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Nous avons regroupé dans ce dossier dix contributions prenant la forme de textes de réflexion, d’entrevues et de discussions mettant le plus souvent de l’avant des didacticiennes et didacticiens des sciences et de la technologie. Nous sommes vraiment reconnaissants envers tous ceux et celles qui ont accepté de prendre la plume et de jouer le jeu. 

Ousmane : Il y a près d’un an, Johanne Lebel, rédactrice en chef du présent Magazine, nous a invités à coordonner un dossier du Magazine au sujet des apports de notre discipline, la didactique des sciences et de la technologie, à d’autres champs de recherche. Nous étions ravis de sa demande, mais aussi rapidement les questions ont émergé : qu’est-ce qui nous distingue, et comment peut-on contribuer au développement d’autres savoirs et pratiques?

Audrey : Commençons par définir la didactique des sciences et de la technologie comme nous le faisons chaque session à la première séance de nos cours, lorsque nous rencontrons nos nouveaux étudiants et nouvelles étudiantes. De mon côté, je dis que c’est la discipline de recherche qui étudie l’enseignement et l’apprentissage des sciences et de la technologie, en se concentrant sur ses aspects axiologiques, épistémologiques et praxéologiques, soit le pourquoi, le quoi et le comment.

Ousmane : C’est aussi étudier les manières dont les jeunes et moins jeunes transforment leurs conceptions de phénomènes scientifiques et technologiques, et se pencher sur des façons de susciter l’intérêt pour ces phénomènes.

Audrey : Oui! … et ce sont là des aspects de la didactique qui te tiennent particulièrement à cœur. Dans mon cas, j’ajouterais l’intérêt pour les manières dont des citoyennes et citoyennes s’approprient des questions technoscientifiques d’actualité en se construisant une opinion et en posant des actions sociales.

... [dans la définition de la didactique des sciences et de la technologie], j’ajouterais l’intérêt pour les manières dont des citoyennes et citoyennes s’approprient des questions technoscientifiques d’actualité en se construisant une opinion et en posant des actions sociales », Audrey Groleau.

Ousmane : On considère souvent que la culture de notre domaine est un peu différente de celle des autres disciplines des sciences de l’éducation. C’est probablement en partie en raison de la formation souvent à cheval entre les sciences de la nature et les sciences de l’éducation; formation détenue par la plupart des didacticiens et didacticiennes des sciences et de la technologie. J’ai personnellement d’abord été formé en sciences de la santé, où j’ai amorcé de longues études en médecine m’amenant à développer des connaissances assez approfondies sur le corps humain. Je suis par la suite devenu enseignant, puis je me suis formé à la recherche dans un troisième temps.

Audrey : Ma situation est semblable à la tienne : j’ai fait un baccalauréat en physique, et j’ai très brièvement étudié à la maîtrise en sciences de l’eau avant de me tourner vers l’enseignement, puis vers la recherche en didactique. Je pense qu’un parcours sinueux est fréquent dans le domaine.

Ousmane : Oui, et ce genre de parcours permet de maîtriser les cultures, les attentes et les langages de plusieurs domaines. C’est réellement utile au quotidien. Mais notre domaine a aussi pour particularité d’être fortement influencé par les différentes recherches réalisées sur l’objet « science », ou science studies, par l’entremise de la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la philosophie, etc.

...notre domaine a aussi pour particularité d’être fortement influencé par les différentes recherches réalisées sur l’objet « science », ou science studies, par l’entremise de la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la philosophie, etc. », Ousmane Sy.

Audrey :  C’est aussi le cas des autres disciplines des sciences de l’éducation, qui s’appuient sur la psychologie, la sociologie et l’administration, pour ne nommer que quelques exemples, mais il est vrai que c’est particulièrement fort en didactique des sciences et de la technologie. Les travaux de la sociologie des sciences et de la philosophie des sciences y prennent une place importante. Nous menons de fréquentes réflexions sur les manières dont on conçoit les sciences, la technologie, les professions associées, les démarches scientifiques et technologiques, les relations entre les citoyens et les scientifiques, etc. Nous nous préoccupons aussi beaucoup des visées de l’enseignement des sciences et de la technologie.

