Aucune loi ne parle d’elle. Le juge n’en dit mot, il se limite à prononcer les paroles de la loi. Pourtant elle est bien là! Omniprésente ici et ailleurs, un véritable don d’ubiquité. Au Sud, elle maintient au pouvoir des élites qui accaparent les richesses de leurs jeunes nations : bonjour la pauvreté permanente, l’immigration économique et ses flots de morts en Méditerranée.
Aucune loi ne parle d’elle. Le juge n’en dit mot, il se limite à prononcer les paroles de la loi. Pourtant elle est bien là! Omniprésente ici et ailleurs, un véritable don d’ubiquité. Au Sud, elle maintient au pouvoir des élites qui accaparent les richesses de leurs jeunes nations : bonjour la pauvreté permanente, l’immigration économique et ses flots de morts en Méditerranée. Au Nord, elle détourne la démocratie par des financements atypiques des mouvements politiques, détruit la concurrence, cause des pertes d’emplois et flirte avec la criminalité organisée. Au Sud comme au Nord, on assiste à l’impuissance du droit actuel face à la « grande corruption ». Et le relativisme de la théorie du droit positif est en cause (partie 1). Il faut donc espérer que le pragmatisme de la postmodernité (partie 2) remette les pendules à l’heure.
1. L’impuissance du droit positif
À travers sa théorie de la pureté du droit, Hans Kelsen invite à distinguer la norme juridique de la proposition de droit. La première, c’est-à-dire, la norme juridique est un ordre, une prescription, un impératif créé par un organe institué. C’est par exemple le cas de l’infraction de « fraudes envers le gouvernement » définie à l’article 121 (1) du Code criminel. Alors que la seconde, c’est-à-dire, la proposition de droit est une série d’hypothèses prises, dans un contexte déterminé, à la suite de l’observation de la norme juridique. Tel est le cas du concept doctrinal de « grande corruption ». On appellera la première, droit positif; alors que la seconde est la science du droit. Celle-ci n’est dite pure que si elle se borne à la stricte observation de celle-là1.
En matière criminelle, la pureté du droit renvoie au principe de la légalité. Ce qui veut dire qu’un acte ne devient une infraction (droit positif) que si l’autorité compétente l’a ainsi désignée, en décrivant ses éléments constitutifs et en prescrivant la sanction attachée à la commission d’un tel fait. Or, les autorités compétentes pour poser la norme juridique sont imbriquées dans un système pyramidal où les normes inférieures ne sont valides que parce qu’elles sont conformes aux normes supérieures. Ainsi, les juges, les procureurs, les différents praticiens et observateurs du droit sont « incompétents » pour statuer sur un comportement illicite, non encore transformé par le législateur en infraction (voir Figure 1).
Il se pose, au regard de ce qui précède, la question de la catégorisation de la grande corruption. Constitue-t-elle, au Canada/Québec, une norme juridique? Non! Le droit positif, ici, renseigne seulement sur « la corruption de fonctionnaires, les actes de corruption dans les affaires municipales » (Code criminel, art.120 et svts); la corruption d’agents publics étrangers (Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, LC, 1998, c.34); la corruption en matière contractuelle dans les affaires publiques (loi concernant la lutte contre la corruption, RLRQ c. L-6.1).
Parce que le droit positif est rigide, parce que la norme inférieure n’est valide que si elle est conforme à la norme supérieure, et enfin, parce qu’en droit positif le juge est une autorité subalterne, la grande corruption n’est décrite nulle part. Le contribuable québécois s’est vu dans l’obligation de dépenser 44,8 millions de dollars pour que les actes constitutifs de grande corruption lui soient clarifiés, dans une infime partie de son administration publique. C’est la dialectique de l’arroseur arrosé : jadis, le droit positif, construit à la période de la construction de l’État-nation, caractérisait l’État fort. Car il symbolisait et appuyait l’unité nationale. Aujourd’hui, à défaut d’une adaptation pertinente de ce droit au contexte actuel, il est désormais à l’origine de l’État faible. Puisqu’avec l’émergence des droits de la défense et l’intelligence des criminels en col blanc, le juge n’a plus la capacité d’établir, hors du doute raisonnable, la responsabilité criminelle du délinquant présumé. Au surplus, il doit composer avec lui afin de sanctionner, éventuellement, ses complices2. D’où la recommandation 34 de la commission d’enquête Charbonneau, selon laquelle la recherche sur la collusion et la corruption doit être encouragée.
