Les tensions commerciales et diplomatiques de l’heure nous rappellent la nécessité d’assurer nous-mêmes les moyens de notre résilience, de notre bien-être, de notre prospérité, de notre sécurité: force est de constater que nous ne pouvons pas miser de manière naïve sur les découvertes d’ailleurs ou sur des talents lointains pour soutenir notre qualité de vie. En fait, il n’y a point de contrôle sur notre propre destinée sans de grandes ambitions pour notre mobilisation en éducation, en recherche et en innovation. Mais ensuite, comment transformer cette énergie de la connaissance en puissance de progrès collectif?
Ce progrès dépend de trois conditions essentielles. 1. Mobiliser nos institutions du savoir comme l’incarnation de nos aspirations humanistes, sociales et économiques et ainsi, en particulier dans le contexte actuel, comme des atouts stratégiques sous-tendant l’intérêt national. 2. Encourager avec enthousiasme toutes les démarches personnelles de perfectionnement, et ce de la technique au doctorat, de la formation continue au projet de recherche avant-gardiste. 3. Harnacher cet appétit de perfectionnement et amorcer un chantier national de rehaussement des compétences dans toutes nos organisations, ministère et entreprises en valorisant le recrutement et la mobilisation de ces personnes qui ont investi temps et efforts à se perfectionner ainsi.
1. Nos institutions du savoir comme atouts stratégiques
Face au rôle que le savoir peut jouer pour une société, nous sommes à un point de grande divergence mondiale : dans plusieurs pays, on constate de grandes fragilisations des institutions soutenant une société libre et diversifiée. Dans cette mouvance, la cible d’attaque est inévitablement sur l’appareil scientifique, la liberté académique et sur le rôle-conseil de l’expertise.
Ailleurs, c’est à l’opposé que de nombreux pays s’engagent dans des ambitions majeures pour la mobilisation du savoir. Avec la tête haute et fière, ils revendiquent l’éducation, la recherche et l’innovation comme les piliers fondamentaux de l’intérêt national alliant souvent politique de recherche et d’innovation, politique industrielle, politique étrangère et parfois politique de défense.
Quelle voie souhaitons-nous adopter? Collectivement, nous privilégions résolument la seconde voie. Nous avions déjà des universités remarquables qui n’ont cessé de grandir depuis leur création. Ensuite il y a un peu plus d’un demi-siècle, le Québec a rêvé grand, et il a accéléré la cadence par la création des cégeps, des universités du Québec, de la première politique scientifique, et par la création de nombreux centres de recherche, départements et facultés (dont la mienne!). Plus récemment, notons nos diverses stratégies québécoises de recherche et d’innovation, ou la création du Fonds de recherche du Québec et du Conseil de l’innovation, et autres actions majeures de structuration de nos ambitions pour le savoir.
Ceux qui nous ont précédés nous ont placés sur une trajectoire de progrès, et leurs actions visionnaires expliquent notre qualité de vie aujourd’hui. Quel sera notre legs aux générations à venir? Nous devons revaloriser nos institutions du savoir et les placer au cœur de l’essor collectif. Les actions de nos pairs et de nos adversaires nous rappellent l’urgence de nous engager dans ce chantier. Ceux qui nous ont précédés nous rappellent notre responsabilité morale de le réaliser.
2. Encourager le perfectionnement et la curiosité tout au long de la vie
Est-ce que certaines formations ont plus de valeur que d’autres? Ne succombons pas aux jugements faciles. Notre vertige face aux bouleversements du monde doit nous inciter à la fois à la modestie et à l’audace. Nous devons être modestes par rapport à notre capacité à prédire ce qui sera utile ou important demain. Nous devons être audacieux par rapport à nos ambitions de perfectionnement continu de l’être humain.