Ousmane : C’est vrai. Et puisque les sciences et la technologie sont souvent mal-aimées, nous mettons un accent particulier sur les manières de susciter l’intérêt des personnes apprenantes. Par ailleurs, les sciences et la technologie ayant longtemps été présentées comme des domaines réservés à une élite, nous cherchons à rendre notre enseignement plus inclusif. 

Audrey : C’est en gardant ces particularités en tête que nous avons plus sérieusement réfléchi aux liens entre la didactique des sciences et de la technologie et d’autres domaines.

Ousmane : Mais attention, nous ne prétendons pas que ce dont il est ici question est exclusif à notre champ. Ce sont des approches, théories, méthodologies, préoccupations, etc., très souvent partagées avec d’autres champs.

Audrey : Nous avons ainsi regroupé onze contributions prenant la forme de textes de réflexion, d’entrevues et de discussions mettant le plus souvent de l’avant des didacticiennes et didacticiens des sciences et de la technologie. Nous sommes vraiment reconnaissants envers tous ceux et celles qui ont accepté de prendre la plume et de jouer le jeu. 

Ousmane : Continuons notre dialogue pour présenter brièvement chacun de ces textes.

Apports de la neurodidactique des sciences à l’étude des mécanismes d’apprentissage
Steve Masson

Audrey : C’est un des premiers textes que nous avons sollicités. En effet, nous savons que la neurodidactique tire une de ses origines de travaux réalisés en didactique des sciences, et que ses premiers chercheurs et chercheuses en contexte québécois ont d’abord été formés dans notre domaine.

Ousmane : Les théories du changement conceptuel dont traite Steve Masson prennent une place tellement importante dans la recherche en didactique des sciences! Depuis plusieurs décennies, on constate que les jeunes comme les adultes entretiennent des conceptions diverses de phénomènes naturels ou technologiques, et que celles-ci sont souvent assez différentes de celles généralement acceptées dans la communauté scientifique. Plus encore, l’enseignement des sciences ne modifie pas toujours durablement ces conceptions. On dira qu’elles « résistent » à l’enseignement. Les didacticien·nes des sciences se sont alors demandé comment remplacer, complexifier, transformer ou faire coexister ces ensembles de conceptions. De très nombreuses recherches ont été menées sur ce sujet.

Audrey : Avec le temps – et c’est ce que nous explique Steve Masson – les scientifiques ont souhaité allier didactique et neurosciences pour mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau lors de l’apprentissage des matières comme la chimie ou la physique. C’est donc dire que la didactique des sciences s’est aussi alimentée des travaux menés en neurosciences.

Ousmane : En effet, et la neurodidactique des sciences offre désormais des apports pertinents à d’autres disciplines. Steve en identifie deux principaux. Le premier est d’ordre théorique et concerne l’idée selon laquelle apprendre un concept, c’est souvent apprendre à inhiber des conceptions que l’on entretient déjà. Le deuxième apport est plutôt d’ordre méthodologique. Il s’agit de proposer aux personnes participant aux recherches des tâches plus contextualisées, qui ressemblent à celles qu’elles pourraient réaliser dans la vie quotidienne.

Jeu de société, enseignement et recherche en didactique : c’est du sérieux!
Audrey Groleau

Ousmane : C’est ton texte! Tu t’es toujours intéressée aux jeux de société pour l’enseignement et la recherche en didactique des sciences et de la technologie.

Audrey : En fait, cet intérêt remonte au début de mes études doctorales, alors que ma directrice de recherche, Chantal Pouliot – qui a d’ailleurs contribué à un texte de ce dossier – m’a fait connaitre l’ouvrage Aux sciences, citoyens! de Léonore Pion et Florence Piron, avec la collaboration de Marie-France Duranceau. On y retrouve, dans la boite à outils qui figure à la fin du livre, la présentation du jeu PlayDecide, un jeu de discussion que j’ai employé comme instrument méthodologique pour ma recherche doctorale. Depuis, j’ai toujours gardé un œil sur les jeux de rôles, de simulation ou de discussion pour enrichir mon enseignement et mes travaux de recherche.

