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Sylvestre Huet, Journaliste scientifique indépendant
Le système médiatique des pays les plus développés est encore loin de reconnaître aux journalistes scientifiques le rôle qui doit être le leur, et singulièrement lorsque les enjeux économiques et politiques des dossiers scientifiques et techniques viennent bousculer les débats publics.

Le journalisme scientifique existe. Oh, sans toutefois occuper une place de choix dans nos médias. On compte probablement dix fois plus de journalistes spécialisés en sport, une activité qui peut être respectable, mais dont on me pardonnera de penser qu'elle ne va pas déterminer l'avenir de l'espèce humaine. La science joue et jouera, elle, un rôle décisif. Pour l'économie, la santé, la guerre et la paix, et la biosphère. Pour équilibrer nos relations avec les autres espèces animales et végétales puisque le savoir et les techniques accumulées, ainsi que notre démographie, font de nous une force égale à celles, naturelles, qui ont modelé la planète depuis des milliards d'années.

Et puisque nous rêvons, presque tous, de vivre dans des sociétés démocratiques, où les choix essentiels sont ceux des peuples et non de quelques puissants, le corollaire qui en découle est la nécessité d'une formation et d'une information permettant aux peuples de décider en connaissance des acquis, des questions et des méthodes de la recherche scientifique comme des technologies.

Je suis donc très heureux de contribuer en aidant de mon expérience des étudiantes en journalisme scientifique chargées de rédiger un « journal numérique » quotidien accompagnant le 84e Congrès de l'Acfas. Au plaisir de travailler avec vous, Mariama Diallo, Anne Gabrielle Ducharme, Aurélie Lagueux Beloin et Lou Sauvajon. Aussi, se joindront à nous, deux illustrateurs, Tiphaine Rivière et Martin PM, qui d'un trait ou deux, capteront le caractère de la science.

L’affaire du « Climategate »

Cependant, quelques faits tirés de mon expérience montrent malheureusement que le système médiatique des pays les plus développés est encore loin de reconnaître aux journalistes scientifiques le rôle qui doit être le leur, et singulièrement lorsque les enjeux économiques et politiques des dossiers scientifiques et techniques viennent bousculer les débats publics.

Ainsi, en 2009, lors des fameuses affaires du « Climategate » – l'exploitation malveillante d'un piratage de courriels d'une équipe de climatologues engagés dans la rédaction des rapports du GIEC – ou en 2010, lors de l'offensive climato-sceptique lancée par le géochimiste et ancien ministre socialiste Claude Allègre et le géophysicien Vincent Courtillot en France.

On a vu alors des rédacteurs en chef et des journalistes d'autres spécialités, n'ayant jamais mis les pieds dans un laboratoire de climatologie, ni lu ne serait-ce qu'un résumé d'un rapport du GIEC, assurer à leurs lecteurs et auditeurs que la climatologie était une science pourrie. Pour ce faire, il a fallu passer sur le corps – et nier l'expertise et la compétence professionnelle – des journalistes spécialisés en science. Ainsi, le rédacteur en chef d'un journal télévisé a t-il pu mettre sur le même plan un débutant coupable d'erreurs grossières en climatologie (Vincent Courtillot) et un spécialiste de niveau mondial (Jean Jouzel) pour un « 3 minutes chacun » faussement impartial. Sauf que, devant le refus du journaliste scientifique de la chaîne de se prêter à cette mascarade, c'est un collègue n'ayant jamais travaillé sur ce sujet qui a réalisé l'opération.

L'affaire « Séralini »

Plus récemment, en 2012, c'est l'affaire « Séralini » qui a mis en évidence le rôle particulier des journalistes spécialisés en sciences. Ce professeur de biologie à l'Université de Caen a publié avec ses collaborateurs une étude dans la revue Food and chemical toxicology portant sur des rats exposés à différentes doses de maïs traités à l’herbicide Roundup de Monsanto.

