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Pascal Royer-Boutin, Université du Québec à Rimouski
Le suivi par caméra permet de déterminer les prédateurs de nids d'oiseaux, tout en nous aidant à interpréter le lien entre lemmings et succès de nidification.

L’histoire

À la fin mai, des milliers d’oiseaux avait déjà entamé leur migration vers leur aire de nidification dans l’Arctique canadien. Dans certains cas, ces grands voyageurs venaient d’aussi loin que l’extrême sud de l’Amérique du Sud, non sans raison… Eh oui!, on le sait depuis peu : plus un nid est près du pôle Nord, plus petit est le risque de prédation. De meilleures chances d’éclosions des œufs compensent donc pour les inconvénients d’une grande migration.

Malgré tout, la proportion des nids qui subsistent jusqu’à l’envol des jeunes, ce qu’on appelle dans notre métier le « succès de nidification », varie de façon importante d’une année à une autre. La prédation étant la principale cause d’échec d’une couvée, cette « pression » serait donc beaucoup plus forte certaines années. Pour bien comprendre ces fluctuations, on procède d’abord à l’identification des coupables, ces prédateurs des couvées de la toundra arctique.

La vidéo

La vidéo montre un renard arctique, portant son pelage de printemps, qui découvre un nid de pluvier bronzé, un oiseau de rivage (on voit d'ailleurs le pluvier brièvement au début de la séquence). Au moment de sa trouvaille, le prédateur transporte dans sa gueule un œuf d’oie des neiges qu'il vient de subtiliser. Il dépose alors cette prise pour s’emparer des œufs de pluvier, un à la fois. Hors du champ de vision de la caméra, le carnivore cache probablement sa prise dans des trous creusés dans le sol, sorte de garde-manger pour besoins futurs. Cinq minutes plus tard, le renard récupère finalement l’œuf d’oie avant de quitter la scène.

Sous l'oeil des caméras

À la station de recherche de l’île Bylot au Nunavut, au-delà du 73e parallèle, ces prédateurs potentiels sont le renard arctique, le goéland bourgmestre, le labbe parasite1, le labbe à longue queue et le grand corbeau.

Chaque été, certains nids sont placés sous « surveillance vidéo » afin de prendre l’un ou l’autre prédateur sur le fait. Des caméras à déclenchement automatique sont fixées au sol à quelques mètres des nids. Chacune est programmée pour réaliser une série de photos en rafale au moindre déclenchement du détecteur de mouvement. Quand le suivi d'un nid est terminé – parce qu'il a été victime de prédation ou parce que les jeunes l’ont quitté –, on récupère la caméra pour visionner les photos compromettantes dans le confort de notre campement.

La recherche

Pour bien comprendre les implications de ce « court métrage », il faut connaître une variable importante de cet écosystème. Sur l'île Bylot, et dans l'Arctique en général, on trouve de petits rongeurs – les lemmings – dont l'abondance suit des cycles marqués de 3 à 4 ans.

Le lemming est la principale proie du renard arctique. Les années où ils se font rares, le canidé se tourne vers des proies alternatives comme l'oie des neiges. On ne sait toutefois pas vraiment jusqu’à quel point il s’intéresse aux nids des autres espèces durant ces étés de disette.

La scène présentée s'est déroulée en juillet 2013 à Bylot, pendant un été de très faible abondance en lemmings. Cette série de photos, l'une des nombreuses dont nous disposons, confirme l’importance du renard arctique comme prédateur des nids de pluvier bronzé, et elle illustre bien que les œufs du pluvier peuvent être une solution de rechange aux œufs des oies.

Cette vidéo a été réalisée dans le cadre de mon projet de maîtrise effectué sous la supervision de Joël Bêty, de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR), avec la collaboration de Gilles Gauthier (Université Laval) et Dominique Berteaux (UQAR). Notre objectif général est d'expliquer les importantes fluctuations annuelles du succès reproducteur de différentes espèces d’oiseaux nichant dans l'Arctique canadien, et ce,  en explorant l'hypothèse d'un lien indirect entre les cycles d’abondance de lemmings et le succès de nidification des oiseaux par l'intermédiaire de changements dans le comportement ou l'abondance d'un prédateur commun. C'est ce qu’on appelle « hypothèse des proies alternatives ». Aussi simple cette hypothèse puisse-t-elle paraître, beaucoup d’éléments échappent encore à notre compréhension.

De fait, selon les espèces, les oiseaux adoptent des stratégies spécifiques pour défendre leur nid. Est-ce que ces divers comportements antiprédateurs ont des taux de succès différents? Alors que les oies le défendent farouchement, le plectrophane lapon – un petit passereau – se contente généralement de fuir le nid à l’approche d’une menace. D’un autre côté, le pluvier bronzé ainsi que d’autres oiseaux de rivage adoptent une panoplie de comportements pour distraire l’ennemi et l’éloigner. Ils peuvent, entre autres, feindre d’être blessés ou placer leurs ailes de façon à prendre l’allure d’un lemming. Les étés où les lemmings se font rares, l’une ou l’autre de ces stratégies pourrait-elle plus efficacement atténuer le risque de prédation des nids pour l’espèce qui l’utilise?

La migration des chercheurs

Pour répondre à nos questions de recherche, nous bénéficions du suivi de nidification réalisé chaque été à la station de recherche pour plusieurs espèces d'oiseaux. Les oiseaux de rivage sont suivis depuis presque dix ans alors que la nidification du plectrophane lapon et de la plus grande colonie nicheuse de Grandes Oies des neiges du Haut Arctique canadien est suivie depuis une vingtaine d'années. Chaque été, les populations de lemmings et de renard arctique font également l'objet de travaux de recherche. Le suivi par caméra permet de déterminer les prédateurs de nids d'oiseaux, tout en nous aidant à interpréter les tendances observées en ce qui concerne le lien entre lemmings et succès de nidification.

Si les oiseaux migrent chaque été dans l'Arctique pour se reproduire, les chercheurs et chercheuses le font parce que ces travaux sont essentiels à la compréhension de la dynamique des populations de ces grands voyageurs et du fonctionnement des écosystèmes de la toundra arctique dans un contexte où les changements climatiques provoquent de grands bouleversements.

  • 1Les labbes sont des oiseaux de mer pouvant atteindre 60 cm de hauteur.

  • Pascal Royer-Boutin
    Université du Québec à Rimouski

    Pascal Royer-Boutin a obtenu un baccalauréat en biologie de l’Université du Québec à Rimouski. Aujourd’hui, il est en voie de compléter une maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats à cette même université. Ses travaux de recherche dans le laboratoire du professeur Joël Bêty concernent principalement le succès de nidification des oiseaux dans l’Arctique canadien et le risque de prédation.

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