Ousmane : Dans le texte, tu expliques les raisons pour lesquelles nous employons ces jeux de société. C’est d’abord et avant tout pour aborder des questions de technosciences débattues en société, dans les classes et dans la communauté scientifique. C’est aussi pour susciter l’intérêt envers des thèmes parfois mal-aimés; un autre objet d’enseignement et de recherche qui me tient à cœur. Tu présentes par la suite quelques jeux souvent employés dans nos cours. Plus encore, tu parles des manières dont des jeux de société peuvent aussi être mis à contribution comme instruments méthodologiques dans le contexte d’activités de recherche en didactique des sciences et de la technologie. Quel lien tisses-tu plus explicitement avec le thème du dossier?

Audrey : Plusieurs domaines emploient le jeu de société comme dispositif pédagogique ou didactique. Des collègues de géographie, de psychoéducation et de génie industriel, pour ne nommer que quelques exemples, les utilisent dans leurs cours. Cela dit, plus rares sont les équipes d’enseignement et de recherche qui produisent des jeux. Encore plus rares sont celles qui en font un instrument méthodologique pour examiner les discours produits par les personnes participant à des projets de recherche, en termes des arguments construits, des positions développées ou des thèmes privilégiés. Des chercheurs et chercheuses en didactique des sciences et de la technologie produisent des jeux ou les emploient comme instruments méthodologiques, et nous sommes d’avis que d’autres domaines gagneraient à s’inspirer de leurs travaux.

L’éducation en plein air ou l’apprentissage des savoirs dans la « vraie vie »
Jean-Philippe Ayotte-Beaudet

Audrey : Tu as réalisé une entrevue fort intéressante avec Jean-Philippe Ayotte-Beaudet, qui se spécialise en éducation en plein air.

Ousmane : Jean-Philippe est d’abord un didacticien des sciences – c’est d’ailleurs le poste qu’il occupe à l’Université de Sherbrooke –, mais dès ses études doctorales, il s’est orienté vers l’enseignement des sciences et de la technologie en plein air, puis plus largement vers l’éducation en plein air.

Audrey : En revenant sur la matière de l’entrevue, j’ai été étonnée par les liens naturels que l’on peut tisser entre l’éducation scientifique et l’éducation en plein air, du côté des thèmes (par ex. l’astronomie ou l’écologie), des démarches préconisées (les démarches d’observation) ou des préoccupations qui nous animent (susciter l’intérêt des élèves, donner du sens aux apprentissages, etc.).

Ousmane :  Il est intéressant aussi de l’entendre parler des apports de la didactique des sciences et de la technologie à l’éducation en plein air. Il en a identifié deux principaux, dont l’importance de contextualiser les savoirs pour leur donner du sens.

Audrey : C’est vrai que nous mettons beaucoup l’accent sur la contextualisation en classe de sciences et technologie. On cherche en effet à s’éloigner de la mémorisation de savoirs décontextualisés, une méthode d’enseignement qui mène rarement à des apprentissages significatifs et durables. Et qu’en est-il du deuxième apport?

Ousmane : C’est la mobilisation des apprentissages dans des situations proches de la vie quotidienne, de manière à favoriser le transfert des connaissances. Jean-Philippe n’en parle pas de cette manière, mais ça correspond à ce qu’on appelle une perspective utilitariste de l’enseignement et l’apprentissage, c’est-à-dire enseigner pour que les élèves soient en mesure d’utiliser leurs nouvelles connaissances et compétences dans les activités du quotidien.

BD sur l’anatomie sexuée inclusive et recherches en didactique des sciences
Guillaume Cyr et Maude B. Fortier

Audrey : J’aime tous les textes du dossier, mais je dois dire que celui-là est probablement mon coup de cœur.

