Albertaine et anglophone, j’étais un peu éloignée des réalités propres aux communautés francophones. Mes parents m’ont inscrit à un programme d’immersion française dès la maternelle. J’ai alors perçu peu à peu les relations de pouvoir entre groupes majoritaires et minoritaire,ainsi que l’importance de la protection des droits linguistiques dans l’Ouest canadien.
Immersion française
J’ai été du programme d’immersion française durant toute ma formation primaire et secondaire, puis j’ai poursuivi mes études au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, où je me suis familiarisée avec la minorité française canadienne, et plus particulièrement celle des provinces de l’Ouest. L’assimilation à laquelle les Franco-albertains ont été confrontés est devenue particulièrement apparente lorsque j’ai suivi des cours d’histoire sur les francophonies canadienne et albertaine. Mon intérêt s’est donc intensifié en étudiant le statut des minorités francophones et le manque de financement et d’appui qu’elles reçoivent alors que le Canada prétend fièrement, sur de nombreuses tribunes, être bilingue. C’est notamment ce qui m’a poussée à vouloir en savoir plus sur l’affaire Caron et par extension, sur le refus véhément de l’Alberta de faire respecter les droits linguistiques existants avant que la province ne soit créée en 1905 en se déclarant unilingue francophone. À mes yeux, cette résistance est fascinante. Les Canadiens français font partie intégrante de l'identité du Canada, mais leurs besoins, leurs droits et leur identité sont souvent ignorés par la majorité anglophone.
La cause Caron
C’est dans ce contexte que j’ai suivi le programme des « Apprentis-Chercheurs » du Campus Saint-Jean à l’été 2018. Chaque année, ce programme octroie des bourses aux étudiants du baccalauréat pour les initier au milieu de la recherche universitaire sous la supervision d’un-e professeur-e. J’y ai alors analysé les trois jugements principaux qui composent l'affaire Caron qui débute en 2003 au moment où Gilles Caron est condamné pour un virage à gauche illégal. Sa contravention est en anglais seulement. Il affirme alors que le document unilingue porte atteinte à ses droits linguistiques en tant que francophone. Les trois jugements que j’ai analysés sont la première instance réalisée devant le tribunal provincial par le juge Leo Wenden, la deuxième le sera devant le tribunal du banc de la Reine rendu par le juge Eidsvik et enfin, il y aura le jugement de la Cour suprême du Canada. Cette recherche visait à prouver qu'il existe une tension entre deux perspectives concurrentes du droit. D’un côté, certains jugements (Wenden, juge et dissident de la Cour suprême) reconnaissent la validité de la preuve historique, alors que les autres la rejettent pour privilégier le respect des formalités légales. Mon projet a fourni également une analyse critique de ces jugements en évaluant quel raisonnement est le plus responsable lorsqu'on considère la vitalité et la longévité de la communauté franco-albertaine.
Leçons tirées
Cette recherche a influencé ma vision de la société de multiples façons. Premièrement, j’ai vu que le système judiciaire favorise les personnes appartenant à la majorité culturelle et ethnique, réalité très évidente dans l'affaire Caron. La défense a présenté des preuves très convaincantes, bien documentées et fondées, que les Cours (la Cour du banc de la Reine et le jugement des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada) ont rejetées parce qu’elles ne correspondaient pas à la jurisprudence1. Cela illustre les difficultés que rencontrent les minorités dans un système où des normes déjà établies ne prennent pas en compte leur statut légal, leur identité et leur conception de l’histoire.
Deuxièmement, j’ai pris conscience que le système judiciaire peine à accepter ou à intégrer les preuves historiques. La cause Caron démontre bien que lorsque la preuve est essentiellement historique, on se retrouve face à plusieurs interprétations de l'histoire. Le système légal, du fait de sa structure, peut écarter la légitimité des multiples lectures de l'histoire afin de trancher. Pourtant, « le droit donne à l’interprétation des événements historiques un caractère définitif, alors que, selon l’historien professionnel, cela n’est pas possible »2. Décider qui gagne ou qui perd dans ces cas n'est pas nécessairement l’objectif principal ni le moyen d’action le plus efficace. L’historien Dustin McNichol a commenté cette tendance dans sa thèse de maîtrise : « le travail des historiens experts est souvent nommé, de façon péjorative, "Courtroom History", ce qui dénote une utilisation de données et des théories de façon sélective afin de promouvoir les buts de leurs clients »3. En conséquence, le rôle de l'histoire est dévalorisé et son potentiel d'autorité réelle est miné. Cela empêche alors un traitement libéral et généreux des droits des minorités de manière.
Cela m'a indiqué, en tant que jeune chercheuse, que des recherches supplémentaires sont nécessaires dans le domaine des droits linguistiques des francophones de l'Ouest canadien. C’est pourquoi je souhaite poursuivre mes études en droit afin non seulement de fournir des recherches sur la manière la plus responsable d’agir en ce qui concerne l’octroi des droits linguistiques provinciaux, mais également pour étudier les processus judiciaires qui mènent à des changements institutionnels.
L’assimilation à laquelle les Franco-albertains ont été confrontés est devenue particulièrement apparente lorsque j’ai suivi des cours d’histoire sur les francophonies canadienne et albertaine.
Poursuivez votre lecture des autres récits du dossier :
- Un chemin toujours à tracer, mais jamais seul, par Jérôme Melançon, Université de Regina
- À la recherche des francophonies de l’Ouest et de mon identité, par Rebecca Lazarenko, Université York
- Étudier la francophonie canadienne, entre justice et vérité, par François-Olivier Dorais, Université du Québec en Outaouais
- Parcours d’une ancienne « jeune engagée », par Stéphanie Chouinard, Collège militaire royal du Canada et Université Queen's
- Sommaire du dossier
- Brenna HaggartyÉtudiant·e au deuxième cycle universitaireUniversité de Calgary
Brenna Haggarty a récemment obtenu son baccalauréat du Campus St-Jean de l'Université de l'Alberta, avec une majeure en sciences politiques et une mineure en histoire. Elle commencera son juris doctor (JD) à l'Université de Calgary en septembre 2019, où elle participera au programme de common law en français et continuera à se concentrer sur les besoins de la minorité franco-albertaine. Elle a participé à l'été 2018 au programme d'apprentis-chercheurs, destiné aux étudiants de premier cycle qui souhaitent découvrir le monde de la recherche, sous la direction de la professeure Valérie Lapointe-Gagnon. Ses recherches ont porté sur la promotion et la vitalité de la communauté franco-albertaine, à travers une analyse de la cause Caron.
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