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Les articles du dossier sont réunis et publiés sous le titre Penser l'après-COVID-19 [PDF].

[Tous les articles du présent dossier, coordonné par Catherine Girard, Isabelle Laforest-Lapointe et Félix Mathieu, ont été publiés initialement dans le journal La Presse, du 4 au 20 mai 2020, sous le titre La relève pense le Québec de l'après-COVID-19]

La pandémie de la COVID-19 révèle la grande vulnérabilité des corps humains, aussi divers soient-ils. Dans l’après-crise, serons-nous capables de reconnaître cette vulnérabilité commune? Plus encore, de quelles manières cette crise sanitaire nous permettra-t-elle de prendre conscience et de diminuer les conditions précaires vécues de manière différenciée par les membres de nos communautés ? 

Les autorités publiques lancent actuellement différents mots d’ordre, un peu comme des injonctions morales, telles que « restez chez vous », « ça va bien aller », qui sont massivement relayées sur les réseaux sociaux. Ces expressions universalistes imposent une réalité qui efface les disparités à l’intérieur même des sociétés. En effet, ces expressions partent de la prémisse qu’il existe un « chez-soi » apportant sécurité et protection. Ce récit présuppose l’absence d’obstacles socioéconomiques qui pourraient interférer dans le fait de « bien aller ».

Mondialement, les crises accentuent les disparités sociales. Et non : ça ne va pas bien aller pour les femmes victimes de violence conjugale. Ça n’ira pas nécessairement bien non plus pour les personnes qui n’ont pas accès à un logement salubre, pour celles qui sont incarcérées, pour les sans-abris, pour les personnes sans statut, pour les immigrants victimes de xénophobie et pour tout autre individu vivant déjà dans de conditions d’extrême précarité. 

Un « regard » féministe affirme qu’il est nécessaire d’aborder les multiples inégalités qui traversent nos sociétés, pendant comme après la pandémie. Si, d’un côté, la COVID-19 prouve que le virus n’épargne personne, de l’autre, la présente crise illustre que les structures sociales et économiques nous exposent différemment aux conséquences d’une pandémie globale, et donc, à la mort. La professeure Debora Diniz, de l’Universidade de Brasília (Brésil), évoquait récemment comment la pandémie frappe durement les personnes qui se trouvent déjà dans des conditions de précarité, notamment, par rapport à la santé, les soins, le travail ou encore la protection sociale. 

À l’heure où la vie elle-même repose largement sur les emplois reliés aux soins, il est indispensable de mettre en évidence le travail des femmes. Quand le discours général rend hommage aux « héros de la pandémie » et aux « anges gardiens », une précision s’impose : 82% des postes des services de santé sont occupés par des femmes au Québec. Elles représentent aussi 80% des préposées aux bénéficiaires et 88% des travailleuses sociales. Le travail reproductif et celui relié aux soins, souvent très mal payés et féminisés, sont enfin reconnus à leur juste valeur, soit comme le pilier central pour la pérennité même de notre société. 

C’est pourquoi que cette pandémie nous engage à réfléchir à ce que les féministes de plusieurs horizons décrient depuis fort longtemps déjà : la dévalorisation de l’économie des soins, qui repose mondialement sur les épaules des femmes. Encore une fois, dans cette crise sanitaire et humanitaire, ce sont elles qui se retrouvent au front pour les soins émotionnels, matériels et communautaires. C’est ainsi l’occasion de reconnaître le rôle central de leur travail et d’affirmer que les actions pour combattre la COVID-19 passent incontestablement par le collectif, mais qu’elles sont surtout conjuguées au féminin. 

...cette pandémie nous engage à réfléchir à ce que les féministes de plusieurs horizons décrient depuis fort longtemps déjà : la dévalorisation de l’économie des soins, qui repose mondialement sur les épaules des femmes. [...]. C’est ainsi l’occasion de reconnaître le rôle central de leur travail et d’affirmer que les actions pour combattre la COVID-19 passent incontestablement par le collectif, mais qu’elles sont surtout conjuguées au féminin. 

Un après-pandémie fondé sur les valeurs féministes? 

En plus d’avoir documenté et critiqué l’inattention portée aux emplois rattachés aux soins, les féministes ont notamment souligné l’importance de comprendre notre vulnérabilité commune face à plusieurs enjeux sociopolitiques. Elles ont été les premières à nous rappeler l’importance politique du corps, et surtout, de sa fragilité. De même, leurs luttes nous rappellent les insécurités vécues au quotidien par les femmes, les aînés, les pauvres, les personnes racisées et les corps marginalisés. Les valeurs féministes nous convient ainsi à une réflexion plus poussée sur la précarité et la vulnérabilité : et si nous repensions notre responsabilité collective envers autrui? 

À la fin de cette pandémie, si les modes de vie ne changent pas, si nous revenons à la « normalité » d’avant la crise, comme l’a souligné le leader autochtone Ailton Krenak, cela signifiera que de milliers de vies perdues ne nous auront rien appris. L’espoir repose donc sur la possibilité que le Québec et le monde post-COVID-19 soient davantage conscients de la responsabilité partagée et de l’interdépendance profonde qui nous unissent comme populations. Nous osons ainsi imaginer un monde post-pandémie qui mettra de l’avant des valeurs féministes; mais aussi, et surtout, qui comprendra les diverses formes de précarité socioéconomiques qui construisent et consacrent la hiérarchie sociale des corps.

L’espoir repose donc sur la possibilité que le Québec et le monde post-COVID-19 soient davantage conscients de la responsabilité partagée et de l’interdépendance profonde qui nous unissent comme populations.


  • Priscyll Anctil Avoine
    UQAM

    Priscyll Anctil Avoine est doctorante en science politique et études féministes à l'UQAM.

  • Danielle Coenga-Oliveira
    UQAM

    Danielle Coenga-Oliveira est doctorante en science politique et études féministes à l'UQAM.

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