Au même titre que la politique, que l'économie, que la diplomatie ou que la culture, la science constitue une indispensable grille de lecture du monde dans lequel nous vivons.
[NDLR : Pierre Barthélémy est rédacteur en chef invité du numéro « spécial congrès » de Découvrir. Il dirigera une compagnie de six journalistes-étudiants. Pour sa part, Marion Montaigne, de son oeil ironique et de sa plume alerte, rendra compte par le dessin de l'intensité trépidante de l'événement. À suivre, dès le 12 mai.]
Laissez-moi vous raconter une anecdote. Cela se passait en 2006 et si je peux vous citer la date exacte de cette histoire, c'est parce qu'il s'agissait du dernier 14-Juillet du président français Jacques Chirac, de son dernier défilé sur les Champs-Élysées à Paris, de sa dernière fête nationale comme chef de l'État et de sa dernière garden party dans les jardins du palais de l'Élysée. Pour la rédaction en chef du journal Le Monde où je travaillais alors, il n'y avait pas de doute : ce serait une date symbolique et Jacques Chirac transmettrait un message, une sorte de testament politique. Bref, il fallait consacrer une page entière à l'événement.
Le même jour paraissait dans Nature une expérience – une des toutes premières du genre – dans laquelle un tétraplégique, via des électrodes implantées dans son cerveau, parvenait par la seule force de sa pensée à déplacer un curseur sur un écran d'ordinateur. Alors responsable du service Sciences et Environnement du Monde, j'avais décidé que nous ouvririons notre page avec cette information certes spectaculaire, mais aussi profonde en raison de ce qu'elle impliquait sur le décodage des messages cérébraux. Et, un tantinet agacé par tout le ramdam autour de la garden party de l'Élysée, j'avais aussi préparé une expérience à ma façon.
Avec mon collègue Stéphane Foucart, qui est aujourd'hui un des meilleurs journalistes scientifiques francophones de la planète, nous avons laissé passer quelques jours puis nous avons comptabilisé les reprises des deux articles sur Internet. Le dernier 14-Juillet, si important, si symbolique, de Jacques Chirac, a totalisé une centaine de reprises et notre histoire de tétraplégique 20 000... Qu'est-ce qui était important et symbolique? Malgré la force de ces chiffres, vite suivis par d'autres tout aussi éloquents, je n'ai pas réussi à obtenir que les sciences obtiennent un meilleur traitement, autre chose qu'un strapontin dans l'actualité.
Pourtant, au même titre que la politique, que l'économie, que la diplomatie ou que la culture, la science constitue une indispensable grille de lecture du monde dans lequel nous vivons. Sans elle, comment les honnêtes hommes et femmes d'aujourd'hui peuvent-ils exercer leur jugement et leurs choix citoyens sur des sujets aussi complexes et décisifs que les actions à entreprendre pour lutter contre le réchauffement climatique, l'acceptation ou non des nanotechnologies ou des organismes génétiquement modifiés, l'exploitation des gaz de schiste, l'arrêt, la poursuite ou le développement des programmes nucléaires, les grands axes des politiques sanitaires, etc.? Comment, dans un monde où les budgets des États se resserrent, justifier les investissements dans la recherche si on n'en analyse ni les objectifs ni les retombées, si on ne peut expliquer au contribuable qu'il y a, par exemple, plus de science fondamentale dans un téléphone portable ou un ordinateur que dans n'importe quel objet du quotidien? Et comment, pour aborder une autre dimension de la vulgarisation scientifique, répondre à la simple curiosité d'Homo sapiens sur ses origines, les propriétés de la nature et de l'Univers, si ses principaux canaux d'accès à la connaissance n'en parlent pas du tout ou pas de manière rigoureuse? Car on ne peut se contenter, pour apprendre, de taper une requête sur Google. Encore faut-il que les résultats de la recherche soient fiables et vérifiés.
«Comment, dans un monde où les budgets des États se resserrent, justifier les investissements dans la recherche si on n'en analyse ni les objectifs ni les retombées?»
Voilà pourquoi le journalisme scientifique est plus que jamais indispensable : pour offrir un prisme sur le monde et ses enjeux autre que celui de l'économie et de la politique, qui ont leurs exigences et leur temporalité propres, souvent à court terme; pour faire un pas de côté par rapport au rouleau compresseur de l'actualité qui écrase les infos aussi vite qu'il les a présentées; pour, aussi, rectifier les désinformations savamment distillées par les grands communicants, les groupes de pression et les marchands de doute, lesquels ont, mieux que les chercheurs, compris le pouvoir et l'influence qu'ils pouvaient tirer de la Toile en s'adressant directement aux internautes, en s'affranchissant de la relecture critique et parfois dérangeante des journalistes.
Voilà pourquoi il est plus que jamais nécessaire de former la relève, les vulgarisateurs de demain, ceux qui secoueront les rédactions pour pouvoir, quels que soient les supports, transmettre les résultats de la recherche, pour offrir un autre regard sur le monde. Cette année, la relève a pour nom Maxime Bilodeau, Amélie Cléroux, Katy Larouche, Rémi Léonard, Alexandra Nadeau et Daphnée Paluszko. Ils finissent d'apprendre leur métier de journaliste. Vous les verrez – ou vous ne les verrez pas parce qu'ils ne sont que 6 parmi quelque 5 000 chercheurs – arpenter les couloirs de ce 82e Congrès de l'Acfas à Montréal. Ce sera pour eux un magnifique terrain de jeux et d'expériences. Et merci à l'avance aux scientifiques de leur réserver le meilleur accueil pour que, plus tard, ils aient davantage envie de rendre compte d'une étude profonde et compliquée que d'une garden party à l'Élysée.
- Pierre Barthélémy, journaliste scientifique, Le Monde
Marion Montaigne, illustratricePrésentation de Pierre Barthélémy et de Marion MontaignePierre Barthélémy est journaliste indépendant, chroniqueur scientifique pour Le Monde et Elle, auteur du blogue Passeur de sciences sur LeMonde.fr. Après avoir exercé tous les métiers du journalisme au sein du Monde (secrétaire de rédaction, rédacteur, reporter, chef de service) et été rédacteur en chef du magazine Science & Vie, il a pris un chemin de traverse en 2010 en devenant pigiste et en quittant Paris la trépidante. Un pied dans la presse papier, un autre dans la presse en ligne, quelques livres à écrire, quatre enfants à élever et une passion... pour le jeu d’échecs dont il couvre les grands événements depuis plus de vingt ans.Marion Montaigne : « Je suis née à l’Île de la Réunion en 1980. J’ai fait une formation d’illustratrice puis de dessinatrice d’animation aux Gobelins. J’ai un peu travaillé dans l’animation puis je me suis mise à l’illustration pour Bayard, Milan, Lito, Nathan, et à la BD pour Dlire, Capsule Cosmique etc... J’ai publié Le cafard chez Lito, Panique Organique chez Sarbacane, La vie des très bête tome 1 et 2 chez Bayard. En 2009, j’ai été aussi scénariste sur la saison 2 de la série animée Mandarine and Cow de Jacques Azam (France 3). Deux ans après sa création, j’ai publié en 2 tomes de mon blogue Tu mourras moins bête chez Ankama, qui a reçu le prix du public à Angoulême en 2013. Je prépare actuellement le tome 3 qui devrait sortir en septembre 2014. En parallèle, je réponds à des demandes d’illustrations, notamment quand elles viennent de Pierre Barthélémy. » Remerciements :La venue de Pierre Barthélémy et de Marion Montaigne au congrès de l’Acfas a été rendu possible grâce au soutien du service scientifique du Consulat général de France à Québec.
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