[Archive de 1954] Nous republions ici le discours du microbiologiste, Armand Frappier, alors qu'il recevait la médaille Urgel-Archambaut en 1954 « pour l’ensemble de ses travaux et réalisations dans le domaine de la médecine préventive ». La remise a eu lieu lors du banquet du Congrès de l'Acfas, tenu à l'Université Laval. Le texte a été publié dans les Annales de l'Acfas en 1955 (vol. 21, 1955, p. 59-62).
Cette distinction enviable dont m’honore l’Acfas réveille en moi des souvenirs d’un passé fertile en événements mouvementés; elle m’occasionne le plaisir d’avouer ma gratitude envers tous ceux qui ont collaboré à l’œuvre de l’Institut de microbiologie et d’hygiène et de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal; enfin, elle jette sur ces institutions un puissant rayon d’encouragement en même temps qu’elle nous incite tous, du directeur au plus humble des membres du personnel, à garder la ligne du progrès et de l’initiative.
On a dit que la véritable humilité, c’est la vérité. Il m’est certainement permis d’être fier des œuvres que je dirige et qui, déjà, en si peu de temps, ont conquis une notoriété étonnante. Tout honneur qui retombe sur ces institutions ne saurait me laisser indifférent. Aussi, ai-je accepté avec grande satisfaction et reconnaissance la médaille Archambault de l’Acfas.
Que le président et les membres du Conseil de l’Acfas acceptent, de ma part et de celle de mes collègues de l’Institut et de l’École que j’associe tout naturellement à cet honneur, l’assurance de notre plus entière collaboration à l’œuvre qu’ils poursuivent avec tant de succès.
L’humilité, c’est-à-dire la vérité, m’oblige à admettre que je ne suis qu’un simple artisan, porté par un concours de bonnes volontés et de circonstances. Et c’est ici qu’il me faudrait un long moment pour rappeler les péripéties d’un passé, ardu sans doute, mais dont le souvenir est tempéré et dominé par les grandes figures de mes premiers maîtres et protecteurs à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine, et aussi de ceux qui ont soutenu mes premiers pas, m’ont fait confiance et ont ainsi permis à un jeune de réaliser ses rêves.
L’humilité, c’est-à-dire la vérité, m’oblige à admettre que je ne suis qu’un simple artisan, porté par un concours de bonnes volontés et de circonstances.
Mon premier maître et bienfaiteur, le docteur Georges Baril, de si regrettée mémoire, a cultivé en moi le goût des sciences; le doyen Télesphore Parizeau, m’a soutenu, malgré ma jeunesse et mon inexpérience, envers, malgré et contre plusieurs. Pour le docteur Parizeau, la fondation de l’Institut de microbiologie et de l’École d’hygiène était la réalisation d’un rêve déjà vieux de vingt ans. Le doyen Albert LeSage, continuant avec la même sollicitude envers l’Institut, en est encore un administrateur alerte et dont les conseils sont religieusement écoutés par ses collègues et le directeur. Voilà des maîtres qui aimaient vraiment les jeunes et savaient voir loin.
Le docteur Georges Préfontaine, mon excellent professeur de biologie et dont je m’honore d’avoir joint la phalange de ses amis, me mit en contact avec de ses connaissances, hommes d’affaires et les convainquît de bien vouloir m’écouter. Leur bonne volonté et leur extrême confiance donnèrent le signal du départ.
Il est juste de reconnaître en ce jour les immenses services que nous ont rendus, à mes collègues et à moi-même, les savants Calmette, Ramon et Nègre de 1’Institut Pasteur de Paris. L’Institut de Montréal devint le prolongement de leur œuvre au Canada, et ils ont concouru à sa réalisation par leurs conseils, leur encouragement et la formation de notre personnel.
Ce sont ensuite les premiers présidents et administrateurs, Armand Dupuis, Louis Dupire, Eugène Doucet qui, avec les docteurs Parizeau, LeSage et Préfontaine ont mis leurs noms de l’avant et risqué leur réputation dans une affaire à ses débuts. Ils ont créé l’Institut, non seulement en incitant les autorités gouvernementales de la Santé et à en aider la fondation, mais aussi en se préoccupant de finances, d’organisation et de construction. Ils furent suivis par MM. Alban Janin, René Morin, Hervé Prévost, Louis Casaubon et Paul Huot. J’ai appris de grandes leçons auprès de tous ces administrateurs distingués qui ont assuré la vie de l’Institut ainsi que ses relations avec l’Université et les Services de Santé.
Qu’aurait fait l’Institut si l’Université de Montréal n’avait pas accepté de le loger et de l’installer dans ses immeubles, alors inoccupés, de la montagne, et n’avait pas jusqu’à ce jour apporté une part appréciable à son développement. Les Arthur Vallée, les Stewart McNichols, les Elie Beauregard, les Mgr Gauthier, administrateurs de l’Université, furent présents aux premiers pas de l’Institut.
Cependant, rien de cela n’eût été possible sans la généreuse contribution du ministère Provincial de la Santé, sous la direction de l’Honorable J. H. A. Paquette et de son sous-ministre, le docteur Jean Grégoire. Notre projet d’un Institut de Microbiologie et d’Hygiène et d’une École d’Hygiène constituait la réalisation d’un vœu émis depuis longtemps par le ministre de la Santé et son sous-ministre et, c’est pourquoi le Ministère a toujours gardé un vif intérêt envers ces œuvres.
Plusieurs de ces bienfaiteurs sont aujourd'hui disparus, mais leur mémoire est évoquée quotidiennement parmi nous.
