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Arman Yalvac Aksoy, Polytechnique Montréal

Bien qu’il soit contesté, le modèle linéaire de transfert technologique demeure toujours le plus étudié et le plus appliqué. Ce modèle stipule que les fonds de recherche universitaires donnent lieu à des brevets qui sont ensuite commercialisés par le biais de licences à des entreprises existantes ou par la création d’entreprises (de jeunes pousses ou startups). Ces licences octroyées aux compagnies génèrent à leur tour des revenus pour l’université et la chercheuse ou le chercheur. Mais qu’en est-il réellement sur le terrain?

Arman Aksoy
Arman Aksoy, Polytechnique Montréal

L’économie du savoir a placé la triple hélice de la coopération gouvernementale, industrielle et universitaire au cœur de la croissance économique. Dans ce paradigme, l’innovation est essentielle à la survie de l’entreprise, et les universités sont considérées comme une source incontournable d’idées, de talents et de projets. Par conséquent, les gouvernements et les universités du monde entier sont incités à investir des milliards de dollars en recherche et développement (RD).

De ce fait, la commercialisation de la recherche universitaire a connu une croissance importante depuis l’adoption de la loi Bayh-Dolef1 en 1980 aux États-Unis. Plusieurs études indiquent que les gagnants de cette ruée vers l’or technologique sont les grandes universités techniques des régions développées qui investissent massivement dans la coopération université-industrie2 . Cela n’est pas surprenant, car les régions industrialisées accueillent de grandes entreprises dotées de budgets de RD importants.

Tableau 1
Tableau 1 – Comparaison des différents indicateurs de commercialisation des universités québécoises, canadiennes et états-uniennes (nombre moyen par université pour chacune des périodes). N : Nombre d’observations durant la période; µ : nombre moyen par université pour la période de référence; S : écart-type. La conversion des dollars américains en dollars canadiens a été faite en utilisant la parité de pouvoir d'achat donnée par le fonds monétaire international. Source : Données extraites du questionnaire annuel de l’Association of University Technology Managers.

Les mécanismes par lesquels ces dépenses de la recherche universitaire génèrent un retour sur investissement sont toujours source de débats, tout comme les indicateurs pour les mesurer3 . Bien qu’il soit contesté, le modèle linéaire de transfert technologique demeure toujours le plus étudié et le plus appliqué. Ce modèle stipule que les fonds de recherche universitaires donnent lieu à des brevets qui sont ensuite commercialisés par le biais de licences à des entreprises existantes ou par la création d’entreprises (de jeunes pousses ou startups). Ces licences octroyées aux compagnies génèrent à leur tour des revenus pour l’université et la chercheuse ou le chercheur. Mais qu’en est-il réellement sur le terrain?

Quelques données d’enquête

Premier constat, le Canada traîne derrière son voisin du sud lorsque l’on compare plusieurs indicateurs de performance relatifs à l'obtention de brevets issus de la recherche universitaire (Tableau 1).

Le nombre de brevets universitaires moyen a connu une stagnation durant la période 1996-2010 pour le Québec et le Canada, contrairement aux États-Unis qui ont connu une importante croissance. Cependant, la tendance québécoise et canadienne est à la hausse avec une augmentation de la moyenne en 2011-2015. Toutefois, le nombre de licences moyen par université reste stable durant les quatre périodes. Il en va de même pour les revenus des universités québécoise et canadienne, moindres que leur homologue états-unien.

Bien que plusieurs mécanismes existent pour commercialiser la recherche universitaire à travers des compagnies établies, parfois, le seul moyen de commercialiser cette recherche est l’entrepreneuriat : essaimer une entreprise qui deviendra une jeune pousse. Cette méthode est en constante augmentation en Amérique du Nord et les grands bureaux expérimentés en transfert technologique sont les plus actifs dans le lancement de jeunes pousses et dans la prise de participation dans ces compagnies. Cette tendance à la hausse est aussi visible au Québec et au Canada, et ce depuis 2005. Si ces deux territoires ont connu une diminution du nombre moyen de jeunes pousses créées par université entre 2000 et 2005, une légère remontée a été observée depuis (voir la Figure 1).

Figure 1
Figure 1 – Nombre moyen de jeunes pousses créées par université. Source : Données extraites du questionnaire annuel de l’Association of University Technology Managers.

Les universités pourraient-elles bonifier leurs relations d'affaires avec les entreprises?

Présentement, les trois modes de paiement les plus courants pour les licences universitaires sont les redevances, les frais fixes et les capitaux propres. Chaque régime présente ses avantages et ses inconvénients. La stratégie optimale pour augmenter les revenus du détenteur de brevets fait consensus parmi les chercheurs :

Dans l’ordre du moins efficace au plus efficace :
1.    La redevance, dont le montant est proportionnel à l’utilisation de la licence;
2.    Les frais fixes (autres revenus) sont payés quand certains jalons sont atteints, une date par exemple. La vente d'un brevet fait aussi partie de cette stratégie;
3.    La prise de participation consiste à échanger la licence contre des actions de l’entreprise.

