L’été sibérien de 2016 fut particulièrement chaud. Sous la canicule, la carcasse d’un renne émerge du pergélisol. L’animal est mort de la maladie du charbon au début du 20e siècle. Cette infection, mieux connue par son nom anglais d’anthrax, a pour source la bactérie Bacillus anthracis. Cette dernière est devenue une arme bactériologique pendant la Seconde Guerre mondiale et une sérieuse crise publique lors des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Là en Sibérie, quinze ans plus tard, ses spores étant réanimés, elle infectera quelques milliers de rennes et plusieurs groupes d'humains de la région.
L’une de nous (Stefani) réalisait alors des fouilles à la frontière de la Mongolie et de la Sibérie à quelques centaines de kilomètres au nord. Son équipe était bien formée pour administrer les premiers soins et bien équipée pour intervenir en cas de blessure ou, au pire, d’appendicite, mais rien ne les préparait à une épidémie. Bien que l’éclosion de maladie du charbon était à bonne distance, l'équipe prenait conscience que d'autres pathogènes préservés dans la glace pourraient venir désormais perturber leurs travaux.
Ces pathogènes, archéologiques et congelés, notre équipe les appelle cryonoses, du grec ancien κρύος (krúos, froid) et νόσος (nósos, maladie). Ils démontrent la nécessité pour les archéologues de désormais travailler avec des experts en maladies infectieuses, et inversement, l’importance d’inclure des experts du passé dans le dialogue sur les crises actuelles. Pour se préparer aux crises futures à l’interface de différents domaines scientifiques, et de différentes époques, la transdisciplinarité sera de mise.
De leur côté, les archéologues sont habitués de travailler au sein de grandes équipes, entre autres avec des collègues spécialisés dans différentes facettes de la discipline. Aussi, au cours des dernières décennies, il leur est devenu habituel de collaborer avec des scientifiques de d’autres domaines : par exemple, avec des économistes pour étudier les pratiques de gestion et d’échanges de l’Égypte ancienne, ou avec des écologistes pour reconstruire des écosystèmes disparus, à partir de représentations animales en art, artisanat et architecture.
Dans les régions circumpolaires, on retrouve des indices de civilisations anciennes et d’écosystèmes disparus, très bien préservés dans le pergélisol. Pour les archéologues et les paléontologues, ces artefacts sont très riches en informations. Mais le coût de cette fenêtre vers le passé est désormais connu : le froideur du pergélisol préservant aussi bien les traces humaines, animales et végétales, que celles des virus, bactéries, parasites et les spores de champignons. Le nature de la crise est ici unique : bien qu’elle soit un effet collatéral du réchauffement climatique, et que la première ligne de défense soit un système de santé publique bien préparé, ses origines sont lointaines, au cœur d’activités humaines et animales depuis longtemps oubliées et n’ayant laissées que peu de traces.
À la suite de cette expérience sibérienne, Stefani a décidé de se lancer dans la caractérisation de ce micromonde en voie dégel, pour contribuer aux différentes approches permettant de prévenir d'éventuelles éclosions. Pour ce faire, elle a assemblé une équipe multidisciplinaire composée d’une archéologue (elle-même : Stefani Crabtree, Université de l'Utah et Institut Santa Fe), un microbiologiste (Chris Kempes, Institut Santa Fe), un expert en modélisation de maladies (Laurent Hébert-Dufresne, Université du Vermont), un écologiste (Justin Yeakel, Université de la Californie à Merced), et un expert en économie et santé publique (Ross Hammond, Institut Brookings, Université de Washington à Saint-Louis et Institut Santa Fe).
Quels autres pathogènes peuvent hiberner dans le pergélisol? Où et quand devons-nous attendre leur réveil? Quelles populations sont plus à risque et comment pouvons-nous les protéger? Dans un premier temps, on se tourne encore une fois vers le passé pour cumuler ce qu’on sait des divers réveils de micro-organismes. Un autre exemple connu de cryonose provient d’une fouille archéologique d’un camp de chasseurs en Alaska daté du 13e siècle. Un des volontaires coupa accidentellement son doigt en déterrant un amas de coquillages, contractant ainsi une bactérie, Mycoplasma phocacerebrale, préservée avec des restes de phoques gelés.