Très soucieux de l'impact médiatique de cette étude (retirée ensuite par la revue), il avait mis en place un dispositif destiné à empêcher les journalistes scientifiques de faire leur travail dans des conditions correctes. Le texte de l'étude n'avait été remis sous embargo qu'aux journalistes acceptant de ne pas le faire lire par d'autres biologistes et chercheurs en toxicologie avant le jour de publication, sous peine de sanctions financières... Et, surtout, un deal passé avec l'hebdomadaire le Nouvel Observateur s'était traduit par une formidable opération de communication, avec une couverture entièrement consacrée à cette étude, sous le titre Oui, les OGM sont des poisons, et un dossier ne comportant aucune analyse critique de l'étude.

Cette méthode de communication fut condamnée par l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information (AJSPI). Par la suite, le rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur, chargé du dossier, avait expliqué qu'il trouvait bizarre l'habitude des journalistes scientifiques de demander des avis à d'autres chercheurs compétents sur un sujet avant de traiter une étude publiée. Or, s'agissant d'une publication dont les résultats s'opposaient à de très nombreuses autres expériences, une telle précaution s'imposait.

Modestes, les journalistes spécialisés en sciences ne prétendent pas avoir la science infuse et pouvoir, au « débotté », et sans chercher d'avis compétents indépendants des auteurs, juger seuls d'un article se présentant comme révélant une vérité cachée. Les expertises réalisées par la suite, notamment par l'ANSES1 et le Haut Conseil des Biotechnologies en France, ont démontré qu'une telle prudence était nécessaire, tant les méthodes utilisées par Gilles-Eric Séralini s'éloignaient des standards expérimentaux, provoquant un « rapport signal sur bruit », comme disent les physiciens, si mauvais qu'il interdisait de tirer une quelconque conclusion de l'expérience conduite.

L'affaire démocratique

Dans ces deux exemples, nous sommes bien loin d'une simple querelle académique. Le changement climatique débouche sur des choix économiques, énergétiques et de modes de vie dont l'ampleur ne peut être sous-estimée. Quant à l'usage des biotechnologies en agriculture, leurs potentialités positives ou négatives, tant pour la production que pour la santé humaine et l'environnement, exigent des décisions politiques majeures. Mais comment les fonder en démocratie sans une information rigoureuse des citoyens? Si le rôle des journalistes spécialisés en sciences ne peut être premier – les responsables politiques doivent l'endosser – dans l'organisation des débats publics, il semble difficile de se passer d'eux. Tout au moins, les dirigeants des journaux et des rédactions devraient avoir comme règle de conduite de respecter leurs compétences et de se méfier de leur propre méconnaissance, souvent profonde, des méthodes et des résultats de la recherche scientifique.

«Les dirigeants des journaux et des rédactions devraient avoir comme règle de conduite de respecter les compétences des journalistes scientifiques et de se méfier de leur propre méconnaissance, souvent profonde, des méthodes et des résultats de la recherche scientifique».

Références :

  •  1. Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail. 

  • Sylvestre Huet
    Journaliste scientifique indépendant
    Présentation de l’auteur :Sylvestre Huet est journaliste depuis 1983, et il est spécialisé dans les sujets scientifiques et techniques depuis 1986. Il a travaillé successivement pour l’hebdomadaire Révolution, les mensuels Sciences et Avenir et Science & Vie. Puis, de 1995 à 2016, on le retrouve au quotidien Libération, pour lequel il a également tenu le blog {Sciences²} depuis 2008. Aujourd’hui, journaliste indépendant, il tient toujours son blog {Sciences²}, mais pour le site du Monde.fr. Il est également l’auteur de plusieurs livres, dont L’imposteur c’est lui, réponse à Claude Allègre (Stock, 2010) et Les dessous de la cacophonie climatique (La ville brûle, 2015) ainsi que directeur de collection chez l’éditeur La ville brûle.

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