Ousmane : Je le savais que ce texte te plairait. Dans le cadre de ses travaux de recherche, Guillaume s’est beaucoup intéressé aux manières dont des enseignant·es de science et technologie au niveau secondaire pourraient introduire les questions relatives à la diversité sexuelle, de genre et de corps sexués à leur enseignement. Les outils inspirés des travaux de recherche en didactique des sciences et de la technologie ne sont pas très nombreux dans ce domaine. En s’appuyant sur des écrits scientifiques portant sur les textes réfutationnels et sur le changement conceptuel, la bédéiste Maude B. Fortier et lui ont construit une bande dessinée présentant d’abord une conception inclusive de la diversité sexuelle, de genre et des corps sexués, réfutant ensuite quelques conceptions erronées, puis exposant les concepts d’homologie et de diversité dans le développement du corps sexué. Par la suite, l’importance du vocabulaire lorsqu’il est question de diversité sexuelle, de genre et des corps sexués est abordée, et les concepts bien clarifiés.

Audrey : Je vois aussi très bien comment on pourrait aussi employer cet ouvrage dans la formation des personnes enseignantes du primaire, du secondaire et en adaptation scolaire. Il pourrait même être utilisé comme instrument méthodologique dans la recherche pour amener des enseignants ou futurs enseignants à s’exprimer au sujet de la diversité sexuelle, de genre et des corps sexués.

Ousmane : C’est ici que tu fais le lien entre cette bande dessinée et le thème du dossier, je présume.

Audrey : Oui! Un des apports potentiels de la didactique des sciences et de la technologie à d’autres disciplines est, il me semble, sa capacité à produire des objets culturels diversifiés dans le contexte de travaux de recherche.

Croisements didactiques entre sciences et cultures
Sivane Hirsch
Croisements entre didactique, administration de l’éducation et pédagogie de l’enseignement supérieur
Alain Huot

Ousmane : Tu as rencontré deux collègues œuvrant dans d’autres domaines des sciences de l’éducation pour discuter avec eux des liens entre leur discipline et la nôtre. Qu’avais-tu en tête?

Audrey : Je connais Alain et Sivane depuis une décennie, et j’ai travaillé de près avec chacun d’entre eux : coenseignement; rédaction d’écrits professionnels et scientifiques; codirection d’étudiantes et d’étudiants à la maîtrise; codirection de notre département dans le cas de Sivane. Nous avons souvent eu l’occasion de discuter de ce qui unit et de ce qui distingue la didactique des sciences et de la technologie (Audrey), l’administration de l’éducation et la pédagogie du supérieur (Alain) et les fondements de l’éducation et la didactique de culture et citoyenneté québécoise (Sivane). Les entrevues ont permis d’expliciter ces éléments.

Ousmane : Alain t’a parlé de notre capacité à traiter les problèmes complexes de manière structurée, mais souple, mais aussi de la grande place que nous faisons à la multidisciplinarité, entre autres parce que nous avons l’habitude de naviguer entre le monde des sciences de la nature et celui des sciences humaines et sociales. Sivane a quant à elle expliqué s’être au départ appuyée sur le concept des questions socialement vives, puis sur celui de controverse sociotechnique, tous les deux souvent employés en didactique des sciences et de la technologie. Ces fréquentations l’ont amenée à développer la notion de thème sensible qu’elle emploie désormais en didactique de culture et citoyenneté québécoise.

Audrey : Elle considère que notre discipline pourrait s’enrichir de son travail si on adoptait à notre tour un double regard sociologique et éthique lorsque nous analysons des enjeux scientifiques et technologiques, un peu comme le fait depuis peu la didactique de culture et citoyenneté québécoise. Dans le même ordre d’idées, Alain est d’avis que le regard posé par l’administration de l’éducation sur les aspects humains, organisationnels, économiques et politiques sur les questions éducatives pourrait également être repris de manière plus systématique dans notre travail.

Ousmane : Ces réflexions éclairent bien les particularités de notre discipline, mais aussi nos angles morts. Ces collègues ont un champ d’expertise qui est à la fois suffisamment proche pour bien saisir le nôtre et suffisamment éloigné pour nous offrir un recul des plus utiles.