Les universités utilisent le plus souvent la redevance dans leur contrat de licences avec les entreprises, malgré la faiblesse de cette stratégie. Ce mode de paiement constitue toujours la majeure partie des revenus de commercialisation des universitées (Figure 2).

L’utilisation de la redevance par les universités repose sur deux arguments principaux, le premier découle des difficultés de transférer la technologie, le second émane de la difficulté à juger de la valeur marchande de la technologie. Les partisans des systèmes de redevances font valoir qu’elles augmentent l’intérêt de l’inventeur et augment le taux de succès du transfert. Les difficultés de transfert se présentent quand celui-ci est incertain, par exemple lors d’un transfert au cours des premières phases de la recherche, d'un transfert de connaissances tacites, ou lorsque les capacités d’absorption du titulaire de licence sont limitées. Deuxièmement, concernant les difficultés à juger, il faut mentionner que les systèmes de redevances sont un moyen pour le détenteur de brevet de contrer l’asymétrie informationnelle, soit d’extraire des informations à celui qui devient titulaire de licence sur la valeur marchande de la technologie. Aussi, ils sont préférés par le détenteur de brevet en cas de vente préalable du produit ou de la technologie, car cela démontre un intérêt du marché et garantit une utilisation de la technologie et un revenu pour le détenteur.

Quant à l’inclusion de frais fixes dans les contrats de licence, la recherche a montré que cette inclusion est liée à la taille et à la composition du marché, et à la volatilité des ventes (Savva 2015, Sinha 2016). Par conséquent, il n’est pas surprenant que l’incertitude conduise à un système de paiement de frais fixes, car il garantit un revenu au détenteur de brevet lorsque le marché et petit ou que les ventes et l’utilisation de la licence est incertaine. De plus, ce type de paiement impose moins de contraintes au titulaire de licence, car le coût est réparti sur le volume. De plus, les frais fixes réduisent les coûts de transaction liés au contrat et nécessitent moins d’efforts pour le maintenir ou le faire respecter.

Figure 2
Figure 2 – Composition des revenus de commercialisation des universités nord-américaine (en pourcentage). Les proportions sont similaires pour le Canada et le Québec. Source : Données extraites du questionnaire annuel de l’Association of University Technology Managers.

Différentes tailles, différents besoins

Le lien entre la taille de l’entreprise et les dépenses de RD est connu depuis longtemps. Cependant, des études récentes indiquent que les petites entreprises pourraient être plus efficaces dans l’utilisation de leurs ressources de RD, car elles sont plus innovantes et génèrent davantage de retours sur investissement.

Les grandes entreprises dominent depuis longtemps les relations que les universités entretiennent avec le secteur privé. Cet intérêt est réciproque, car les universités préfèrent également travailler avec elles car elles ont une meilleure capacité d'absorber les connaissances issues de la recherche universitaire4 . Cependant, les PME et les jeunes pousses bénéficient davantage des partenariats avec les universités qui leur procurent un accès à des ressources autrement trop coûteuses.

Puisqu’elles ont la capacité d’absorber les connaissances et préfèrent le secret, les grandes entreprises négocient majoritairement les licences d’exploitation des brevets universitaires pour des frais fixes. Cela peut être bénéfique pour les deux parties, car l’université n’a pas à faire de suivi et la grande entreprise peut utiliser la licence sans se soucier de coûts supplémentaires. Cependant, cela limite la coopération entre les parties et entrave le potentiel d’innovation du partenariat.

Les petites entreprises ont généralement moins de marge financière que leurs homologues de grande taille. Cela les pousse à être plus efficaces et plus sélectives dans le choix des projets auxquels elles participent, car leur survie en dépend. En outre, des finances limitées et l’aversion au risque les conduisent également à préférer les systèmes de redevances qui permettent de payer uniquement en cas de mise en œuvre réussie de la nouvelle technologie. Cela peut cependant leur coûter plus cher à long terme s’il y a succès commercial, car les coûts seront proportionnels à l’utilisation.

Les jeunes pousses ont encore moins de marge de manœuvre financière. Cependant, ces dernières sont davantage orientées vers la croissance que sur le revenu. Ainsi, les universités préfèrent leur octroyer une licence en échange d’actions. Cela rend la collaboration très étroite puisque l’université devient partenaire du succès. De plus, ces entreprises financent la recherche qui est faite par l’université pour développer et déployer la technologie dont leur licence dépend. Cependant, il est difficile de juger de la valeur de ces contrats, car elle est liée au marché. Les universités peuvent conserver indéfiniment leurs actions jusqu’à ce qu’elles pensent obtenir une offre optimale.

