En ville on se plaint du brouhaha, ici il est essentiel.
[Colloque 302 : Sémiotique appliquée, sémiotique applicable, nouvelles méthodes : 12e Colloque de sémiotique de la Francophonie]
On a souvent une musique dans la tête et ceux qui ont la grosse tête aiment bien s’écouter parler. Même si on préfèrerait que ceux-là ferment leurs clapets, c’est rudement pratique d’entendre, à tel point qu’on ne s’en rend plus compte. La dernière fois que vous avez fermé les yeux et tenté de marcher dans la rue juste à l’aide de vos oreilles, c’était quand ?
Le monteur son, lui, ne peut se passer des siennes, pour entendre, mais surtout pour écouter, les yeux ouverts. Rémi Adjiman et Jean-Michel Denizart, chercheurs en sémiotique appliquée aux médias et à l’audiovisuel du laboratoire ASTRAM, Université d’Aix-Marseille, s’intéressent au sort de ce technicien de « l’habillage », oh combien important, dans la chaine de post-production cinématographique. Leur projet, une première, est de réaliser une base de données, Sons du Sud, qui répertorie les ambiances sonores selon le point de vue du monteur son.
Monter en mayonnaiseUne ambiance sonore, c’est l’arrière-plan sur lequel s’appuient les autres sons du récit tels que les voix et la musique, et qui vient vêtir la vidéo éditée. En ville on se plaint du brouhaha, ici il est essentiel. C’est une « mêlée dense, indivisible, qui subjugue, disent nos chercheurs marseillais. Nos intentions d’écoute sont guidées par le son, on veut le décrypter, dégager le saillant du bruit ».
Démonstration.
Nous écoutons un extrait d’ambiance sonore et fonçons yeux fermés dans le trafic, sans sortir de la salle : un centre-ville grouillant de piétons, véhicules et divers objets mouvants. C’est ce qu’on imagine ! L’esprit se met à l’œuvre, on distingue, on perçoit, puis on voit de quoi il s’agit. La production cinématographique veut que l’image, « flux continu, constamment disponible », définisse le champ des possibilités du son, « flux à décroissance rapide qui se déchoit au rang d’indice ». Les deux cohabitent, correspondent, mais pas sans une tierce partie, l’interprétant. Notre intentionnalité est sans cesse mobilisée ; à l’écoute de chaque nouvel élément sonore on questionne l’image, on fabrique du sens.
Nous servons de cobaye pour une deuxième écoute.
L’extrait sonore repasse, cette fois sur fond d’image, celle d’une route de campagne se faufilant à travers champs de blé. Coupure sémiotique radicale : image et son ne collent pas. Même le pire navet hollywoodien ne se permettrait pas un tel impair.
La troisième écoute est la bonne : les chercheurs projettent une image du centre-ville de Marseille, ça fait sens, à tel point qu’on se prend à rêver d’un pastis et d’une partie de pétanque à Rimouski !
Revenons à notre monteur son. Son intentionnalité est régie par des impératifs bien moins fantaisistes : l’image même, mais aussi l’intégration des sons directs issus du tournage, le nombre de sources sonores, les intentions du réalisateur, le genre filmique… Autant d’éléments contextuels que les recherches de Rémi Adjiman et Jean-Michel Denizart tentent de définir pour ériger leur base de données. Car le son est polysémique et de nos intentionnalités, individuelles, on en tire du sens, des caractéristiques. Si vous ne voyez toujours pas de quoi ça parle, fermez donc les yeux et ouvrez-moi ces oreilles !
- Sébastien Danan
JournalistePrésentation de l’auteurSébastien Danan est diplômé de l’Institut de la Communication et des Médias de l’Université Stendhal, Grenoble, et plus anciennement de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Bilingue et touche à tout, Il a travaillé et vécu en France, en Angleterre, le pays de son enfance, en Afrique du Sud, au Luxembourg et en Turquie, dans la communication mais aussi comme assistant de prof, technicien de théâtre et ouvrier du bâtiment, entre autres. Abreuvant sa soif de vadrouille et de découverte des cultures, il se trouve maintenant en stage à l’Acfas jusqu’à fin août, et participe donc au Congrès à Rimouski. Photographe et blogueur (shakeabone.wordpress.com), son expérience d’écriture est surtout académique et embrasse les sciences sociales, mais Sébastien aime rendre compte de tous genres de sujets, non sans un brin d’humour.
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