Un entrepreneur durable doit savoir naviguer dans l’« ancien » paradigme politico-économique fondé sur la croissance court-termisme qui privilégie les gains immédiats. Dans le monde du développement durable, bien que les procédés soient rentables le retour sur investissement n’est pas toujours aussi rapide et intense que dans l’industrie traditionnelle.
Comment en êtes-vous venu à l’entrepreneuriat?
Je suis doctorant en science et génie des matériaux lignocellulosiques au Département de chimie, biochimie et physique à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Géographe et ingénieur en bioressource, spécialisé en génie et gestion de l'environnement, mes recherches portent sur la conception de systèmes biotechnologiques, les chaînes d'approvisionnement en biomasse et la modélisation techno-économique appliquée au bioraffinage et à l'écologie industrielle. Mon directeur de recherche est le professeur Simon Barnabé et mon codirecteur est le professeur François Labelle. Je suis aussi consultant en développement durable ainsi que chargé de cours au département de management de l’UQTR.
Je fais également partie d’une équipe entrepreneuriale. La force de ce groupe de recherche se situe dans notre vision commune, nos intérêts partagés et la diversité de nos champs d’expertise. Nos activités portent sur la conception de systèmes biotechnologiques ainsi que de la logistique associée. Nous développons des expertises dans les matériaux et les énergies renouvelables, et nous œuvrons à la mise en place de procédés industriels verts. En résumé, notre startup a pour mission d’améliorer les performances en agriculture et en alimentation grâce à la science et l’innovation. Notre projet d'affaires a gagné à ce jour plusieurs distinctions totalisant plus de 15,000$ en prix.
Pourquoi créer une entreprise en biotechnologie? Bien... tout simplement pour tirer un maximum de valeur durable de nos ressources agricoles. Le Québec est doté d’une production bon an mal an de 3 à 4 millions de tonnes de maïs-grain aux champs, et environ l’équivalent en résidus de paille de maïs. Ces résidus représentent le potentiel théorique de la matière; quant au potentiel écologiquement et commercialement viable, le tonnage disponible est estimé à 25-100 k tonnes métriques anhydres (sans eau) de résidus de culture disponible pour des usages industriels.
Pour tirer un maximum de valeur économique, sociale et environnementale de cette ressource, notre équipe utilise des bioprocédés afin de déconstruire chimiquement la matière pour en récupérer ses composantes de bases : cellulose, hémicellulose, lignine. Par des procédés enzymatiques, on transforme la cellulose en sucres industriels de 2e génération qui ont une bonne valeur de revente sur les marchés. Ces sucres carboneutres peuvent ensuite être transformés en produits de plus hautes valeurs ajoutées afin de substituer des hydrocarbures d’origines fossiles.
Le schéma suivant montre le procédé simplifié d’un design circulaire d'un dépôt biomasse fonctionnant en symbiose avec une porcherie et un digesteur anaérobique. Le procédé transforme annuellement 24,000 tonnes anhydres de résidus de maïs pour produire environ 8,000 tonnes de sucre de 2e génération; les coproduits sont valorisés directement à la ferme sans transport. Le procédé est conçu également pour biométhaniser 12,000 tonnes anhydres de résidus organiques afin de produire 2.2 M Nm3 de bioCH4 utilisés comme gaz naturel comprimé dans les transports. Le digestat retourne sur le parterre de culture pour maintenir un bon bilan agronomique des sols. Finalement, le procédé permet de réduire un total de 43,000 tonnes de CO2 équivalent par année.
Quels sont les joies, les angoisses, les défis de l’entrepreneur?
