C’est une émotion indescriptible qui nous frappe lorsque l’on prend place sous le dôme d’un planétarium et que le ciel, à portée de main, nous est soudainement dévoilé dans toute sa splendeur. Cette expérience, de nombreux Québécois ont pu la vivre au cours des cinquante dernières années.
Le Planétarium Dow de Montréal, situé au 1000 rue Saint-Jacques, a ouvert ses portes en 1966 pour les fermer en 2011, déménageant deux ans plus tard dans un tout nouveau bâtiment construit dans le parc Olympique et prenant alors le nom de Planétarium Rio Tinto Alcan.
Cet article1 vise à lever le voile sur cette institution de vulgarisation scientifique. L’on s’interrogera sur la genèse du Planétarium Dow de Montréal, en repérant les acteurs qui ont participé à sa création et son développement. L’on s’interrogera aussi sur l’évolution des approches proposées par le planétarium concernant la vulgarisation scientifique au fil des décennies. Nous explorerons l’importance du mouvement des astronomes amateurs et de l’initiative privée dans le contexte québécois de la promotion de l’astronomie.
Projet initial
C’est l’alignement de deux « planètes » qui mène à la construction d’un planétarium à Montréal.
Premier moment : Dès 1957, la conquête spatiale place l’astronomie au centre d’un engouement médiatique sans précédent. L’historien Richard Jarrell en parle comme de « l’effet Spoutnik »2. Cet événement apporte une dynamique nouvelle à l’astronomie canadienne et internationale.
Deuxième moment : À l’automne 1962, le conseil d’administration de la brasserie montréalaise Dow confie à son tout nouveau vice-président, Pierre Gendron, le mandat de trouver un projet philanthropique phare pour Montréal, qui sera l’apport de la compagnie aux célébrations du centenaire de la Confédération canadienne et à l’Exposition universelle qui se tiendront 5 ans plus tard, en 1967. Chimiste et fondateur de la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa en 19533, Pierre Gendron est aussi vice-président, puis président de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) en 1959-604. Il prend à cœur la promotion de la recherche et de la culture scientifique auprès des Québécois et voit aussi dans ce mandat une opportunité d’étendre le rayonnement scientifique de la province. Profitant de l’emballement spatial, il convainc ses collègues de la brasserie d’offrir un planétarium à Montréal. Le projet du Planétarium Dow de Montréal est donc annoncé en grande pompe en décembre 19625.
Arrivée de la Ville et du premier directeur
Deux nouveaux acteurs se greffent au projet : la Ville de Montréal, qui obtient la gestion du bâtiment après sa construction, et l’astronome américain Donald D. Davis, engagé à titre de premier directeur du l’institution à venir. Davis a d’abord travaillé au planétarium Buhl de Pittsburgh, de 1954 à 1956, puis il a été directeur adjoint au planétarium Fels de l’Institut Franklin de Philadelphie jusqu’en 19596. Il parle ainsi des objectifs du projet montréalais : « Le Planétarium Dow est né à un moment propice, en pleine « révolution tranquille », comme on dit au Québec. […] Au milieu de ces progrès soudains, l’astronomie et les sciences du cosmos n’ont pas été oubliées. Le futur québécois et montréalais aura une aussi bonne compréhension de l’univers qui l’entoure que tout autre citoyen habitant une grande ville du monde. »7
Le Planétarium Dow est né à un moment propice, en pleine « révolution tranquille », comme on dit au Québec. […] Au milieu de ces progrès soudains, l’astronomie et les sciences du cosmos n’ont pas été oubliées.
Avant même que le planétarium Dow n’ouvre ses portes, Davis forge des liens avec les astronomes amateurs de la branche francophone de la Société Royale d’Astronomie du Canada (SRAC). De plus, avec l’aide de Denis H. Gallagher, directeur du Manitoba Museum of Men and Nature Planetarium, ils contactent les directeurs des différents planétariums en construction au Canada. L’Association des Planétariums du Canada (APC8) voit le jour en 1965.
