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Émilie Michaud, Institut national de la recherche scientifique

Jardinière à mes heures, je suis tombée un jour sur une citation de l’auteur Alexander Den Heijer, en anglais, qui disait approximativement : lorsqu’une fleur ne s’épanouit pas, il faut modifier son environnement, pas la fleur elle-même. Quand je ne jardine pas, je suis chercheuse en rédactologie, c’est-à-dire l’étude des pratiques de rédaction professionnelle, une branche des sciences de l’information et de la communication. Aucun lien avec le jardinage, me direz-vous. Et pourtant…

Les objectifs de la rédactologie sont simples : cerner les problèmes de compréhension des écrits professionnels (ex. : une lettre gouvernementale invitant à agir de telle ou telle façon n’est pas comprise des citoyen·nes) et développer des stratégies communicationnelles visant à réduire ces difficultés : ajouter des informations, reformuler des phrases, modifier le moment d’envoi de la lettre, simplifier l’action, etc. Le Groupe Rédiger de l’Université Laval, auquel j’appartiens, analyse les écrits, mais aussi les processus de rédaction, les acteur·trices et le contexte, bref, l’ensemble des contraintes qui entourent le document. Par document, on entend ici tous les genres d’écrits, qu’ils soient imprimés ou électroniques : rapport, courriel, note de service, dépliant, plan, site Internet, et j’en passe. Partout où il y a un écrit, il y a un·e rédactologue qui rôde! 

Nous nous intéressons aux écrits réalisés en milieu du travail, et plus particulièrement à la communication entre l’État et les citoyen·nes. Si un écrit professionnel, qui a souvent une finalité pragmatique, ne remplit pas sa « mission », il faut parfois modifier le texte… mais souvent aussi, comme pour la fleur, l’environnement dans lequel il est produit ou reçu. Fin de ma parenthèse horticole. 

La recherche-action, un terreau fertile

La prise en compte du contexte et des acteur·trices pour résoudre un problème de rédaction n’est pas sans rappeler la définition de la recherche-action, une démarche visant à coproduire des savoirs avec les milieux de pratique. Ces savoirs peuvent être réutilisés pour résoudre un problème, comprendre une réalité sociale, répondre à des besoins concrets du terrain.

Pour être définie comme recherche-action, l’approche doit présenter certaines caractéristiques : 

  • La recherche-action est un processus cyclique qui implique la coopération, le dialogue et la rétroaction entre les parties;
  • Le respect des valeurs des non-chercheur·euses et des processus décisionnels de groupe est crucial; 
  • La recherche-action doit donner naissance à de nouvelles connaissances

Ainsi, les chercheur·euses et non-chercheur·euses collaborent ici pour atteindre un but commun : une coconstruction des savoirs. On retrouve cette idée dans le cycle de mobilisation des connaissances1  et ses différentes étapes : (1) production de connaissances, (2) diffusion, (3) application. La réunion des savoirs théoriques et pratiques de la recherche-action est destinée à améliorer la pratique sur le terrain, plus spécifiquement la pratique d’un métier.

Des projets en rédactologie qui fleurissent

Si la recherche-action, dans sa définition et sa typologie, est une méthodologie bien établie dans diverses disciplines telles que la sociologie, les sciences de la gestion ou les sciences de l’éducation, elle trouve également sa place en rédactologie. Le Groupe Rédiger en a fait son approche de prédilection dans ses travaux en matière de communication État-citoyen.

Figure 1 - Aperçu d’un projet d’envergure du Groupe Rédiger / Crédit : Émilie Michaud.

La figure 1 ci-contre présente un exemple concret. Dans le cadre d’un projet, nous avons réuni les connaissances de notre groupe de recherche et celles de fonctionnaires du gouvernement provincial (les praticien·nes). 