Le démarrage d’une entreprise durable est une aventure passionnante aux multiples rebondissements. Dans les grandes joies de l’entrepreneur, mentionnons la liberté de créer son propre emploi et de travailler dans un domaine qui nous enthousiasme et nous passionne. L’entrepreneuriat est également une source intense d’apprentissage. Plusieurs disent qu’une année d’expérience à ce titre vaut dix ans comme employé dans une société. Les entrepreneurs sont des polymathes aux connaissances approfondies dans de multiples sujets. On débute la semaine en tant que géomaticien spécialisé en recherche opérationnelle, ensuite on est ingénieur en procédés chimiques, on termine en tant économiste-comptable cherchant à estimer la rentabilité potentielle du procédé; et le weekend, on est un analyste qui fait de la veille commerciale pour connaitre les rouages du marché.
Les entrepreneurs sont des polymathes [...]. On débute la semaine en tant que géomaticien spécialisé en recherche opérationnelle, ensuite on est ingénieur en procédés chimiques, on termine en tant économiste-comptable cherchant à estimer la rentabilité potentielle du procédé; et le weekend, on est un analyste qui fait de la veille commerciale pour connaitre les rouages du marché.
Pour mieux comprendre les enjeux et les obstacles en lien à l’entrepreneuriat durable, il faut se questionner sur ce qui détermine le succès d’une startup durable. Dans la littérature, on constate que le modèle d’affaires est le facteur clé de réussite, tandis que, le manque de capital-risque est l'un des principaux obstacles à la réussite. En effet, l’argent reste le nerf de la guerre. Un entrepreneur durable possède beaucoup de compétences et de ressources informationnelles, mais à l’égard des ressources matérielles et financières des défis particuliers se posent à lui. Il doit savoir naviguer dans l’« ancien » paradigme politico-économique fondé sur la croissance court-termisme qui privilégie les gains immédiats. Dans le monde du développement durable, bien que les procédés soient rentables le retour sur investissement n’est pas toujours aussi rapide et intense que dans l’industrie traditionnelle. De plus, les financiers voient les biotechnologies comme étant risquées, car celles-ci ne sont pas toujours à maturité. Cette réalité ajoute des défis supplémentaires, c’est pourquoi les entrepreneurs durables doivent démontrer des pistes de création de valeurs autres qu’économiques, dont les co-bénéfices sociaux et environnementaux. Cela demande de vulgariser les projets malgré leurs complexités pour présenter les opportunités durables aux investisseurs et autres institutions.
...les financiers voient les biotechnologies comme étant risquées, car celles-ci ne sont pas toujours à maturité. Cette réalité ajoute des défis supplémentaires, c’est pourquoi les entrepreneurs durables doivent démontrer des pistes de création de valeurs autres qu’économiques, dont les co-bénéfices sociaux et environnementaux.
Quels conseils donneriez-vous à des chercheurs voulant emprunter cette voie?
Aux chercheurs entrepreneurs qui s’intéressent au développement de la filière des biotechnologies, je les inviterais à développer un modèle d’affaires durable et innovant basé sur les principes de l’économie circulaire afin de créer de la valeur autant économique, social et environnemental. Ce type de projet contribue à développer l’économie des régions en tirant profit des atouts et des infrastructures déjà présentes, en plus de développer des échanges résilients en circuits courts. De plus, la coopération entre les acteurs locaux consolide des réseaux qui renforcent les capacités stratégiques, en plus de créer un climat de confiance entre les intervenants afin que ceux-ci favorisent la mise en place de symbioses industrielles.
- Pierre-Olivier Lemire
Université du Québec à Trois-Rivières
Pierre-Olivier Lemire est doctorant en science et génie des matériaux lignocellulosiques au Département de chimie, biochimie et physique à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Géographe et ingénieur en bioressource, spécialisé en génie et gestion de l'environnement, ses recherches portent sur la conception de systèmes biotechnologiques, les chaînes d'approvisionnement en biomasse et la modélisation techno-économique appliquée au bioraffinage et à l'écologie industrielle. Son directeur de recherche est le professeur Simon Barnabé et son codirecteur est le professeur François Labelle. Il est aussi consultant en développement durable ainsi que chargé de cours au département de management de l’UQTR.
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