L’ouverture
À son ouverture le 1er avril 1966, le planétarium Dow offre de nombreuses activités de vulgarisation scientifique. En plus d’assister à différents spectacles originaux offerts dans les deux langues officielles, les visiteurs peuvent parcourir le hall d’exposition dont l’accès est gratuit, s’inscrire à un cours d’initiation à l’astronomie offert par la SRAC9 ou participer à des événements d’observation occasionnels. Le populaire météorologue et vulgarisateur Jacques Lebrun, surnommé « le prof Lebrun »10, anime aussi plusieurs conférences durant les premières années11. Avec la popularité des spectacles, Davis prend l’initiative de monter un programme spécialement destiné aux adultes. Ces « pauses scientifiques du midi »12 abordent diverses thématiques qui laissent la place à des échanges culturels et philosophiques, que ce soit sur la place de l’être humain dans l’univers ou sur les différentes constellations et leur origine.
Déclin et renouveau (1971-1989)
En 1971, Donald D. Davis quitte la barre du planétarium de Montréal, et il est remplacé par son adjoint, Auray Blain. La fin du programme d’exploration lunaire entraîne une perte d’intérêt du grand public envers l’astronomie et la fréquentation du planétarium chute de manière drastique. Blain décide alors de miser sur le public scolaire, jusqu’alors négligé par les vulgarisateurs scientifiques de l’institution. Il met au point, avec l’aide de Jacques Lebrun, le premier spectacle pour écoliers : Le royaume du soleil . À ce spectacle s’ajoutent, de 1978 à 1983, des représentations spéciales où lasers et bande sonore font leur apparition. Le caractère essentiellement ludique de ces effets avait pour objectif non caché de simplement ramener le planétarium au sein des loisirs des montréalais. Malgré ces activités, les astronomes amateurs et les visiteurs délaissent graduellement le planétarium.
À la fin de 1982, Auray Blain prend sa retraite et il est remplacé par son adjoint, Claude Lebrun. Ce dernier engage à titre de directeur scientifique adjoint, en mars 1984, Pierre Lacombe, alors étudiant au doctorat en astrophysique à l’Université de Montréal. Pierre Lacombe développe de nouveaux spectacles pour les groupes scolaires ainsi que des séances éducatives spécialement conçues pour les familles. De plus, à partir de 1984, les spectacles sont davantage orientés vers des thèmes spécialisés : phénomènes spectaculaires (comètes, trous noirs), scénarios catastrophes (astéroïdes, extinctions), etc. Le public répond positivement à cette nouvelle orientation, puisque la fréquentation augmente significativement après ces changements et les familles deviennent les premiers visiteurs.
Un autre facteur contribuant au renouvellement du planétarium consiste en la création le 17 avril 1985 du Club Espace, par des jeunes de la Société d’Astronomie de Montréal désirant se regrouper en dehors des camps estivaux. Ces jeunes astronomes amateurs dynamisent les activités de loisir scientifique offertes par le Planétarium et participent à l’organisation d’activités grand public, dont celles organisées dans le cadre de la « Journée internationale de l’astronomie ».
Diversification et partenariats (1989-2000)
Claude Lebrun prend à son tour sa retraite et Pierre Lacombe hérite, en 1989, du poste de directeur du Planétarium Dow de Montréal. Il engage alors Pierre Chastenay, détenteur d’une maîtrise en astrophysique de l’Université de Montréal, à titre de conseiller scientifique, puis d’agent de programmation.
À cette époque, le planétarium n’arrive pas à atteindre les nouveaux standards en muséologie scientifique, comme l’intégration d’une participation active du public, dans son scénario d’exposition, à cause de la désuétude de son bâtiment. Malgré tout, une partie des espaces est réaménagée pour intégrer de nouvelles technologies permettant aux visiteurs de passer d’un rôle passif à un rôle actif dans leur appropriation de certains concepts scientifiques. S’ajoutant à cette mesure, l’équipe du planétarium participe à la création d’expositions temporaires en partenariat avec divers organismes ou individus, dynamisant d’autant son offre muséale.
En 1993, le patronyme « Dow » disparaît du nom du planétarium qui est désormais englobé dans Muséums Nature Montréal. Le Club Espace, déjà bien établi depuis 1985, accepta de devenir la Société d’astronomie du planétarium de Montréal (SAPM). Elle offre désormais à ses membres des cours, l’accès à une bibliothèque, des conférences, des ateliers d’astrophotographie et organise des événements d’observation des astres, hors du planétarium, avec des équipements de pointe. La SAPM se dote également d’un bulletin d’information, l’Hyperespace et devient alors le regroupement d’astronomes amateurs comptant le plus de membres au Québec.
