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Adèle Paul-Hus, Université de Montréal, Vincent Larivière, Université de Montréal

Nos données montrent donc que les mesures de collaboration simplement basées sur le co-autorat sous-estiment de façon importante les pratiques de collaboration des chercheurs, principalement dans les disciplines des sciences sociales et humaines.

Signer à plusieurs en sciences…

Dans la plupart des disciplines des sciences naturelles et biomédicales, la collaboration est la forme dominante de la production des connaissances. Le travail de recherche s’organise autour d’équipes et de laboratoires, comporte une importante division du travail, et les publications sont généralement signées à plusieurs. En sciences sociales et humaines, par contre, on considère généralement la recherche comme étant un travail individuel, bien que le co-autorat soit en croissance dans ces disciplines1

La collaboration en recherche prend plusieurs formes, et celles-ci ne mènent pas nécessairement à la co-signature d’articles – d’autant plus que les types de contributions qui mènent au statut d’auteur sont très diversifiés. En effet, les pratiques de signature d’articles varient en fonction de la discipline, mais également de la culture spécifique à une institution ou à une équipe de recherche2. Ainsi, à un extrême du spectre, on retrouve la physique des particules, où la recherche est structurée autour de quelques équipements très complexes, dont le fonctionnement nécessite la collaboration de milliers d’individus et de plusieurs centaines d’institutions. Au sein de ces projets de Big science, chacun des membres de l’équipe signe chaque article – et ce, en ordre alphabétique –, peu importe leur contribution spécifique3. Ainsi, un article publié l’an dernier avait plus de 5 000 auteurs !4

… et signer seul en sciences sociales et humaines

À l’autre extrême du spectre, dans les sciences sociales et humaines, la signature d’articles est généralement indissociable de l’acte d’écriture, reléguant les contributions plus techniques à la rubrique des remerciements. Cette rubrique, aujourd’hui présente dans la majorité des articles savants, permet de reconnaître la contribution d’individus, d’institutions et d’organismes subventionnaires à la recherche publiée. Bien qu’ils relèvent d’une certaine forme de courtoisie académique, les remerciements permettent également de révéler une autre facette de la collaboration, qui autrement demeure invisible. Par exemple, le travail d’assistant de recherche, souvent crucial à la collecte et au traitement des données en sciences sociales et humaines, sera typiquement reconnu par un remerciement plutôt que par l’octroi du statut d’auteur. Ainsi, compte tenu des différentes pratiques disciplinaires d’attribution du statut d’auteur, le co-autorat ne peut être considéré que comme un indicateur partiel des activités de collaboration des chercheurs, que l’analyse des personnes remerciées permet de compléter. La rubrique des remerciements peut ainsi contenir des témoignages très hétérogènes, allant d’une expression de gratitude très personnelle à la reconnaissance de contributions techniques, intellectuelles ou matérielles ; contributions qui pourraient être suffisantes pour justifier le statut d’auteur dans certains contextes. 

Basé sur un article récemment publié dans le Journal of Informetrics5, nous proposons dans cette chronique d’aller au-delà du simple statut d’auteur et d’étendre l’analyse des pratiques de collaboration à l’ensemble des individus ayant contribué à un article scientifique, que ce soit comme auteur ou remercié. Ces résultats permettent d’obtenir un portrait plus complet des pratiques de collaboration des chercheurs, et de leur variation entre les disciplines.

Vincent Larivière
Source : Paul-Hus, A. Mongeon, P., Sainte-Marie, M., Larivière, V. (2017). The sum of it all: revealing collaboration patterns by combining authorship and acknowledgements. Journal of Informetrics, 11(1), p.80-87

Sources et traitements

Nous avons extrait le nombre d’auteurs ainsi que le nombre de remerciés de plus d’un million d’articles scientifiques, toutes disciplines confondues, publiés en 2015. Les données utilisées pour cette analyse ont été recueillies à l’aide de la base de données bibliographique Web of Science. Alors que le nombre d’auteurs par article est directement indexé par la base de données, le nombre de remerciés a dû être extrait à partir du plein texte de la rubrique des remerciements. À l’aide d’un algorithme de traitement automatisé du langage naturel, nous avons été en mesure d’identifier et dénombrer les individus nommés dans les remerciements de chaque article inclus dans notre corpus6. La liste finale inclut 810 525 noms distincts provenant des remerciements de 362 767 articles. 