Satisfaction et apprentissage : s'appuyer sur le plaisir de connaître
Gabriel Lecompte et Ousmane Sy

Audrey : Dans cet article, Gabriel – dont nous codirigeons les travaux de recherche au doctorat – et toi avez rédigé un texte qui permet de mieux comprendre les manières dont une personne enseignante peut favoriser la satisfaction de ses élèves. Je pense que ce travail théorique est un prolongement de ta thèse de doctorat.

Ousmane : Oui, exactement. Dans ma recherche doctorale, je me suis intéressé aux pratiques enseignantes d’enseignants de sciences et de technologie, et à l’effet de ces pratiques enseignantes sur l’intérêt des élèves. Une de mes conclusions était celle selon laquelle la satisfaction des élèves quant à l’enseignement reçu favorise leur intérêt envers les objets d’enseignement abordés en classe.

Audrey : Et on le sait qu’être intéressé aide à faire des apprentissages significatifs et durables, en particulier dans une discipline réputée difficile. Gabriel et toi avez alors réfléchi à la satisfaction des élèves à l’aide du modèle Épistémique – Pragmatique – Relationnel (ÉPR) souvent employé dans le champ de la didactique professionnelle.

Ousmane :  C’est un modèle qui permet de décrire et d’analyser la pratique enseignante sous l’angle de ses dimensions épistémique (les savoirs enseignés et leur progression), pragmatique (la manière dont se déroulent les séances d’enseignement et d’apprentissage) et relationnelle (les liens entre les élèves, d’une part, et entre les enseignants et les élèves, d’autre part). En décortiquant les différents aspects de ce modèle et en s’appuyant sur les résultats de ma thèse, Gabriel et moi avons été en mesure de construire un modèle présentant les manières dont une personne enseignante pourrait favoriser la satisfaction des élèves.

Audrey : Ce qui est vraiment intéressant, c’est que votre travail pourrait mener à au moins deux prolongements. Le premier est une réflexion sur les manières dont les élèves pourraient favoriser leur propre satisfaction. Cela permettrait d’élargir le modèle. Dans le même ordre d’idées, il pourrait être expérimenté pour mieux comprendre la satisfaction dans d’autres professions, comme vous l’évoquez à la fin de votre texte. 

Santé publique : les sciences comportementales en appui à la prise de décision
Arianna Merritt, Paniz Tavakoli, Catherine Guo, Cindy Tao

Ousmane: Nous ne connaissions ce groupe de chercheuses en santé publique avant de travailler sur ce dossier. Nous avons été mis en contact par l’entremise d’une membre du comité éditorial du Magazine de l’Acfas. Leur texte nous a permis d’en apprendre davantage sur ce domaine, qui est à la fois proche et éloigné du nôtre.

Audrey : C’est vrai. Alors que les personnes chercheuses de nos deux domaines s’affairent à mieux comprendre les manières dont des citoyens et citoyennes s’approprient des questions technoscientifiques d’actualité, le champ de la santé publique cherche explicitement à ce que les gens adoptent des comportements favorisant une meilleure santé individuelle et collective.

Ousmane : Notre discipline poursuit une visée similaire quand elle cherche à favoriser chez et par les jeunes la construction d’un monde plus juste et plus sain. Cependant, nous mettons davantage l’accent sur la recherche d’information et sur la construction d’une opinion personnelle (mais éclairée) que sur l’adoption de comportements recommandés.

Audrey : Dans leur texte, Arianna, Paniz, Catherine et Cindy mentionnent qu’une des tâches du domaine de la santé publique est de « traduire » des savoirs scientifiques en politiques. C’est intéressant, parce qu’en didactique, on s’appuie beaucoup sur le concept de transposition didactique, qui permet, dans le même ordre d’idées, de suivre la « traduction » des savoirs scientifiques en savoirs à enseigner, en savoirs enseignés et en savoirs appris.

Ousmane : Bien vu! Par ailleurs, elles cherchent à permettre aux personnes de s’approprier des savoirs complexes qui évoluent rapidement, mais aussi à contrer la désinformation, ce qui est commun avec la didactique des sciences et de la technologie. Je présume que tu as aussi été intéressée par l’idée selon laquelle on gagne à ne pas cacher l’incertitude ou l’échec au moment de communiquer des informations.

