Johanne Lebel : Fadia Naim, vous dirigez Cintech agroalimentaire, l’un des 49 centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT). Votre centre est associé au Cégep de Saint-Hyacinthe, au cœur d’une région où le secteur agroalimentaire est particulièrement présent. Pouvez-vous décrire brièvement votre organisation?
Fadia Naim : Cintech est un CCTT spécialisé en développement de produits et de procédés alimentaires ainsi qu’en évaluation sensorielle. Notre mission est québécoise, mais nous avons aussi des clients provenant d’autres provinces, de l’Europe et des États-Unis. Notre équipe est hautement qualifiée, elle se démarque par son caractère multidisciplinaire et son expérience dans tous les secteurs de l’industrie. Ce qui nous distingue aussi, c’est notre offre intégrée. En fait, nous accompagnons les entreprises à partir de l’idée jusqu’à la précommercialisation; nous pouvons intervenir à toutes les étapes du processus de développement de leur produit et notre approche d’innovation structurée est adaptée à la réalité de l’entreprise et aux besoins changeants du marché.
Johanne Lebel : Comment s’amorcent vos projets?
Fadia Naim : Souvent, ce sont les entreprises qui nous contactent pour des besoins ponctuels relatifs au développement de produit, aux opérations ou à l’évaluation sensorielle. C’est ce que nous appelons « services d’assistance technique et technologique ». Quant aux projets de recherche appliquée ou de transfert technologique, cela peut aller dans les deux sens : soit l’entreprise a dans ses cartons un projet d’innovation et demande l’expertise de Cintech pour encadrer ou mener le projet pour elle; soit Cintech identifie des opportunités d'innovation et les propose à des entreprises ciblées. Dépendamment du niveau d’incertitude lié au projet et de son caractère innovant, nous pourrons identifier un programme de soutien de la recherche et accompagner l’entreprise dans la démarche de demande de subvention.
Prenons l’exemple d’une technologie, la zéodratation par confinement. C’est une technologie de séchage comparable à la lyophilisation. L’avantage allégué de cette technologie est à la fois économique et environnemental : contrairement à la lyophilisation, elle ne requiert pas la congélation de l’aliment avant de le sécher, ce qui fait qu’elle consomme moins d’énergie, n’utilise pas de gaz frigorigène et ne rejette dans l’environnement que de la vapeur d’eau. Un autre avantage concerne la rétention des arômes et du gain en qualité nutritive. Toutefois, cette technologie n’est pas encore très utilisée à l’échelle industrielle, probablement en raison du peu de données disponibles. Présentement, nous développons une application spécifique pour une entreprise (confidentiel) qui est très intéressée par cette technologie. Le seul équipement qui existe au Canada se trouve à Cintech, dans le cadre d’une entente avec l’inventeur de la technologie.
Un autre volet de la recherche appliquée concerne ce que nous appelons les « projets mobilisateurs ». Ceux-ci réunissent plusieurs entreprises autour d’un objectif commun. Prenons, par exemple, la mise en œuvre d’une technologie ou d’un concept offrant des avantages quantifiables et des retombées économiques ou environnementales. Dans ce genre de dossier, nous appliquons la stratégie push. En fait, cette stratégie aiguillonnant une « innovation » vers les entreprises traverse plusieurs étapes avant même que nous ne commencions à communiquer avec les dirigeants : identifier ou anticiper les besoins, discerner des solutions, peser les avantages et les inconvénients; évaluer le potentiel du transfert, la disponibilité et le coût des équipements, et, s’il y a lieu, les collaborateurs potentiels; etc. Une fois nos devoirs faits, nous invitons des entreprises à un déjeuner-conférence, par exemple, pour présenter l’idée du projet avec les objectifs et les livrables, les possibilités et le mode de fonctionnement des subventions, leur engagement et le nôtre, etc. Cette approche renforce notre mission, qui est d’accélérer l’innovation et d’accroître la compétitivité de l’industrie québécoise de la transformation agroalimentaire. Pourquoi? Parce qu’on donne accès à l’expertise, aux infrastructures de recherche requises, aux programmes de subventions, à la réalisation de la preuve du concept menant à l’innovation. Bref, on atténue pour l’entreprise l’incertitude technologique et le risque financier liés à l’innovation.
Johanne Lebel : Pouvez-vous donner des exemples de ces projets?
Fadia Naim : Certainement. Nos deux plus gros projets en cours concernent « la valorisation des coproduits de production et de transformation alimentaire » et « la lumière pulsée pour le traitement de fruits et légumes à haute valeur ajoutée ». Les deux projets s’étalent sur 5 ans et totalisent près de 6,5 millions de dollars, incluant les subventions de recherche et d’infrastructures ainsi que la contribution des entreprises. Ils réunissent 15 entreprises de toutes tailles dont des producteurs, des PME, des multinationales, une COOP et une fédération. Sous un thème commun, chacun des partenaires industriels possède son propre projet avec ses objectifs spécifiques. Les retombées escomptées de ces projets sont multiples, sur les plans économique et environnemental : nouveaux produits, gain en qualité, réduction des coûts de production et du gaspillage (en réintroduisant les coproduits dans la chaîne de production), technologie verte, réduction des contaminants microbiens et du brunissement enzymatique des fruits et légumes frais ou minimalement transformés (lumière pulsée), etc. Ces projets peuvent cibler un secteur en particulier, par exemple celui des fruits et légumes et ses produits dans le cas du projet de lumière pulsée. Ils peuvent avoir une portée principalement régionale (par exemple, la Montérégie, région desservie par le cégep de Saint-Hyacinthe), mais aussi provinciale.
Johanne Lebel : Quelles sont vos relations avec les universités?
Fadia Naim : Nos missions sont différentes, mais nous sommes complémentaires; les universités génèrent le savoir, diffusent des résultats de recherche et forment les futurs chercheurs et professionnels. Cintech, et les CCTT, font le pont entre la recherche et les entreprises en transférant les belles découvertes en applications concrètes. Nos chercheurs, qui détiennent des doctorats et des maîtrises, font un parfait match avec nos professionnels (ou développeurs), qui possèdent des années d’expérience en industrie. Dans une ère ou le travail en silo n’est plus le standard et laisse tranquillement la place à l’innovation ouverte, nous avons tous l’intérêt et la volonté de collaborer ensemble pour offrir le meilleur à nos entreprises et à notre économie.
- Fadia Naim
Cintech agroalimentaire
Fadia Naim est présidente-directrice générale de Cintech agroalimentaire, un centre collégial de transfert de technologie, associé au Cégep de St-Hyacinthe.
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