515 - L’argumentation à apprendre et pour apprendre : approches disciplinaires interdisciplinaires et transversales

L’enseignement de l’argumentation en classe de français au secondaire est fortement empreint de la culture éducative qui s’est installée au Québec dans ces classes depuis le programme d’études paru en 1995. Dans ce programme et le suivant, les connaissances sont organisées à partir de l’approche par texte qui met l’accent sur la structure prototypique des textes. Ce choix a participé à une dérive didactique : la coupure entre les textes les contextes qui les rendent vivants. Ainsi désincarnés, ils sont devenus des objets inanimés. 

Les conséquences de cette dérive sont grandes pour l’apprentissage de l’argumentation qui souffre, de surcroit, du joug qu’infligent deux épreuves ministérielles en écriture. À l’heure actuelle, on enseigne l’argumentation essentiellement pour préparer les élèves à ces épreuves. Dans les meilleurs cas, on élude la grande variété des discours argumentatifs en se limitant à l’argumentation persuasive comme modèle à suivre.

Cette communication propose une conceptualisation de l’enseignement de l’argumentation pour la classe de français ancrée aux principes des «éducations à». Ce faisant, l’argumentation passerait d’un objet à une pratique, offrant un pouvoir d’agir, un regard critique, pluriel et interdisciplinaire et un sens aux apprentissages. Cette proposition, assez radicale, ne vient pas sans de nombreux défis. Mais le statu quo est grave pour nos jeunes qui naviguent dans un monde où de solides compétences argumentatives sont devenues capitales.

Le langage écrit porte une valence épistémique et devient un moteur d’apprentissage pour toutes les disciplines scolaires (Blaser et Chartrand, 2009; Pomerleau et Makdissi, 2023). Malgré des pratiques décontextualisées souvent centrées sur l’orthographe (Prince, 2011), les recherches convergent sur la nécessité de favoriser l’écriture de textes par les élèves afin qu’ils s’approprient les caractéristiques liées aux genres discursifs (Adam, 2015; Allal, 2015; Dolz-Mestre et Abouzaid, 2015). Un des genres permettant de raffiner l’argumentation est la lettre d’opinion. Si la fonction de cette dernière est de convaincre un destinataire (Chartrand et Elghazi, 2014), sa rigueur reposera sur l’organisation de l’argumentation ancrée dans un raisonnement causal entre prémisse, raisons, faits mettant en relief une prise de position univoque. Le but de la présente communication est de décrire la capacité des élèves à s’exprimer sur et par des arguments en contexte d’écriture de lettre d’opinion dans une telle démarche d’écriture. La démarche de réécriture accompagnée adaptée de Prince (2011) a été réalisée et filmée dans une classe de 20 élèves d’une classe jumelée de 3^e cycle primaire. À partir des transcriptions verbatim, des analyses qualitatives du discours, de nature inductive, catégorisent les interactions enseignant-élèves et élèves-élèves en fonction des éléments constitutifs du genre incluant la construction de l’argumentation à même l’acte d’écrire.

Dans le cadre de nos travaux (Adihou & Marchand, 2010; 2024; 2018) nous avons étudié les trucs mathématiques (TM). Ce sont des raccourcis utilisés en classe et des procédés astucieux, économiques et faciles pour résoudre des activités mathématiques et réaliser des tâches mathématiques (Loock, 2006). Ils engendrent des fausses conceptions et des difficultés en enseignement-apprentissage s’ils sont utilisés d’une manière « mécanique » sans compréhension. Nos travaux ont permis de démontrer le potentiel des TM en enseignement-apprentissage par des analyses mathématiques et des activités mathématiques riches avec l’argumentation. Des types de tâches pour développer des compétences argumentatives ont été conçus (Adihou & Marchand, 2018). L’argumentation est au cœur des savoirs mathématiques et a nourri plusieurs recherches en didactique des mathématiques (Balacheff, 2022). Pour raisonner, expliquer, valider, prouver, démontrer, etc, l’argumentation est nécessaire avec les outils et objets mathématiques que sont les propriétés, les définitions, les théorèmes, les axiomes etc. La proposition se situe dans les axes 1 et 3. À partir de TM, nous expliciterons des contenus mathématiques et montrerons comment nos tâches conçus valorisent l’argumentation pour développer des compétences à argumenter ou à contre-argumenter; et à déconstruire des fausses conceptions dans l'acquisition et la construction des savoirs mathématiques, leur évolution et le développement de la pensée mathématique.

