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Guy Laforest, ENAP, Jean-Philippe Warren, Université Concordia

Les articles du dossier sont réunis et publiés sous le titre Penser l'après-COVID-19 [PDF].

[Tous les articles du présent dossier, coordonné par Guy Laforest et Jean-Philippe Warren, ont été publiés initialement dans le journal La Presse, du 19 au 30 avril 2020, sous le titre Penser le Québec de l'après-COVID-19]

Bien avant la crise de la COVID-19, le Québec souffrait d’une autre pandémie : une pandémie de solitude. En effet, d’après le dernier recensement de Statistique Canada (2016), les personnes vivant seules ont désormais dépassé en nombre les couples avec enfants. Le Québec arrive même en tête du palmarès de la solitude au pays : le tiers des ménages y sont composés d’une personne habitant complètement seule, soit près de trois fois plus qu’en 1970.

Bien sûr, habiter en solitaire n’est pas forcément une preuve d’isolement. Les exemples sont nombreux de personnes qui vivent seules tout en bénéficiant d'une vie sociale bien remplie. Mais cette réalité est, de manière générale, un signe de rapports sociaux qui se délitent, de liens sociaux qui se dénouent. Depuis dix ans, le nombre de corps non réclamés à la morgue a presque doublé au Québec…

Les personnes âgées sont souvent victimes de l’isolement qui gagne le Québec. Au cours d’une semaine ordinaire, 31% des Québécois de 65 ans et plus vivant seuls chez eux ne recevront pas de visite, pas d’appel téléphonique de leur famille. 

Mais les générations plus jeunes ne sont pas immunisées contre la solitude. Selon de nouvelles données compilées par YouGov aux États-Unis, les Milléniaux déclarent même se sentir seuls beaucoup plus souvent que leurs homologues de la génération X et du baby-boom. Alors qu’un membre sur cinq (20 %) de la génération X et un membre sur sept (15 %) des baby-boomers déclarent se sentir toujours ou souvent seuls, c’est le cas de près d’un membre sur trois (30 %) de la génération Z. Les Milléniaux sont également plus nombreux que les générations plus âgées à déclarer qu’ils n'ont pas d’amis proches (27 %).

Alors qu’un membre sur cinq (20 %) de la génération X et un membre sur sept (15 %) des baby-boomers déclarent se sentir toujours ou souvent seuls, c’est le cas de près d’un membre sur trois (30 %) de la génération Z. Les Milléniaux sont également plus nombreux que les générations plus âgées à déclarer qu’ils n'ont pas d’amis proches (27 %).

Ce retrait de la vie sociale est parfois pleinement assumé. De manière intéressante, selon le sondage de YouGov, plus du quart de ceux qui avouent avoir du mal à se faire des amis déclarent qu’ils « n’ont pas l’impression d’avoir besoin d’amis ». Certains préfèrent la compagnie des animaux domestiques : les Québécois possèdent aujourd’hui un million de chiens et deux millions de chats. D’autres apprécient les séries télévisées (les Québécois regardent en moyenne environ 5 heures de télévision par jour). 

Mais la solitude soulève des enjeux importants. Lorsque les gens subissent la solitude plutôt que de la rechercher, les conséquences peuvent être dramatiques. Des études ont depuis longtemps démontré l’importance des relations sociales dans le bien-être personnel. Les personnes marginalisées souffrent souvent d’une mauvaise santé et de troubles psychologiques. Des recherches montrent que la solitude serait aussi dommageable pour la santé physique que le tabagisme.

Des études ont depuis longtemps démontré l’importance des relations sociales dans bien-être personnel. [...]. Des recherches montrent que la solitude serait aussi dommageable que le tabagisme pour la santé physique.

Les causes de l’accroissement de la solitude sont multiples. Le mode de vie urbain basé sur des interactions marchandes est un facteur déterminant. En 1970, le cinquième (21,7%) des habitants de Montréal vivaient seuls, mais c’était le cas d'une infime minorité (2,7%) des habitants des zones rurales agricoles. Cette tendance a seulement été accentuée par l’essor des relations virtuelles : on sait que les milliers d’amis, de clics et de likes des médias sociaux ne remplaceront jamais le contact des personnes en chair et en os. 

Dans un tel contexte, la crise de la COVID-19 a eu des effets mitigés sur la pandémie de solitude qui frappe le Québec. Dans un sens positif, elle a favorisé un immense élan de solidarité et de générosité. Les personnes ont pris conscience de l’importance de se serrer les coudes, d’être attentives aux besoins de leurs proches, de faire preuve de sollicitude pour les plus démunis. Dans un sens négatif, la crise de la COVID-19 a mené à encore plus de réclusion. De l’encouragement au télétravail à la crainte de se faire la bise ou de se donner une poignée de main, en passant par les incitations à faire ses achats en ligne, on sent une dérive qui risque de replier les Québécois encore davantage sur eux-mêmes.  

Au sortir de la quarantaine qui nous oblige à un certain confinement, il faudra plus que jamais encourager des comportements inclusifs et solidaires. Des liens sociaux forts ne sont pas seulement nécessaires pour que chacun puisse vivre une vie saine : ils sont aussi indispensables pour bâtir des communautés plus dynamiques et plus épanouies.

L’écrivain Octavio Paz a déjà parlé du « labyrinthe de la solitude ». Au Québec, après la COVID-19, tâchons d’éviter que trop de nos concitoyens restent prisonniers d’un tel labyrinthe. 

L’écrivain Octavio Paz a déjà parlé du « labyrinthe de la solitude ». Au Québec, après la COVID-19, tâchons d’éviter que trop de nos concitoyens restent prisonniers d’un tel labyrinthe. 


  • Guy Laforest
    ENAP

    Guy Laforest est directeur général de l’ENAP.
     

  • Jean-Philippe Warren
    Université Concordia

    Jean-Philippe Warren est titulaire de la Chaire d’études sur le Québec à l'Université Concordia.

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