Audrey : C’est certain! Je prône depuis des années l’adoption d’une posture antidéficitaire, selon laquelle les citoyens et citoyennes détiennent des connaissances relatives aux technosciences, s’y intéressent, sont en mesure de comprendre et d’apprendre. La très grande majorité des personnes sont tout à fait capables de comprendre que les questions scientifiques et technologiques sont associées à des risques et à des incertitudes.

Ousmane : Je suis très heureux d’avoir pu tisser des liens entre ce domaine et le nôtre.

De quelques réflexions sur la didactique
Pierre Chastenay

Audrey : Pierre est à la fois un grand didacticien des sciences et un grand communicateur scientifique. Il est aussi capable de poser un regard fort pertinent sur les deux disciplines. C’est pour ces raisons que nous souhaitions qu’il contribue au dossier.

Ousmane : Exact! J’ai été particulièrement intéressé, dans l’entrevue que Johanne Lebel a réalisée avec lui, par le lien que Pierre tisse entre la didactique des sciences et de la technologie, d’une part, et la posture épistémologique constructiviste, d’autre part. C’est la posture dans laquelle il dit s’inscrire, et il laisse entendre que c’est une posture relativement partagée dans notre domaine.

Audrey : Je suis d’accord avec ton interprétation, et je pense comme Pierre que c’est une posture assez partagée.

Ousmane : Il explique qu’en didactique des sciences, on examine des phénomènes, puis on construit des modèles qui les représentent. On cherche à décrire et à expliquer des phénomènes, à faire des prédictions et à les vérifier, à améliorer le modèle et ainsi de suite. Pour lui, le concept de « modèle » est central dans le travail de tout scientifique. C’est particulièrement le cas en didactique de l’astronomie en raison de la distance entre les phénomènes étudiés et nous. C’est aussi lié à l’impossibilité de contrôler ces phénomènes, contrairement à ce qu’on peut faire au laboratoire de chimie, par exemple.

Audrey : C’est vrai que ces idées sont importantes dans notre champ. Il n’est donc pas étonnant que Pierre préconise les activités de sciences et technologie qui amènent les jeunes à réaliser des démarches en classe à la manière des scientifiques.

Ousmane : Oui, et tout cela explique en somme qu’il considère qu’un des apports pertinents de la didactique des sciences et de la technologie à d’autres discipline est la place qu’y occupe la réflexion d’ordre épistémologique.

La participation des scientifiques aux affaires sociétales
Isabelle Arseneau et Chantal Pouliot

Ousmane : Isabelle et Chantal font, un peu comme toi, Audrey, des travaux qui se situent au confluent de la didactique des sciences et des science studies.

Audrey : Oui, et cette situation n’est pas étonnante, sachant que Chantal a été ma directrice de recherche et que nous avons beaucoup travaillé et écrit ensemble, toutes les trois. Isabelle vient de soutenir une thèse fascinante qui porte sur les points de vue de scientifiques au sujet du déroulement et de la gestion de questions technoscientifiques d’actualité dans le but d’alimenter un enseignement des sciences et de la technologie plus démocratique et activiste.

Ousmane : Tu fais ici référence à des perspectives de l’enseignement des sciences et de la technologie, qui font partie du volet axiologique de notre discipline (comme nous l’avons définie au tout début du texte). La perspective démocratique, c’est l’idée selon laquelle l’enseignement des sciences et de la technologie devrait outiller les jeunes pour qu’ils s’approprient des questions technoscientifiques d’actualité, se construisent une opinion et puissent débattre à leur sujet. La perspective activiste ajoute la préoccupation de les former à poser des actions sociales pour favoriser un mode plus juste et plus sain.

Audrey : C’est exact. Isabelle, dans sa thèse, a amené ces personnes scientifiques à expliciter les rôles, les capacités et les incapacités qu’elles attribuent à divers groupes sociaux dans le contexte de controverses sanitaires et environnementales. Elle les a aussi invitées à se positionner sur la formation des jeunes en sciences et technologie.