La philosophie est, depuis ses origines, considérée comme l’une des disciplines par excellence pour maitriser les rouages du bien penser. D’où l’attention dirigée, notamment, sur les principes de logique, les processus argumentatifs ou encore la pensée critique. La formation philosophique aboutit d’ailleurs régulièrement à la production d’un texte argumentatif, principalement sous la forme de la dissertation. Plus récemment, des études (essentiellement menées par Marie-France Daniel) ont montré que la pensée critique des enfants, à partir d’un jeune âge, se développe lorsqu’ils sont mis au défi de réfléchir ensemble à l’intérieur de dialogues philosophiques (Daniel, 2005; Daniel et al., 2017). Ces études ont permis de remettre en cause les idées reçues selon lesquelles la pensée critique est inaccessible aux enfants. En revanche, celles-ci ne permettent pas d’examiner si et dans quelle mesure la pensée critique mobilisée en philosophie pour enfants est alimentée par des processus argumentatifs. Or, en théorie, ceux-ci sont parfois considérées complémentaires en tant que les arguments figurent parmi les objets sur lesquels porterait la pensée critique, de nature plus évaluative. C’est au regard de ces relations entre processus argumentatif et pensée critique en situation de pratique de la philosophie avec les enfants que sera structurée notre communication. Pour ce faire, nous prendrons appui sur l’analyse de 12 ateliers de philosophie menés en classe primaire.  

L’enseignement de la philosophie vise à développer les compétences argumentatives des élèves à travers des activités orales collectives. Or, ces situations d’échanges sont traversées par des enjeux interactionnels complexes car elles engagent non seulement leur rapport à eux-mêmes, aux autres et aux savoirs (Charlot, 1997 ; Caillot, 2001 ; Gagnon, 2011), façonnés par leurs expériences antérieures et leurs croyances épistémiques (Kuhn et Dean, 2004), mais aussi leur souci de préserver leur image sociale dans l’interaction (Goffman, 1974), particulièrement saillant dans des contextes pédagogiques où l’exposition de soi, l’évaluation implicite ou explicite par les pairs et l’enseignant, sont omniprésentes. Ce double enjeu peut affecter leur engagement dans l’argumentation, en influençant la manière dont ils prennent la parole, confrontent des idées, justifient leurs positions et gèrent le désaccord. 

Cette communication explore ces dynamiques en analysant un corpus de plusieurs débats filmés en classes de philosophie en terminale, selon une approche interactionniste et discursive inspirée de Mercer (1995). Notre analyse cherche à comprendre comment des interventions épistémiques et épistémologiques peuvent être mobilisées comme stratégies de travail des faces, et inversement, comment la gestion de l’image sociale influence les rapports aux savoirs, en modulant la prise de parole, l’affirmation des positions et l’adhésion aux normes de validité du savoir.

La Philosophie pour Enfants et Adolescents (PPEA) repose sur un dialogue intersubjectif favorisant coopération et ouverture d’esprit. Ce dialogue vise à construire collectivement des idées et à reconnaître l’altérité, en déconstruisant les rapports de force. Toutefois, dans la pratique du dialogue philosophique, si la coopération fonctionne pour conceptualiser et problématiser, elle devient plus difficile lors de l’argumentation. Cette dernière tend à être perçue comme un affrontement où chacun cherche à convaincre, soulevant la question d’un lien trop étroit entre argumentation et force. La PPEA, inspirée de Dewey, défend une démocratie coopérative plutôt qu’agonistique. Faut-il alors éliminer les rapports de force ou reconnaître une valeur constructive au conflit ? L’argumentation agonistique est-elle forcément opposée à l’intersubjectivité ? Pour y répondre, une analyse des concepts d’intersubjectivité, d’argumentation et de leur rapport à la coopération et à la démocratie sera menée.

La biodiversité, essentielle à la santé des écosystèmes, représente un enjeu majeur pour les sociétés actuelles et pour l’éducation. Son déclin appelle à des mesures politiques et économiques pour une conservation durable (Dasgupta, 2021; Mace et al., 2018), mais aussi à une compréhension globale et nuancée, particulièrement chez les jeunes (Manfredo et al., 2016). Cependant, la complexité de la biodiversité pose des défis pour son enseignement et son apprentissage (Barroca-Paccard, 2021; Bermudez et Lindemann-Matthies, 2020) nécessitant la maîtrise de l’argumentation (Lee et al., 2019; Barroca-Paccard, 2015). Pour la développer, il est essentiel d’exposer les élèves à des outils favorisant l’évaluation d’arguments variés. Parmi ces supports, les manuels scolaires au Québec occupent une place centrale (Lebrun et Niclot, 2009). Dans ce contexte, cette étude qualitative analyse deux manuels de sciences et technologies au secondaire à l’aide d’une grille inspirée de Hasni et al. (2005). Les résultats préliminaires montrent que si les enjeux économiques, éthiques et écologiques sont abordés, ils restent cloisonnés à une ou deux perspectives, limitant la compréhension des interdépendances. Les arguments anthropocentrés dominent souvent avec un chevauchement occasionnel des perspectives écocentrées. Les dilemmes éthiques liés à la biotechnologie sont bien justifiés, mais les exercices argumentatifs ouverts et les études de cas impliquant tous les acteurs sont sous-représentés.