Cette ultime hypothèse de la lutte contre la grande corruption ne peut être vraie que si la science du droit est reçue en droit positif. Ce schéma inverse, qui va dorénavant de la science du droit vers le droit positif ne peut produire des résultats escomptés que si cette science, revigorée, se préoccupe moins de sa pureté que de la réalité sociale à observer. Il s’agit, en d’autres termes, du paradigme de la postmodernité (voir Figure 2).
Figure 2. Judiciarisation de la grande corruption (le droit postmoderne)
- Légende
- Dans un contexte postmoderne, la Figure 1 est substituée par la Figure 2.
- → (3 à 1) à partir des valeurs partagées dans une société, en un moment donné, le texte normatif est créé.
- → (1 à 2) à partir du texte normatif, les autorités judiciaires (police, procureur, juge) totalement indépendantes des autorités politiques statuent sur la norme individuelle. Ce qui suppose un rapprochement entre le statut du procureur et celui du juge, bref, une révision de l’organisation judiciaire.
- → (1 à 3) la valeur sociale partagée dans une société est une conséquence des critiques et des commentaires des décisions de justice et du texte normatif par les citoyens, les journalistes, les scientifiques, etc.
- Dans un contexte postmoderne, la Figure 1 est substituée par la Figure 2.
2. Le pragmatisme de la postmodernité
La grande corruption est une mutante. Ses éléments constitutifs sont dynamiques et évoluent en fonction de la législation en vigueur. Ce qui n’est guère surprenant puisque ses auteurs présumés se recrutent parmi l’élite de la société. Pendant ce temps, ses effets impactent sur des programmes gouvernementaux et sont à l’origine de la violation des droits économiques, sociaux et civils.
Dès lors qu’il devient évident que l’homme criminel contemporain n’est plus seulement un inadapté social, on se rend compte que le criminel décrit dans les doctrines pénales classiques n’a pas été saisi dans sa globalité. Ce qui permet de mettre en doute non pas la pertinence des solutions proposées pour protéger la société de la criminalité, mais leur exhaustivité. Il devient donc utopique de penser que la lutte contre la grande corruption pourrait se limiter à la mise en œuvre des seules recommandations d’une commission d’enquête.
La solution à la lutte contre la grande corruption est systémique. Elle suppose que la rigidité du droit positif soit suppléée par la flexibilité d’un droit postmoderne. C’est-à-dire, d’un droit qui s’adapte aux réalités sociales de son temps, aussi bien dans la définition dynamique de la grande corruption (Figure 3), que dans la judiciarisation de ce phénomène (Figure 2).
Figure 3. Définition de la grande corruption
- Légende
- → : Associer
- FL : Fonction Licite
- GJ : Gains (susceptibles d’être) Justifiés
- GNJ : Gains Non Justifiés
- MF : Manœuvres Frauduleuses
- FI : Fonction Illicite
- GNJ ou MF ou FI = Corruption
- FL ou GJ = Corruption si associés à GNJ ou MF ou FI.
- Simon-Pierre Hemle Djob Sotong
Université Laval
Simon-Pierre Hemle Djob Sotong a servi en qualité d’inspecteur de police au sein de la Délégation générale à la sûreté nationale (Cameroun). Il est actuellement candidat au doctorat à la Faculté de droit de l’Université Laval. Ses travaux s’articulent sur les mécanismes internes et transnationaux de lutte contre la corruption, les droits de la personne et le droit pénal dans leur aspect interne et international.
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