Dans le cadre des célébrations entourant son 30e anniversaire, le Planétarium de Montréal inaugure un site internet et met en opération la ligne téléphonique 861-CIEL en partenariat avec la SAPM. Il s’agit d’une ligne ouverte destinée à répondre aux questions du grand public concernant l’astronomie. Dès l’ouverture de ce service, les astronomes du planétarium répondent en moyenne à 1200 appels par année, certains phénomènes ayant suscité quelque 100 appels par jour13. Le public s’est ainsi fait raconter par des amateurs motivés des phénomènes marquants, telle la chute d’un météorite à Saint-Robert en juin 199414, ou encore l’éclipse partielle du soleil en mai de la même année15. En 1996, le planétarium commence aussi à produire des capsules hebdomadaires sur l’astronomie pour Météo Média, ainsi que des rubriques portant sur la voûte céleste, dans les journaux La Presse et Le Soleil16. À partir de l’hiver 1997, « Le petit Planétaire », un bulletin mensuel d’information sur les phénomènes astronomiques du moment, est offert gratuitement à tous les visiteurs du planétarium.
Vers le nouveau planétarium (2000-2011)
À l’aube du XXIe siècle, l’équipe scientifique du Planétarium de Montréal comprend désormais quatre astronomes et une demi-douzaine d’animateurs contractuels, pour la plupart étudiants en astrophysique17. En 1999, les Muséums Nature Montréal aident à la tenue d’un camp de jour intitulé Les Planétologues. Le planétarium de Montréal participe aussi à la publication de livres destinés aux enfants : Je deviens astronome18, La terre, la lune et le soleil19 ainsi que La tournée des planètes20. Parallèlement, Chasteney supervise la création de trois trousses éducatives destinées aux écoles, sur les thèmes du système solaire, de la Lune et de la planète Mars. La vulgarisation destinée aux enfants devient le cœur de l’offre de cette institution scientifique.
C’est finalement en 2006 que le projet de construction d’un nouveau planétarium, près du Biodôme de Montréal, est annoncé. En 2011, le regroupement Muséums Nature Montréal devient Espace pour la vie et le vieux bâtiment du planétarium de Montréal ferme ses portes en prévision du déménagement. Ses activités se poursuivent cependant, puisqu’il se procure alors un « planétarium » gonflable lui permettant d’animer des séances éducatives à travers le Québec.
Conclusion
Le cas du Planétarium Dow de Montréal fait ressortir l’impact de l’effervescence que connaît la métropole en vue de l’exposition universelle de 1967, l’influence de la conquête spatiale, ainsi que l’initiative personnelle de Pierre Gendron, vice-président de la brasserie Dow et grand promoteur de la science au Québec.
Initialement les premières activités de vulgarisation scientifique visaient d'abord le public adulte de la métropole.
Après le déclin de la conquête spatiale, le Planétarium de Montréal mise davantage sur le jeune public et les familles. L’offre est aussi diversifiée dans leur forme et certaines activités se donnent même hors de ses murs.
Le Planétarium de Montréal s’est aussi imposé comme une référence en astronomie auprès des Québécois grâce à la qualité des services offerts, la formation de son personnel et ses collaborations avec les médias. La création du club Espace, qui devient plus tard la SAPM, joue un rôle important dans la dynamisation des activités et témoignent du rôle clé des amateurs dans la vulgarisation de l’astronomie au Québec.
L’inauguration du Planétarium Rio Tinto Alcan de Montréal en avril 2013 a ravivé l’intérêt du public et des médias pour cette institution. Le planétarium est désormais doté de deux salles de spectacles complémentaires : le Théâtre des étoiles permet à un animateur qualifié d’expliquer les phénomènes célestes, et le Théâtre du chaos offre une projection spécialisée souvent de nature plus artistique. Cette double approche permet de rejoindre un public plus large, et reflète le désir de présenter l’astronomie non pas uniquement comme un ensemble concepts scientifiques et de phénomènes pouvant être expliqués, mais aussi comme une science ayant un impact important sur la culture, les arts, et la philosophie. La popularité incroyable de ses activités offertes dans le cadre de l’éclipse solaire partielle du mois d’août 2017, où 10 000 lunettes d’observation ont été distribuées, démontrent son importance dans le rayonnement de la culture scientifique d’ici. Bref, à l’aube de son 50e anniversaire, le planétarium montréalais continue de répondre à nos questions sur le ciel, et de provoquer de nouvelles réflexions sur notre place dans l’Univers.