Le discours rapporté se trouve être au service de l’argumentation. En tant que fait de langue, il expose des idées diversifiées tout en mettant une emphase sur le développement de la pensée critique. Dans les récits littéraires, comme c’est le cas chez Ahmadou Kourouma, le discours de l’autre favorise une interruption discursive créant ainsi une polyphonie narrative. Un tel jeu langagier aux enjeux pluridimensionnels invite le lecteur à interpréter des points de vue divergents. Cette contribution propose, également, une méthode pédagogique du discours rapporté en tant qu’outil d’enseignement de l’argumentation en contexte éducatif. S’appuyant sur la linguistique énonciative (Benveniste, 1966), l’étude examine la manière dont le discours rapporté introduit des controverses sous-entendues, suscite des tensions argumentatives et encourage la pensée critique chez les apprenants.

Le cadre méthodologique est adossé à l’analyse de corpus littéraires, en l’occurrence les œuvres de Ahmadou Kourouma, tout en mettant en relation la perspective polyphonique et la dynamique argumentative. Enseigner donc le discours rapporté revient à renforcer la compétence structurelle des élèves et leur capacité à évaluer des arguments de manière critique. 

Le nouveau programme Culture et citoyenneté québécoise (CCQ, Gouvernement du Québec, 2024) prescrit le développement des habiletés de pensée critique (PC) et de dialogue au primaire. Le curriculum de plusieurs pays, comme la Pologne, la France et la Suède, mise aussi sur le développement de ces habiletés par le biais de l’éducation cinématographique et d’activités suivant le visionnement des films comme la discussion et le débat. Par une approche dialogique qui engage l’argumentation, le film devient un outil pédagogique efficace pour amener les élèves à développer la PC et le dialogue  (Cromarty, Young et Elias, 2023). Or, malgré plusieurs rapports recommandant l’implantation d’un programme d’éducation cinématographique au Québec pour favoriser le développement, entre autres, des habiletés de PC et de dialogue (Décarie, 2011), cette approche reste peu exploitée au primaire. Cela soulève la question suivante: comment le film pourrait-il servir le développement des habiletés de PC et de dialogue des élèves du primaire selon les recommandations du programme CCQ? Cette présentation exposera quelques définitions de la PC et explicitera son rapport avec l’argumentation, puis rapportera les résultats de recherches établissant des liens entre le développement des habiletés de PC et l’éducation cinématographique afin de préciser des interventions éducatives pertinentes pour le primaire (Bácares Jara, 2023; Gołębiowska, Kołodziejczak, Dowgiel et Kanownik, 2017; Janson, 2019).  

L'argumentation constitue l’une des préoccupations majeures de l’éducation scientifique, concrétisée par des efforts de développer cette compétence chez les élèves (Dawson, 2023). Pour se faire, les pratiques d’enseignement jouent un rôle clé (Bächtold et al., 2023). Par ailleurs, maints auteurs montrent que le personnel enseignant éprouve généralement des difficultés avec l'argumentation (ex. Khishfe, 2014; McNeill et Knight, 2013), car il manque de connaissances et de compétences nécessaires pour soutenir son opérationnalisation en classe. Face à ce constat, des travaux de recherche (ex. Dawson et Venville, 2010; Sampson et Blanchard, 2012) recommandent d’accompagner ce personnel, par la recherche, dans son développement professionnel (DP). Dans ce cadre, nous menons actuellement une recherche doctorale, s’inscrivant dans le cadre d’un grand projet CRSH (Hasni et Dumais, 2023-2027), qui vise à accompagner le personnel enseignant des sciences et technologies au secondaire au Québec dans son DP, dans le cadre d'une recherche participative de type Design-Based-Research (Brown et Taylor, 2016). Lors du colloque, nous comptons présenter par affiche 1) la problématique qui justifie notre recherche d’un point de vue scientifique et sociale ; 2) notre cadre conceptuel autour de l’argumentation et du DP, dans une perspective didactique ; 3) des pistes méthodologiques qui s’alignent avec le projet CRSH en question.

Cette communication présente les résultats d’une étude pilote sur les paradigmes de formation en entrainement sportif dans lesquels les entraîneurs ivoiriens de handball fondent leurs pratiques pédagogiques auprès des joueurs d’élite de handball. Pour ce faire, deux entraineurs de club dans le championnat de 1^ère division ont participé à des entretiens individuels semi-dirigés d’une durée de quarante minutes environ chacun. Après avoir retranscrits intégralement les entretiens, une analyse de contenu de ces derniers a été effectuée à partir d’une grille d’analyse constituée de principaux éléments caractérisant le behaviorisme et le cognitivisme en entrainement sportif. Les résultats révèlent, de manière globale, que les deux entraineurs inscrivent leurs pratiques d’entrainement dans des paradigmes de formation opposés. Si l’un fonde ses pratiques d’intervention en entrainement dans le paradigme cognitiviste et inclusif impliquant un mode argumentaire participatif et partagé avec les joueurs, l’autre s’appuie davantage sur le behaviorisme lors de l’entrainement de ses joueurs, impliquant un rapport unilatéral et descendant du processus de participation argumentatif.