Pour une petite nation paisible comme la nôtre, le perfectionnement continu de nos citoyens est une nécessité vitale. En valorisant la curiosité en elle-même, nous mettons en place le moteur puissant de la motivation intrinsèque, et nous pourrons alors développer les muscles du caractère qui nous permettront de sans cesse nous adapter et évoluer. Quelqu’un veut apprendre la soudure ou le coréen? Quelqu’un veut apprendre la programmation ou l’histoire? Nous ne devrions plus demander à quoi cela servira, car la vraie victoire est que nous avons devant nous un être humain qui veut grandir quand les ténèbres du monde essaient de le rapetisser. Ne regardons jamais de haut les formations plus techniques ou manuelles. Cessons d’être dubitatifs face aux maîtrises ou doctorats dans des domaines qui semblent ésotériques. Toutes les formations sont nobles et nécessaires.
Comment soutenir cet élan de la curiosité au-delà de ce que nous faisons déjà? Rêvons tout haut. Nous pourrions soutenir l’accumulation annuelle de crédits d’étude pour tout citoyen, crédits qui pourraient être utilisés dans tout cégep ou université pour quelque formation que ce soit. Dans un monde en changement, nous aurons besoin de plus en plus de ces magnifiques citoyens « augmentés ». Le perfectionnement continu ou plutôt le désir de perfectionnement deviendra une manière de soutenir nos choix de société au-delà des fracas du monde.
3. Les organisations doivent aussi grandir grâce au savoir
Différents indicateurs montrent que nos organisations, nos entreprises et nos ministères ont des défis réels face à la productivité. Nous travaillons très fort, mais travaillons-nous suffisamment intelligemment?
L’adoption large d’innovations technologiques, organisationnelles ou sociales requiert des personnes formées à la recherche, des personnes à l’aise avec la fine pointe de la connaissance et les outils et les pratiques avant-gardistes, des personnes capables d’amener et de traduire les meilleures idées provenant d’un peu partout. De quel genre de politique publique parle-t-on pour faciliter cette transformation? Pensons tout haut.
Pourrions-nous encourager le recrutement des diplômés formés à la recherche dans toutes nos organisations? Nous avons déjà diverses déductions ou crédits d’impôt pour soutenir les salaires des employés dédiés à la recherche et à l’innovation (et donc souvent des détenteurs de maîtrises et doctorats), mais devrions-nous aller plus loin? Imaginons un soutien salarial, des investissements directs ou d’autres actions budgétaires fortes pour soutenir toute organisation qui recrute des maîtrises ou des doctorats, que ces organisations soient actuellement ou non impliqués dans des activités d’innovation. Cela permettrait par exemple à nos très nombreuses petites et moyennes entreprises de développer leur capacité d’innovation même si elles n’ont pas encore les capitaux, les projets d’innovations ou la capacité organisationnelle de bénéficier des crédits divers liés à l’innovation. Rehaussons notre capital humain tous azimuts et ensuite les projets de cette relève formée à la recherche nous guideront plus haut et plus loin.
Savoir, c’est pouvoir
Point de pouvoir sur notre destinée sans un accès privilégié aux talents et aux idées d’avant-garde. Point de développement économique ou de gains de productivité ou de bonne gestion des fonds publics sans la mobilisation des leviers d’innovation et de l’expertise. Point d’avenir heureux sans une confiance que nos enfants pourront construire un avenir meilleur grâce à leur tête bien formée et la poursuite de leurs rêves.
De manière plus large, ces constats doivent sous-tendre nos ambitions humanistes. Sommes-nous les êtres humains dignes et fiers, libres et prospères, vigoureux et généreux que nous pouvons être? L’éducation en général rend ces objectifs possibles, et ce sont l’enseignement supérieur et la recherche qui nous permettront de réaliser ces potentiels chez les personnes et les collectivités. À nous de soutenir et mobiliser nos institutions du savoir comme les atouts stratégiques nationaux qu’ils ont toujours été. Ensuite, pour que le progrès soit large et généreux, il faut aussi répandre l’élan du perfectionnement continu chez tous nos concitoyens et dans toutes nos organisations. À nous d’induire l’élan de la société apprenante qui nous permettra de construire l’avenir plutôt que le subir. Car savoir, c’est pouvoir.
- Frédéric Bouchard
Université de Montréal
Professeur de philosophie et doyen de la Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal.
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