L’Institut n’est pas né de façon explosive. Il constituait pour ainsi dire un rameau du laboratoire de bactériologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Depuis 1926, cette Faculté persistait à soutenir de ses propres fonds la préparation du vaccin BCG pour les besoins des recherches expérimentales et cliniques. Je pris la direction de ce Département en 1932. Le développement des travaux de recherche en tuberculose dans le laboratoire de bactériologie allait rendre encore plus opportun et nécessaire la fondation de l’Institut de microbiologie et d’hygiène.
La vie n’était pas rose dans le temps. La crise battait son plein et les fonds manquaient partout. Quel attrait a poussé les jeunes de 1932-38 à s’associer à une œuvre encore à l’état de projet? Quelle garantie avaient-ils d’un avenir scientifique et matériel raisonnable? Je suis encore confondu de la confiance que ces premiers et dévoués collègues, les Fredette, les Porté, les Panisset, les Tassé, aujourd’hui directeurs adjoints de l’Institut, m’ont faite. Nous avons compris spontanément que, puisque chacun d’entre nous n’avait rien d’un virtuose dans les sciences, il se pourrait que le travail d’équipe suppléât à l’insuffisance de la réputation individuelle.
Je n’avais à leur proposer que du travail acharné, des responsabilités redoutables, des laboratoires à peine outillés, peu ou pas de salaire. Ils devaient avec ça créer l’Institut, conquérir la valeur scientifique, fournir les services de santé et les armer de nombreux produits biologiques dont la mise au point est toujours un casse-tête, et publier des travaux scientifiques.
Personne ne prit de vacances avant 1946. On travaillait les jours de congé et chaque soir. Combien de fois n’avons-nous pas quitté les immeubles de la montagne, que nous habitions seuls à ce moment, à minuit ou une heure du matin, pour retourner chez nous qui, à Oka, qui à Hochelaga, qui à Ahuntsic, qui à Longueuil, malgré la neige, la tempête et la fatigue.
Vous comprenez maintenant pourquoi j’estime mes premiers collaborateurs et amis. Nous avons été ensemble à la peine. Il est juste que nous soyons ensemble à l’honneur.
Vous comprenez maintenant pourquoi j’estime mes premiers collaborateurs et amis. Nous avons été ensemble à la peine. Il est juste que nous soyons ensemble à l’honneur.
Cette estime se déverse sur ceux qui sont venus par la suite et qui ont à cœur de pousser à de plus hauts sommets. La boule de neige grossit toujours. Il faut la rouler, la neige ne manque pas.
Notre présent Conseil d’administration est présidé par l’Honorable Edouard Asselin, c.r., et les membres en sont, M. Eugène Doucet, Mtre René Morin, les docteurs Albert LeSage et Georges Préfontaine. Ils ont réorganisé l’Institut comme le nécessitaient les progrès réalisés. La vie de l’Institut étant assurée, ils ont donné à la recherche et aux œuvres de Santé publique l’importance qui leur revient dans une semblable institution. Un programme d’avenir a été tracé. Je dois à ces messieurs la plus profonde gratitude. Appuyés sur leur grande expérience, nous marchons en toute sécurité.
Quant à l’École d’hygiène, le succès découle en bonne partie de la participation loyale du docteur Jules Gilbert, le sous-directeur des études et secrétaire. La fête de ce jour est aussi la sienne, et j’invite mes autres collègues de l’École, les docteurs R. Foley, épidémiologiste de la Province, A. Groulx, Directeur du service de santé de Montréal, le doyen W. Bonin, mon ami le Dr Panisset, M. P. Lafrenière, ingénieur en chef au ministère de la Santé, et Mlle Charbonneau, Directrice de notre École de garde-malades hygiénistes, à participer à ces honneurs puisqu’eux aussi, ils furent associés aux labeurs des débuts.
C’est la recherche qui est la raison d’être de l’Institut. Plusieurs équipes y sont à l’œuvre et comblent déjà, par leurs travaux publiés dans les plus grands journaux, les espérances du début. Nous leur faisons confiance comme on nous a fait confiance. Il n’existe pas de facteur de stimulation plus fort que la confiance réciproque.
L’École d’hygiène concourt à la formation du personnel responsable de la Santé publique et avec l’Institut complète l'œuvre des Services de santé. Elle est promise aux plus grands progrès. Ces deux institutions ont contribué à faire sortir microbiologistes et hygiénistes canadiens-français de la coquille de l’isolement et du repli sur soi-même.
L’enthousiasme, ce dieu intérieur, anime les actes de notre famille scientifique et enseignante et guide ses projets vers l’amélioration de la Santé de notre peuple. Une distinction comme la Médaille Archambault agira en nous tous comme une puissante enzyme et nous donnera une foi encore plus profonde dans la parole prophétique de Pasteur « que l’avenir appartiendra à ceux qui auront le plus fait pour l’humanité souffrante ».
C’est la recherche qui est la raison d’être de l’Institut. Plusieurs équipes y sont à l’œuvre et comblent déjà, par leurs travaux publiés dans les plus grands journaux, les espérances du début. Nous leur faisons confiance comme on nous a fait confiance. Il n’existe pas de facteur de stimulation plus fort que la confiance réciproque.
Armand Frappier, Annales de l’Acfas, vol. 21, 1955, p. 59-62
- Armand Frappier
Université de Montréal
Dans le cadre du centième anniversaire de l'Acfas, l'équipe du Magazine de l'Acfas a souhaité revisiter les archives de notre association afin de faire ressurgir des travaux de recherche d'intérêt et les mots de scientifiques marquant·e·s. Au fil des différents dossiers sont ainsi republiés certains textes disparus, dont la relecture informe et contribue à la compréhension du monde d'aujourd'hui et de demain.
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