Un organisme du gouvernement provincial nous a d’abord contactés pour ce projet. Avec mes collègues chercheuses, nous devions, d’une part, cerner les problèmes qui nuisent à une rédaction et à une utilisation efficaces de rapports d’enquête en équité salariale, et proposer, d’autre part, des pistes de solutions pour améliorer la clarté des rapports, répondre aux besoins des commissaires et accompagner les personnes enquêtrices dans leur travail. Plusieurs paliers hiérarchiques de la fonction publique étaient impliqués, et nous devions rencontrer tous les intervenant·es pour avoir le portrait le plus exhaustif possible du contexte. Si vous êtes visuels, dites-vous que, si on a à refaire l’aménagement paysager d’un parc pour y introduire des fleurs rares, on rencontrera les propriétaires du terrain, des pépiniéristes, des jardinier·ères, des apiculteur·trices, etc. 

Évidemment, avant de commencer le mandat, nous avions balisé des rôles et des responsabilités de chacune des parties. Les employé·es de l’organisme gouvernemental étaient nos expert·es de contenu, qui ont partagé avec nous leur connaissance du terrain. 

Figure 2 – Étapes de la recherche, en lien avec le cycle de mobilisation des connaissances et la recherche-action / Crédit : Émilie Michaud.

Pour produire de premières connaissances, selon le cycle de mobilisation des connaissances (figure 2 ci-contre), nous nous sommes d’abord familiarisées avec le contexte grâce à une collecte de données à l’aide d’entrevues, de rapports d’enquête types, de décisions officielles, etc., et à leur analyse. Nous avons rédigé ensuite des recommandations. 

Ensuite, nous devions diffuser nos résultats. En recherche-action, c’est là le moment d’entrer dans la partie « action » de cette méthodologie, de créer un impact sur le milieu de pratique. Nous avons présenté nos conclusions aux personnes concernées lors de séances d’accompagnement professionnel en équipe. Parallèlement, nous utilisions la rétroaction des employé·es pour améliorer les outils que nous étions en train de créer et qu’ils et elles utiliseraient, dans un processus de coconstruction du sens. Une fois les nouveaux outils validés et les connaissances transmises, nous avons vérifié qu’un processus de suivi était en place dans l’organisme, notamment grâce à l’enregistrement des formations données et à l’établissement d’un cycle d’amélioration continue. Le savoir scientifique acquis au cours du mandat restait à la disposition de tous et toutes une fois l’équipe de recherche partie. 

La dernière étape, appliquer les recommandations, était du ressort de l’organisme… Aux dernières nouvelles, celui-ci était fort satisfait! 

La recherche-action en rédactologie

Ce n’était pas le premier mandat de recherche-action du Groupe Rédiger, mais il était d’assez grande envergure. Nos projets procurent des avantages, mais présentent leurs lots de défis.

L’avantage principal pour l’équipe de recherche est la possibilité de diversifier son expertise en réalisant des projets courts et très appliqués. Mon métier m’a ainsi amenée à améliorer des plans d’aménagement forestier, à modifier des formulaires de demande d’autorisation ministérielle pour des projets environnementaux, ou encore, à rédiger des tests d’embauche pour différents ministères et organismes. Autant de sujets variés, qui ouvrent les horizons et donnent l’occasion de s’initier à plusieurs processus, dans différents domaines à l’extérieur de la rédactologie. Nous développons des compétences transversales utiles tant sur le marché du travail qu’en recherche. Et qui dit « projet » dit gestion de projet, mais aussi formation, développement d’outils, et bien plus. Cet exercice renforce l’ancrage dans le réel d’études parfois théoriques.

Dans le cas qui nous occupe, pour les professionnel·les ou les non-chercheur·euses, l’avantage est d’obtenir des diagnostics complets sur la qualité des documents, mais également sur le processus de rédaction – le fameux contexte. Les problèmes relevés sont expliqués et justifiés par la littérature scientifique, et la réponse est assortie, la plupart du temps, de nouveaux documents de travail. Oui, parfois, on doit quand même soigner la fleur/le texte! 

L’avantage principal [de la recherche-action] pour l’équipe de recherche est la possibilité de diversifier son expertise en réalisant des projets courts et très appliqués. [...] Nous développons des compétences transversales utiles tant sur le marché du travail qu’en recherche.

