La conférence INGSA 2024 – International Network for Government Science Advice, réunissant praticiens, chercheurs et acteurs gouvernementaux, a favorisé des avancées dans la réflexion critique sur la diplomatie scientifique, un concept récent et en évolution rapide. Son champ d'application s'étend en effet de plus en plus, intégrant un nombre croissant d'activités et d'intervenants. La conférence a aussi mis de l'avant l'importance de rendre la diplomatie scientifique plus inclusive et plus résiliente dans un monde qui se polarise.
Les progrès scientifiques et technologiques caractérisent notre époque. Nos sociétés ne cessent de se complexifier, tous comme les enjeux géopolitiques auxquels les gouvernements font face. De nombreux défis sociétaux gagnent en urgence, et dans ce contexte, les questions à l’interface entre sciences et diplomatie, le domaine de la diplomatie scientifique, deviennent de plus en plus importantes.
Ainsi, ce domaine, qui gagne en popularité depuis 2009, se doit d’évoluer. Les enjeux auxquels s’intéresse cette diplomatie, comme les changements climatiques ou l’intelligence artificielle mobilisent de nombreux acteurs. Ces enjeux vont bien au-delà des gouvernements et du secteur académique, et de ce fait, la société civile, les villes et les entreprises se doivent aussi d'en être. Cette approche qui combine à la fois les besoins et les capacités de l’État, mais aussi ceux de ces acteurs, est incontournable. Le contexte de polarisation accrue entre les États nécessite aussi une plus fine analyse des impacts et des retombées de la diplomatie scientifique.
J’ai eu pour ma part l’opportunité d’œuvrer à la diplomatie scientifique québécoise aux côtés de Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et président de l’International Network for Government Science Advice (INGSA). Étant parmi les premiers bénéficiaires en 2018 du programme des scientifiques en résidence dans les délégations générales du Québec à l’étranger, j’ai ensuite assumé les fonctions d’attaché en recherche et innovation à la Délégation générale du Québec à Londres. J'ai aussi eu l'opportunité d'assister à la conférence de l’INGSA, qui s’est tenue le 1er et le 2 mai 2024 à Kigali, et dont le thème était l’impératif de transformation. Plusieurs réflexions autour de l'évolution de la diplomatie scientifique ont été partagées, et en voici donc quelques éléments.
Intégrer les perspectives, les besoins et les capacités d’acteurs diversifiés
Les priorités d’action de la diplomatie scientifique sont définies par l’État. Une direction claire du gouvernement, telle que mise de l’avant au Québec par la Stratégie québécoise de recherche et d'investissement en innovation (SQRI2), est nécessaire pour le succès de cette pratique diplomatique. Cependant, elle est de moins en moins suffisante face aux enjeux qui se complexifient et à l'augmentation de l’implication de parties prenantes externes.
La diplomatie scientifique intègre donc de plus en plus les perspectives et les besoins d’autres acteurs : municipalités, états sous-nationaux, organisations supranationales, diasporas, organisations de la société civile et entreprises privées. Et plusieurs de ces parties prenantes amènent des capacités supplémentaires, permettant d’accroitre l’impact de la diplomatie scientifique. La Suisse va même jusqu’à considérer les intérêts d’organismes non-humains comme la forêt amazonienne!
Pourquoi ce foisonnement d’acteurs en diplomatie scientifique? Trois éléments de réponse ressortent :
- la complexité des enjeux sociétaux auxquels ces organisations sont confrontées;
- la pertinence de la science pour le développement et la mise à l’échelle de solutions;
- et l’impossibilité d’agir seul.
L’impact d’enjeux complexes, comme ceux de la santé publique, ne se limite évidemment pas qu’aux gouvernements nationaux. Les grands programmes bien financés, pour leur part, ont un impact limité, comme par exemple ONU-Habitat qui ne peut soutenir qu’un nombre limité de villes à adapter leurs systèmes urbains (gestion des déchets, approvisionnement en eau et égouts) aux changements climatiques.
