Autour des 100 ans de Brenda Milner, tout de sortes d’éléments, voire d’événements, ont surgi spontanément ou mûri lentement au cours de l’été 2018, de la fête anniversaire de son centième au mois de juillet, par des collègues du Neuro, à la création du sigle symbolique, ce doublé d'hippocampes, marquant l’historique passage, et de la publication hommage dans les pages mêmes de Brain, la revue britannique qui accueillit naguère ses premières découvertes fondatrices, jusqu’à ce Symposium du Centenaire, les 6 et 7 septembre 2018, à Montréal.
Car 100 ans, ça se souligne; et d’abord, ça se visualise, irait-on jusqu’à dire.
Et quoi de mieux, pour évoquer de la grande Dame, et ses travaux reconnus maintenant parmi les toutes premières fondations de la neuropsychologie moderne, que de rameuter ici, ces représentants aux formes vaguement chevalines, hippocampes1 issus de ces innombrables petits « peuples » de l’eau, dont le nom fut retenu pour marquer l’identité de formes similaires à l’intérieur du cerveau, et sans lesquels – Brenda Milner la première qui l’aura démontré – faire mémoire est impossible.
Brenda Milner fut donc la première au monde à démontrer que ces deux petites structures cérébrales « aux formes vaguement chevalines », les hippocampes, issues des profondeurs de nos deux lobes temporaux, étaient un passage obligé pour la consolidation des sensations immédiates en une mémoire durable, c’est-à-dire à « long terme ». Elle le fit d’abord en travaillant avec deux patients du Dr Wilder Penfield à Montréal, ensuite au Connecticut avec un malade américain devenu célèbre sous ses initiales H. M. Souffrant de formes d’épilepsies totalement réfractaires à toutes médications, ces trois personnes étaient devenues inaptes à se constituer une mémoire autre qu’immédiate – mais peut-on encore parler de mémoire? – à la suite de neurochirurgies encore expérimentales qui les laissa irrémédiablement handicapés.
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100 ans, ça se retrace si on a affaire à une scientifique ayant marqué l’histoire, ça se balise aussi. Ça se fonde en repères multiples grâce au tracé constitué par le flot continu des publications parues dans les revues spécialisées de chaque domaine d’élection : ici, la neuropsychologie. Et ça se retrace d’autant mieux lorsqu’on a affaire à une scientifique au long cours qui cumule, depuis ses débuts, datant de 1944, 74 ans de vie professionnelle, ralentie certes depuis quelques années par l’âge, et une hanche fracturée (et « réparée ») au début de sa dixième décennie, mais jamais ininterrompue pour autant : en témoigne son bureau toujours occupé du 6e étage, sis dans la vieille partie du NEURO fondé en 1934, qui la voit encore surgir hebdomadairement.
Dans cette veine, le 9 juillet 2018, à une toute petite semaine de l’historique franchissement que représentait, pour Madame Milner, le jour de ses 100 ans (bien exactement le 15), était publié à son sujet, courant sur cinq pages, un précieux « papier » dans la revue britannique Brain. Celle-là même, se souviennent les historiens de la neurologie, qui avait accueilli au tournant des années 1950 et 60, les fameux résultats des études de Brenda Milner, cosignés avec les neurochirurgiens Wilder Penfield et William Scoville (1906-1964), où la neuropsychologue, à partir de trois patients tragiquement cérébrolésés, avait établi – alors qu’elle franchissait à peine le cap de sa quarantaine, mais qu’elle entrait déjà dans l’histoire de la médecine – la localisation, dans une structure cérébrale précise, de l’une de nos fonctions mnésiques-clés. Cette fonction, assurée par les deux hippocampes, se révélera être la « construction », d’une mémoire « embarquée », c’est-à-dire cette mémoire à long terme essentielle à notre identité, chargée de nous accompagner jusqu’au bout du voyage, jusqu’au bout de la nuit, aurait dit Céline…
Dans l’article, Brenda Milner on her 100th birthday : a lifetime of ‘good ideas’, les auteures, Watkins and Klein, deux anciennes postdoctorantes de Madame Milner, résument l’impact de ses travaux dans les champs de la neurologie et de la neuropsychologie, et elles revisitent l’héritage toujours bien vivant pour les nouvelles générations de neuroscientifiques. Elles tracent un portrait aussi exhaustif qu’affectueux de leur mentore, allant jusqu’à citer dans leur titre les mots de celle qui qualifie son existence centenaire comme « a lifetime of ‘good ideas’ ». L’expression est loin d’être anodine.
Les « bonne idées », à la façon Milner, plongent tout entières leurs racines dans un des traits forts de la chercheuse : « W]hat is good about me is I noticed quirks in behaviour and wanted to measure them, I had good ideas »2, a-t-elle confié à Watkins et Klein. Depuis toujours, et déjà toute petite, c’est une capacité de « voir », et ici de voir le patient, chaque patient, mais pas seulement, l’humain bien portant aussi qui traverse « son paysage », l’humain de tous les jours, quel qu’il soit… porteur de singularités, de particularités : bizarreries, traits d’esprit, traits de langage. Le regard qui engage. Toutes choses remarquables dans l’agir, l’allure ou le dire. Remarquables dans le sens littéral du terme : c’est-à-dire « qui se remarquent », à plus forte raison quand on habite un laboratoire, en milieu médical, où patients et chercheurs se rencontrent dans le couloir. Ainsi l’a fermement souhaité, ce croisement obligé, allant même jusqu’à l’inscrire dans ses croquis et esquisses, avant même les premiers dessins architecturaux, de l’Institut et Hôpital neurologiques de Montréal, son fondateur et premier directeur. de 1934 à 1959 : Wilder Graves Penfield (1891-1976). Ainsi poursuivent les deux auteures de l’article : « Brenda’s careful observations of patients like HM, PB and FC [les trois malades cérébrolésés évoqués plus haut] reflect characteristics of her personality in terms of a genuine interest in people and natural curiosity or ‘nosiness’ […] » .
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Mais c’est encore autre chose précieuse ici, en terminant, que de savoir que des extraits du Centennial Symposium en hommage à Brenda Milner sont accessibles en ligne, à tous et à toutes.
Redonnons enfin ici le Programme de l’événement.
Et souhaitons-nous, ainsi qu’à madame Milner, un Symposium (re)mémorable!
- 1Il existe, dans le monde marin, nous dit Wikipédia, réparties dans les eaux tempérées et tropicales partout sur le globe, une cinquantaine d’espèces de poissons dits hippocampes (Hippocampus) – du grec ἵππος, híppos, « cheval » et de κάμπος, kámpos, « poisson marin », que l’on appelle aussi, familièrement, chevaux de mer.
- 2« Ce qui est bien avec moi, c’est que j’ai toujours été porter à noter les moindres singularités apparaissant dans le comportement des individus et, de là, vouloir les mesurer précisément; cela me donnait de bonnes idées [de recherche]. » (Notre traduction)
- Luc Dupont
Journaliste scientifique et UQAM
Colauréat de la Bourse Fernand Seguin (1983), récipiendaire du prix Molson de journalisme (1991), Luc Dupont poursuit depuis 1985 une carrière en journalisme scientifique, avec une spécialisation de plus en plus accrue du côté de la médecine. À ce titre, il réalise actuellement, de concert avec le Pr Denis Goulet, une Histoire de la recherche biomédicale au Québec. Il compte terminer, d'ici à 2020, une maîtrise en Science, Technologie et Société à l'Université du Québec à Montréal.
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