Bien que les universités tirent profit de la collaboration avec de plus grandes entreprises, les partenariats avec des entreprises de taille plus modestes auraient donc plus de « valeur ». La réputation et les connaissances de l’industrie et du marché qu’elles acquièrent grâce à ces accords sont mieux utilisées par des partenaires plus modestes et plus jeunes5 .

Bien que les universités tirent profit de la collaboration avec de plus grandes entreprises, les partenariats avec des entreprises de taille plus modestes auraient donc plus de « valeur ». La réputation et les connaissances de l’industrie et du marché qu’elles acquièrent grâce à ces accords sont mieux utilisées par des partenaires plus modestes et plus jeunes.

En conclusion

Les gouvernements pourraient contribuer à améliorer l’innovation entrepreneuriale de leur territoire de trois manières. D’abord en incitant les grandes entreprises à coopérer plus étroitement avec les universités. Pour les universités, cela améliorerait le potentiel commercial de leur recherche appliquée tout en améliorant leurs connaissances de l’industrie et de ses besoins6 . Deuxièmement, en finançant davantage les collaborations entre les universités et les petites et moyennes entreprises. Cela contribuerait à augmenter le nombre de ces entreprises bénéficiant des connaissances issues du système de recherche public. Troisièmement, en procurant un financement de démarrage aux jeunes pousses pour qu’elles puissent démontrer la faisabilité de leurs technologies et pour les appuyer dans leur recherche de partenaires de risque (venture capital en anglais).

Il ne faut pas oublier que l’entrepreneuriat universitaire reste un moyen de transfert de connaissance parmi d’autres tel que les publications, les conférences et l’enseignement. Il est important de bien définir la stratégie déployée et le but visé. La connaissance générée par les universités peut avoir différentes retombées telles qu’engendrer des revenus directs pour l’université, de l’activité commerciale dans sa société ou encore une amélioration des conditions de vie des citoyens. Le Québec avec son nombre important d’universités et de chercheurs(es) possède un très haut potentiel de développement des nouvelles connaissances et de leur déploiement vers la société. Cependant, il semble encore manquer d’une stratégie efficace pour aider les universités à capturer les revenus générés par la recherche.

Le Québec avec son nombre important d’universités et de chercheurs(es) possède un très haut potentiel de développement des nouvelles connaissances et de leur déploiement vers la société. Cependant, il semble encore manquer d’une stratégie efficace pour aider les universités à capturer les revenus générés par la recherche.

Références

  • Almeida, Heitor, Po-Hsuan Hsu, and Dongmei Li. "Less is more: Financial constraints and innovative efficiency." Available at SSRN 1831786 (2013).
  • Geuna, Aldo, and Alessandro Muscio. "The governance of university knowledge transfer: A critical review of the literature." Minerva 47.1 (2009): 93-114.
  • Hoenig, Daniel, and Joachim Henkel. "Quality signals? The role of patents, alliances, and team experience in venture capital financing." Research Policy 44.5 (2015): 1049-1064.
  • Perkmann, Markus, et al. "Academic engagement and commercialisation: A review of the literature on university–industry relations." Research policy 42.2 (2013): 423-442.
  • Rothaermel, Frank T., Shanti D. Agung, and Lin Jiang. "University entrepreneurship: a taxonomy of the literature." Industrial and corporate change 16.4 (2007): 691-791.
  • Savva, Nicos, and Niyazi Taneri. "The role of equity, royalty, and fixed fees in technology licensing to university spin-offs." Management Science 61.6 (2015): 1323-1343.
  • Shapira, Philip, J. David Roessner, and Richard Barke. "New public infrastructures for small firm industral modernization in the USA." Entrepreneurship & Regional Development 7.1 (1995): 63-84.
  • Sinha, Uday Bhanu. "Optimal value of a patent in an asymmetric Cournot duopoly market." Economic Modelling 57 (2016): 93-105.

 

  • 1 La Loi Bayh-Dole permet aux universités états-uniennes de retenir la propriété de leur invention et de les commercialisé.
  • 2Rothaermel 2007
  • 3Geuna 2009
  • 4Shapira 1995
  • 5Almeida 2013, Hoenig 2015
  • 6Perkmann 2013

  • Arman Yalvac Aksoy
    Polytechnique Montréal

    Arman Y. Aksoy est un ingénieur doctorant en génie industriel à Polytechnique Montréal. Il est membre de la Chaire de recherche du Canada en création, développement et commercialisation de l’innovation. Il étudie la commercialisation de la recherche universitaire sous la supervision de Catherine Beaudry.

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