- 1Cet article est une version écourtée du mémoire «Vulgarisation scientifique dans le Québec contemporain : le cas du planétarium Dow de Montréal», déposé à l’UQAM en Décembre 2014 et rédigé sous la direction de Robert Gagnon. Il n’aurait pu être réalisé sans la généreuse contribution du CIRST et de la SAPM.
- 2Richard A. Jarrell. The Cold Light of Dawn: A History of Canadian Astronomy , (Toronto: University of Toronto Press, 1988), 184.
- 3Pulp and Paper research institute of Canada. Who’s who in Canada: Pierre Gendron, (Toronto: International Press Limited, 1975), 4.
- 4Yves Gingras. Pour l’avancement des sciences: Histoire de l’ACFAS 1923-1993, (Montréal : Boréal, 1994), 71.
- 5Henri-Marc Côté. « Montréal aura son planétarium construit par la brasserie Dow », Le Devoir(22 décembre 1962), 1.
- 6Service des parcs de le ville de Montréal. « Nomination du Directeur Scientifique du Planétarium Dow», Communiqué de presse (16 novembre 1965), 1.
- 7Donald D. Davis. « New Skies for a New City », Sky and Telescope, 31, 4, (1966), 2-8.
- 8L’APC fusionnera avec l’Association Canadienne des Centres des Sciences (ACCS) en 1985.
- 9En 1967, le centre francophone de la SRAC adopte le nom de Société d’Astronomie de Montréal (SAM), mais ses activités au planétarium se poursuivent normalement.
- 10Agnès Gaudet. « Le soleil se couche sur la vie du prof Lebrun », Le Journal de Montréal, (24 octobre 2003), 1.
- 11Hugues Lacombe, Chronique de la Société d’Astronomie de Montréal (SAM) et du centre francophone de la Société Royale d’Astronomie du Canada (SRAC). (Site officiel de la SAM, 2006), 10.S
- 12André Luchaire. « Au planétarium, pause scientifique du midi des déesses Noût et Ti-Amat aux Quasars», La Presse, 9 novembre 1966, 1.
- 13Bédard, op, cit., 13.
- 14Grandchamps, André, Formation des personnes-ressources en sciences et technologies : les impacts météoriques, document de travail, (Laval : Commission scolaire de Laval, Centre de développement pédagogique pour la formation générale des sciences et technologies, 2005), 1-10.
- 15Radio-Canada. Le Soleil a rendez-vous avec la lune, (Montréal, Société Radio-Canada, 2008) 4 minutes.
- 16Pierre Chastenay remporte deux prix et de nombreuses mentions pour les capsules « Le Ciel de cette semaine » pour Météo Média.
- 17Il s'agit des astronomes Pierre Lacombe, Pierre Chastenay, André Grandchamps et Marc Jobin.
- 18Pierre Chastenay. Je deviens astronome. (Montréal, Édition Michel Quintin, 2002), 48.
- 19Pierre Chastenay. La Terre, la Lune et le Soleil, (Montréal, Édition Michel Quintin, 2004), 48.
- 20Pierre Chastenay. La tournée des planètes, (Montréal, Édition Michel Quintin, 2008), 48. Ces livres, écrits par Pierre Chastenay, sont vendus à la boutique du planétarium ainsi qu’en librairie et attirent l’attention sur l’institution grâce aux nombreux prix qu’ils remportent.
- Mireille Lacombe
Musée des maîtres et artisans du Québec
Mireille Lacombe est responsable de l'action éducative et culturelle au Musée des maîtres et artisans du Québec. Détentrice d'une maîtrise en Histoire des sciences de l'UQAM et d'un diplôme de deuxième cycle en Andragogie, elle se passionne pour la relation entre les publics et la vulgarisation scientifique et culturelle dans les milieux informels. Elle poursuit présentement une seconde maîtrise en gestion des organismes culturels à HEC Montréal.
Vous aimez cet article?
Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.
Devenir membreCommentaires
Articles suggérés
Infolettre