Côté défis? D’abord, selon nous, la reconnaissance de tels projets par les organismes subventionnaires, les universités et la communauté universitaire gagnerait à être développée. La recherche-action cherche ne trouve pas facilement sa place, se situant encore à la marge. 

Puis, l’équipe de recherche doit traiter son mandat comme le fait une entreprise. La « direction des opérations » quotidiennes d’un projet demande un ensemble de compétences particulières que l’on peut qualifier d’entrepreneuriales : préparation de soumission, comptabilité, gestion des ressources humaines, reddition de compte, développement d’outils de gestion de projet (ex. :  feuilles de temps), et j’en passe. Or, la formation en sciences humaines ne prépare pas vraiment à ce genre de défi. Le nerf de la guerre, soit le financement, permet parfois à certains groupes de recherche d’embaucher un·e gestionnaire qui s’occupe de toutes ces tâches, ce qui dégage du temps pour les activités scientifiques. Et c’est là tout le paradoxe : la recherche-action est bien ancrée dans le quotidien, mais le quotidien peut éloigner les chercheur·euses du projet même.

Après le financement, le temps est la ressource la plus précieuse du scientifique. La recherche-action, dans toutes les disciplines, est soumise à des contraintes temporelles, et les partenaires souhaitent parfois obtenir des résultats et des outils rapidement. L’équipe de recherche travaille donc dans ce but. La rédaction d’articles scientifiques suppose une opération réflexive, ce que la recherche du prochain contrat ne favorise pas nécessairement. 

De plus, les organismes, parfois, n’aiment pas l’idée que leur démarche soit révélée au public. La production scientifique doit donc être négociée. Ceci ralentit l’avancement de la carrière scientifique. Car, si la primauté de la philosophie du publier ou périr est remise en question ces jours-ci, les articles scientifiques sont encore la preuve que la recherche a eu lieu, et peuvent faire la différence dans une demande de subvention.

La mise en place d’un partenariat de recherche participative avec une organisation peut prendre du temps, mais la visibilité des résultats peut accélérer les choses. Le transfert des connaissances et la création de matériel grand public sont des solutions : formations en ligne ouvertes à tous, livres en libre accès ou articles de vulgarisation dans des quotidiens. Encore faut-il que des ressources créent des liens avec les médias, mettent au point les formations ou rédigent des chapitres de livre… 

Malgré les nombreux défis, le Groupe Rédiger s’est bâti une solide réputation en matière de recherche participative avec les organismes gouvernementaux. De façon générale, les chercheur·euses qui se sont lancés dans la recherche-action qualifient leur expérience de positive et de pratique. La recherche-action en rédactologie met des visages sur les termes rédacteur·triceslecteur·trices-utilisateur·trices, texte utilitaire. Dans un processus de mobilisation des connaissances, la démarche permet au milieu de pratique d’être bien outillé et à la discipline de se pérenniser. Ainsi, on cultive le jardin pour faire pousser des vivaces résilientes et adaptables, plutôt que des annuelles éphémères qui demandent beaucoup plus de travail.

Dans un processus de mobilisation des connaissances, la démarche [de recherche-action] permet [à un] milieu de pratique d’être bien outillé et à [une] discipline de se pérenniser.


Pour aller plus loin
Visionnez la communication libre de l'auteur·trice, présentée au 91e Congrès de l'Acfas
  • 1

    La mobilisation des connaissances est un processus dynamique par lequel des savoirs théoriques et pratiques provenant de différentes sources sont rassemblés afin d’engager une action commune.


  • Émilie Michaud
    Institut national de la recherche scientifique

    Émilie Michaud est titulaire d’une maîtrise en communication publique de l’Université Laval et étudiante au doctorat en inclusion numérique, action publique et médiation à l’INRS. Sa thèse porte sur les acteur·trices de l’accompagnement pour les démarches administratives en ligne et la médiation numérique d’urgence. Émilie est aussi rédactrice agréée, formatrice en rédaction et professionnelle de recherche au sein du Groupe Rédiger, avec lequel elle a participé à plusieurs projets de recherche appliquée en collaboration avec différents organismes gouvernementaux.

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