Ousmane : Dans le texte, vous discutez d’engagement scientifique et citoyen, de savoirs engagés, mais aussi de l’importance d’introduire les jeunes à l’action sociale en vue de favoriser le bien commun, et ce, dès le primaire et le secondaire. Chantal et Isabelle parlent aussi de la difficile reconnaissance de l’action sociale dans le travail des scientifiques.

Audrey : D’autant que ce volet de leur travail, peu ou pas valorisé, est une dimension qui demeure risquée, comme le disent bien Isabelle et Chantal. Espérons que la loi sur la liberté universitaire sera aidante à cet égard.

La recherche participative : mailler les expertises, améliorer les pratiques
Christine Couture, Emmanuelle Aurousseau, Catherine Duquette, Nicole Monney,
Julie Rock - Katshishkutamatshesht

Ousmane : En sciences de l’éducation, et entre autres en didactique des sciences et de la technologie, la recherche appliquée occupe une place très importante.

Audrey : Qu’entends-tu plus ici par recherche appliquée? On pense bien sûr à la recherche de développement, fréquente en ingénierie, mais je sais bien sûr que la recherche appliquée ne s’y limite pas.

Ousmane : On peut bien sûr faire de la recherche relativement fondamentale en sciences de l’éducation, par exemple ta recherche doctorale qui a porté sur les rapports aux expert·es scientifiques de futures enseignantes du primaire. Cela dit, notre domaine a pour force de produire des savoirs scientifiques tout en concevant des « produits » : séquences d’enseignement-apprentissage, guides d’enseignement, etc. C’est ce que nous appelons en effet la recherche de développement. Mais il y a aussi la recherche-action, qui vise toujours bien sûr à produire des connaissances, mais aussi à apporter des changements dans un milieu; la recherche-formation, qui cherche aussi à contribuer au développement professionnel de praticiens et praticiennes et la recherche participative, qui a pour principe de réaliser la recherche avec les personnes praticiennes.

Audrey : La recherche participative, c’est une approche de recherche privilégiée par Christine, Emmanuelle, Catherine, Nicole et Julie. C’est un peu leur marque de commerce, ce qui les distingue d’autres équipes. Dans le texte, elles nous parlent de quelques-uns de leurs projets passés et en cours, et prennent le temps de bien expliquer les caractéristiques de cette approche.

Ousmane : Elles prennent aussi la peine de lister les apports de la recherche participative pour la recherche, les milieux de pratique et la formation.

Audrey : Il s’agit d’un texte d’introduction vraiment pertinent à la recherche participative. Je pense qu’on gagnerait à le faire lire en classe à nos étudiants et étudiantes pour qu’ils en comprennent bien les tenants et aboutissants.

Ousmane : Oui, mais aussi à toutes les personnes qui se questionnent sur la pertinence de l’emploi d’une diversité d’approches de recherche en sciences humaines et sociales, et en particulier en didactique des sciences et de la technologie.


  • Audrey Groleau
    UQTR

    Audrey Groleau est professeure titulaire de didactique des sciences et de la technologie. Elle est titulaire de la Chaire d’excellence en enseignement UQTR sur l’appropriation de questions technoscientifiques d’actualité. Dans le contexte de ses activités d’enseignement, elle contribue à la formation d’enseignant·es du primaire, du secondaire et d’adaptation scolaire et sociale, mais aussi de chercheur·euses en didactique. Elle détient un baccalauréat en physique et a enseigné cette discipline au collégial.

  • Ousmane Sy
    UQTR

    Ousmane Sy est professeur de didactique des sciences et de la technologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2018. Il enseigne la didactique des sciences et de la technologie auprès d’étudiants et d’étudiantes en enseignement au primaire, au secondaire et en adaptation scolaire et il contribue à la formation de chercheurs et de chercheuses en éducation. Ses travaux de recherche portent principalement sur les pratiques effectives en enseignement des sciences et de la technologie (S&T) ainsi que sur les effets de celles-ci sur l’intérêt des élèves pour les S&T, sur le processus de changement conceptuel, sur la satisfaction des élèves à la suite d’une activité didactique en S&T.

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