Des équipes de taille comparable

La Figure 1 présente le nombre moyen d’auteurs et de remerciés par article, selon la discipline. Dans l’ensemble, les sciences naturelles et biomédicales se caractérisent par un nombre moyen d’auteurs beaucoup plus élevé que le nombre moyen de remerciés. Les sciences de la Terre et la biologie se distinguent toutefois des autres disciplines, avec près d’un tiers des contributeurs crédités comme remerciés. Les articles en sciences sociales et des champs professionnels ont un nombre moyen d’auteurs par article beaucoup plus bas, mais ont en contrepartie un nombre moyen de remerciés proportionnellement plus élevé. En sciences sociales, le nombre moyen d’individus remerciés (2,8 remerciés/article) est même supérieur au nombre moyen d’auteurs (2,7 auteurs/article)—pour un total de 5,5 contributeurs par article en sciences sociales, un nombre quasi équivalent à ce qui est obtenu en chimie (5,8). 

Globalement, lorsque l’on fait la somme des auteurs et des remerciés, bon nombre de disciplines des sciences sociales (champs professionnels, psychologie, santé et sciences sociales) obtiennent un nombre de contributeurs comparable à ce qui est observé dans certaines disciplines des sciences naturelles, tels la chimie et le génie. Ainsi, lorsque l’ensemble des contributeurs est pris en compte, les différences traditionnellement observées entre les sciences naturelles et les sciences sociales sont grandement réduites. 

Vers l’indexation des remerciés?

Nos données montrent donc que les mesures de collaboration simplement basées sur le co-autorat sous-estiment de façon importante les pratiques de collaboration des chercheurs, principalement dans les disciplines des sciences sociales et humaines, et que la taille des équipes de recherche est beaucoup plus homogène entre les disciplines lorsque les remerciés sont pris en compte. Aussi, nos résultats confirment le déclin du chercheur solitaire, et ce, dans l’ensemble des disciplines, y compris dans les sciences sociales. En effet, nos données montrent que 40% des publications à auteur unique comportent des remerciements à d’autres individus, témoignant d’une certaine forme de collaboration. Au final, l’inclusion de tous les individus ayant contribué à un document savant – à la fois comme auteur et comme remercié – permet d’obtenir un portrait plus juste des pratiques de collaboration en recherche, ainsi qu’une rétribution plus équitable des contributions effectuées.

  • 1Henriksen, D. (2016). The rise in co-authorship in the social sciences (1980–2013). Scientometrics, 107(2), 455 476. http://doi.org/10.1007/s11192-016-1849-x
  • 2Larivière, V., Desrochers, N., Macaluso, B., Mongeon, P., Paul-Hus, A., Sugimoto, C. R. (2016). Contributorship and division of labor in knowledge production. Social Studies of Science, 46(3), 417–435. https://doi.org/10.1177/0306312716650046
  • 3Pontille D (2004) La Signature Scientifique : Une Sociologie Pragmatique de l’Attribution. CNRS Sociologie, Paris: CNRS
  • 4Castelvecchi, D. (2015) Physics paper sets record with more than 5,000 authors. Nature, 15 mai 2015. http://www.nature.com/news/physics-paper-sets-record-with-more-than-5-000-authors-1.17567
  • 5Paul-Hus, A. Mongeon, P., Sainte-Marie, M., Larivière, V. (2017). The sum of it all: revealing collaboration patterns by combining authorship and acknowledgements. Journal of Informetrics, 11(1), p.80-87
  • 6Finkel, J.R., Grenager T., Manning, C. (2005). Incorporating Non-local Information into Information Extraction Systems by Gibbs Sampling. Proceedings of the 43nd Annual Meeting of the Association for Computational Linguistics (ACL 2005), pp. 363-370

  • Adèle Paul-Hus
    Étudiant·e au troisième cycle universitaire
    Université de Montréal

    Adèle Paul-Hus est candidate au doctorat en sciences de l’information à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Elle détient une maîtrise en sciences de l’information, ainsi qu’une maîtrise en anthropologie de l’Université de Montréal. Sa recherche doctorale s’intéresse à la fonction des remerciements dans le processus de communication savante et à la façon dont l’attribution du capital scientifique varie selon le statut et le genre des individus.

  • Vincent Larivière
    Professeur·e d’université
    Université de Montréal

    Vincent Larivière est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, professeur agrégé à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, directeur scientifique de la plateforme Érudit, membre régulier du CIRST et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches s’intéressent aux caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi qu’à la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en Science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph. D. en sciences de l’information (Université McGill).

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