'interactions entre des amoureux de botanique sont mises en évidence. Par exemple, le père Louis-Marie, oeuvrant à Oka, n'apprécie guère que le frère Marie-Victorin ne l'invite pas, dans le cadre d'un congrès de l'Acfas, aux rencontres avec le botaniste Merritt Lyndon Fernald de l'Université Harvard, superviseur des recherches doctorales de Louis-Marie. Marie-Victorin se souvient vraisemblablement que le père Louis-Marie a publié une Flore manuel de la Province de Québec d'intérêt pédagogique en 1931, quatre ans avant sa Flore laurentienne. Selon le père Louis-Marie, le problème d'inimitié avec Marie-Victorin se situerait plus au niveau de l'équipe qui entoure ce dernier. Par ailleurs, le père Louis-Marie, que Richard et Jacques Cayouette ont d'ailleurs bien connu, vivra assez mal la fermeture de l'Institut agricole d'Oka et le déménagement de l'herbier qu'il a constamment fait progresser de façon énergique.
En 1938, Marie-Victorin, alors président de l'Acfas, présente une conférence sur la science et notre vie nationale. Selon lui, il faut pouvoir installer « en connaissance de cause une agriculture viable ». Cet extrait rappelle que Marie-Victorin n'est pas que préoccupé par la botanique au sens classique du terme. Il est bien conscient de l'importance de diverses autres sciences des végétaux, particulièrement celles ayant un impact sur l'agriculture et la foresterie.
Tome 5, 1935-1975
Dans le tome 5, le mot Acfas est mentionné des dizaines de fois. Dès le premier congrès de l'Acfas en 1933 à Montréal, on note les présentations de deux femmes :
- Marcelle Gauvreau présente des « Notes sur quelques Algues marines du bas Saint-Laurent, et sur leur distribution géographique ». Elle participera à tous les congrès jusqu'en 1944, l'année du décès de son mentor, Marie-Victorin.
- Soeur Marie-Jean-Eudes (Bernadette Eugénie Tellier) présente des « Notes sur la flore de la région de Rawdon ». Aujourd'hui, ses contributions sont honorées par une réserve écologique qui porte son nom. Celle-ci est située à Saint-Alexis-des-Monts, dans la région qu'elle a explorée.
D'autres chercheuses s'ajoutent tout au long des congrès suivants : Georgette Simard, Germaine Bernier, Cécile Lanouette, Margaret Elizabeth Barr Bigelow, Denise L. Chabot, Doris Löve, etc. L'Acfas se conjuguera donc aussi, progressivement, au féminin.
En 1940, le baron belge multimillionnaire Louis Empain et l'ethnobotaniste érudit Jacques Rousseau publient des notes intéressantes sur la flore printanière de Duparquet en Abitibi. Le baron Empain prospecte, dès 1934, la province de Québec pour des occasions d'affaires. Il acquiert un domaine à Oka, des milliers d'hectares de forêts en Abitibi et un site identifié « Domaine de l'Estérel ». Quant à Jacques Rousseau, ses recherches sont souvent multidisciplinaires et à saveur ethnobotanique. Sa dernière recherche d'importance a trait à l'étude du journal de voyage au Canada en 1749 du savant suédois Pehr Kalm, un « apôtre » de Charles Linné.
En octobre 1947, au 15e Congrès de l'Acfas, Louis-Adrien Gosselin présente six communications en relation avec ses deux thèses doctorales. Il y traite, entre autres, de noyaux, de nucléoles, de chromatine, de satellites chromosomiques et de chromosomes. L'une de ces communications portera sur une « Première technique microscopique pour la numération sûre des chromosomes ». La vie de Gosselin est théâtrale par moments. Il séjourne en France pour des études graduées en temps de guerre, et il subit les affres d'un séjour en camp de concentration. Il s'évade grâce à des complices. Puis on le retrouve à l'Institut agricole d'Oka où il semble destiné à un bel avenir scientifique. Son dossier professionnel à cet Institut se termine prématurément vers 1951. Il décède en 1965 et ses restes reposent au cimetière de Saint-Valérien-de-Rimouski, son patelin d'origine.
En 1947-1948, Joseph Risi, originaire de Suisse, et professeur à l'École Supérieure de chimie de l'Université Laval, devient président de l'Acfas. Très préoccupé par les dérivés forestiers et leurs usages, Risi est un fier partisan des produits dits renouvelables. Mais il se demande si les Québécois se retrousseront « les manches ». Risi veut aussi promouvoir le bon usage de ressources naturelles autres que forestières. Il tient, par exemple, au bon développement de l'agriculture.
De 1950 à 1962, Léo Brassard dirige la revue Le Jeune Naturaliste sous l'égide des Clercs de Saint-Viateur. En 1962, reprise par l'Acfas, cette revue devient Le Jeune Scientifique. Brassard en assume la direction jusqu'en 1969. En 1986, lors d'une conversation, il confie « une plaisante anecdote ». Après un sondage de sa part pour trouver un nouveau nom au début des années 1960, un Jeune Explo suggère l'appellation Québec Science...
Un mot de la fin
À la page 294 du tome 5, il est dit que « l'élaboration d'un portrait d'ensemble des connaissances des plantes et de leurs usages [...]constitue à l'évidence une tâche en devenir. De nombreuses autres histoires restent à façonner, selon des perspectives différentes et à l'aide d'autres sources documentaires [...]notre regard ne se veut que curieux... ». Nous invitons donc d'autres explorateurs et exploratrices de notre univers végétal à parfaire nos savoirs. Au plaisir de lire d'autres histoires!
- Alain Asselin
Université Laval
Alain Asselin a été professeur en phytopathologie et en virologie végétale (1977-2006) au Département de Phytologie de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval. Il a agi comme directeur de recherche pour 11 personnes au niveau de la maîtrise et 7 au niveau doctoral. En 1986, il est le premier récipiendaire québécois du Prix Gordon J. Green de la Société canadienne de phytopathologie pour ses recherches. De 1991 à 1997, il agit comme vice-doyen à l'enseignement à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval. Au début de la décennie 2010, il est l'instigateur du projet de rédaction de la série Curieuses histoires de plantes du Canada.
- Jacques Cayouette
Agriculture et Agroalimentaire Canada
Depuis 1984, Jacques Cayouette est botaniste-chercheur au Centre de Recherche et de développement d'Agriculture et Agroalimentaire Canada à Ottawa. Ses champs d'expertise sont la taxonomie, la cytologie, l'écologie, la répartition géographique, la nomenclature, la bibliographie botanique et son histoire. Il a développé une expertise en bibliographie botanique. Il a découvert dans l’Outaouais l’existence d’habitats particuliers, les alvars, qui regorgent d’éléments biologiques particuliers comprenant des plantes rares. Il contribue au projet Flora of North America, et il est auteur d’un des volumes de la Flore nordique du Québec et du Labrador. Il a aussi participé à la 3e édition de la Flore laurentienne.
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