Les gouvernements et leurs diplomates scientifiques se retrouvent alors de plus en plus à jouer un rôle de facilitateurs et d’animateurs de réseaux complexes. On peut dans ce contexte attendre de l’action des diplomates scientifiques qu’ils facilitent l’accès à l’expertise, le partage des meilleures pratiques et le développement des capacités internes.
Une approche qui combine à la fois les directives gouvernementales et les relations avec des réseaux étendus d’acteurs s’impose de plus en plus en diplomatie scientifique. De nouvelles méthodes inspirantes de travail sont développées, notamment par les villes, et requièrent une approche basée sur la concertation, l’écoute et la transparence, notamment dans la formulation des besoins et des attentes.
Une approche qui combine à la fois les directives gouvernementales et les relations avec des réseaux étendus d’acteurs s’impose de plus en plus en diplomatie scientifique. De nouvelles méthodes inspirantes de travail sont développées, notamment par les villes, et requièrent une approche basée sur la concertation, l’écoute et la transparence, notamment dans la formulation des besoins et des attentes.
Tensions géopolitiques et crise du multilatéralisme
Alors qu’on observe une polarisation croissante au niveau mondial, notamment entre démocraties libérales et autocraties, et que plusieurs considèrent les institutions multilatérales comme l’Organisation mondiale de la Santé ou l’Organisation mondiale du Commerce en crise, on peut se questionner sur le rôle de la diplomatie scientifique. Deux panels se sont intéressés à cette question lors de la conférence.
Il en est ressortie que l'aspect collaboratif de la diplomatie scientifique reste plus pertinent que jamais. La coopération interétatique sur des questions scientifiques est hautement souhaitable, même lorsque la discussion politique est plus difficile. La collaboration est essentielle pour résoudre des problèmes complexes auxquels tous les pays sont confrontés comme les changements climatiques. Les coûts élevés de la recherche dans certains secteurs, comme la physique nucléaire, justifient d’ailleurs de rejoindre de grands consortiums comme le CERN, ce que vient de faire le Brésil en mars 2024.
La diplomatie consiste à représenter les intérêts d’un gouvernement à l’étranger, et ces intérêts divergent parfois de façon marquée. Les tensions géopolitiques se répercutent nécessairement en diplomatie scientifique, notamment en ce qui concerne les retombées, technologiques et économiques, de la science. On note d’ailleurs une course technologique sans précédent depuis la fin de la Guerre froide dans des domaines comme l’intelligence artificielle ou les technologies quantiques. Les pays émergents se prononcent fermement, et avec raison, pour mettre les implications, économiques ou de sécurité nationale, au cœur de la diplomatie scientifique. Il apparait donc nécessaire de mieux prendre en considération ces aspects compétitifs dans le développement de la diplomatie scientifique.
En conclusion
Une approche différenciée, avec une coopération variant selon les partenaires et les secteurs, semble une avenue propice. Plus de transparence lorsque la science est utilisée pour l’intérêt national est également souhaitable. On peut aussi concevoir des situations où il serait préférable que les diplomates se retirent et laissent les scientifiques agir seuls. Il y a aussi un besoin pour des approches novatrices, comme celles basées sur l’anticipation scientifique développées par GESDA. Nous croyons que ces idées nourriront et auront un impact positif pour les diplomates scientifiques dans le cadre de leur pratique.
- Jean-Christian Lemay
consultant spécialisé en diplomatie scientifique
Jean-Christian Lemay est consultant à Bâle, en Suisse, spécialisé en diplomatie scientifique et en partenariats stratégiques en recherche à l'international. Avant de s’installer en Suisse, il a été Scientifique en Résidence et Attaché en recherche et innovation à la Délégation générale du Québec à Londres, où il a piloté des collaborations impliquant des partenaires académiques, gouvernementaux, de la société civile et du secteur privé. Diplômé de l’Université Laval en chimie (doctorat) et de l’Université McGill en mathématiques et physique (baccalauréat conjoint), il a aussi complété un programme administratif à l’École nationale d’administration publique (ENAP).
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