Quels autres pathogènes peuvent hiberner dans le pergélisol? Où et quand devons-nous attendre leur réveil? Quelles populations sont plus à risque et comment pouvons-nous les protéger? Dans un premier temps, on se tourne encore une fois vers le passé pour cumuler ce qu’on sait des divers réveils de micro-organismes. Un autre exemple connu de cryonose provient d’une fouille archéologique d’un camp de chasseurs en Alaska daté du 13e siècle. Un des volontaires coupa accidentellement son doigt en déterrant un amas de coquillages, contractant ainsi une bactérie, Mycoplasma phocacerebrale, préservée avec des restes de phoques gelés.
Bacillus anthracis n’est pas une exception. Avec ces deux exemples de cryonoses, il devient sage de supposer qu’il y en a d’autres. Dans le premier cas, on avait affaire à une carcasse animale décongelée; dans le deuxième, la fouille intentionnelle d’un animal infecté. La première menace provient des pathogènes gelés puis exposés suite aux changements climatiques. La deuxième consiste en pathogènes exposés par l’activité humaine. Quelles sont les personnes qui seraient les premières exposées? En plus des scientifiques qui fouillent intentionnellement, comme les archéologues et les paléontologues, il faut aussi compter les chasseurs de trésors enfouis et bien préservés dans le pergélisol, des tombes ou aux défenses de mammouth. Ces derniers sont à craindre! Les voleurs ont rarement la santé publique en tête.
Avec l’expertise de notre équipe, nous sommes donc en train de déterminer l’importance de la menace posée par les cryonoses. Pour faire une évaluation plus systématique du problème, nous construisons des cartes de la charge pathogène du passé, de l’activité humaine actuelle et des changements climatiques futurs. Il serait impossible de s’attaquer au problème sans une perspective disciplinaire; ce projet n’est ni de l’archéologie, ni de la biologie, ni de l’écologie, ni de l'épidémiologie, et un peu tout cela.
Il faut donc une diversité d’idées, de perspectives, et d’expertises. L’épidémiologie nous informe sur la transmissibilité des pathogènes, et la biologie sur leur capacité de survie en hibernation. L’archéologie nous dit où et quand ces pathogènes ont pu être emprisonnés dans la glace, et où ils risquent d’être maintenant déterrés. Ensuite, on fait appel aux modélisateurs pour quantifier comment les cryonoses peuvent se propager. C’est ainsi que nous pouvons maintenant dire que la menace de la fonte du pergélisol ne réside pas seulement dans l'augmentation des émissions de méthane, mais dans la réanimation de maladies que nous pensions éteintes. Nous faisons maintenant face à des pathogènes zombies, et ils ont faits leurs premières victimes. Ils illustrent probablement assez bien les défis nouveaux qui viendront avec un climat engagé inexorablement dans un nouveau régime.
L’épidémiologie nous informe sur la transmissibilité des pathogènes, et la biologie sur leur capacité de survie en hibernation. L’archéologie nous dit où et quand ces pathogènes ont pu être emprisonnés dans la glace, et où ils risquent d’être maintenant déterrés. Ensuite, on fait appel aux modélisateurs pour quantifier comment les cryonoses peuvent se propager. C’est ainsi que nous pouvons maintenant dire que la menace de la fonte du pergélisol ne réside pas seulement dans l'augmentation des émissions de méthane, mais dans la réanimation de maladies que nous pensions éteintes.
- Stefani Crabtree, et Laurent Hébert-Dufresne,
Université de l'État d'Utah, Université du Vermont et Université Laval
Stefani Crabtree est professeure de modélisation des systèmes socio-environnemental à l'Université de l'État d'Utah. Elle est également chercheuse à l'Institut de Santa Fe, au Centre de recherche interdisciplinaire à Paris, au Centre d'excellence pour la biodiversité et l'héritage australien et à l'Institut de recherche Crow Canyon.
Laurent Hébert-Dufresne est professeur adjoint au département d'informatique de l'Université du Vermont où il est membre du Centre de systèmes complexes du Vermont (VCSC) et du Centre translationnel et global en recherche sur les maladies infectieuses (TGIR Center). Il est également professeur associé au département de physique, de génie physique et d’optique de l'Université Laval, son alma mater.
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