L’adage dit qu’en théorie, il n’y a pas de différence entre la pratique et la théorie, mais en pratique, il en va tout autrement. On entend aussi que la théorie s’intéresse à la règle, tandis que la pratique fait face à l’exception. Les discussions à propos de la nature ou de la spécificité de la recherche-création tourne ainsi souvent, même trop souvent, autour de la question du rapport qu’elle implique entre la théorie et la pratique surtout lorsqu’il s’agit de simplifier la chose en voyant seulement le côté pratique dans la création et la facette théorique dans le discours porté sur cette dernière.
Il faut plutôt aborder cette relation en la distinguant de l’expression « recherche ET création » en s’interrogeant sur ce que l’on souhaite indiquer de particulier avec le trait d’union posé entre ces deux termes. Sans exclure la compréhension ou l’interprétation, ce trait souligne d’abord un intérêt marqué pour la transformation. Tout comme en recherche-intervention ou en recherche-action, il ne s’agit pas tant d’y décrire le monde tel qu’il est, mais bien de le formuler tel qu’il pourrait ou devrait l’être.
Cela dit, la recherche-création ne prétend pas à simplement augmenter le répertoire artistique ou le patrimoine culturel, elle se doit de proposer des discours inédits, élaborer des univers différents, suggérer même de nouveaux modèles de pensée par les approches expérimentales, exploratoires ou critiques qu’elle utilise. Son principe directeur suit donc un axe méthodologique. C’est une recherche qui se fait PAR la création. Elle se constitue d’œuvres exemplaires qui présentent des cas de figures soumises aux pairs, aux experts et qui devrait aussi et nécessairement être mises à l’épreuve par le grand public. La recherche-création se doit donc d’être exposée, jouée, éditée... Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle cherche à être vertueuse ou à devenir virtuose puisqu’il ne s’agit surtout pas de se conformer habilement à la norme ou de répondre spectaculairement à des attentes figées. On doit plutôt escompter s’y risquer, en débattre, se raviser.
Pour ma part, la recherche-création m’a incité à faire de l’art autrement en mettant en œuvre(s) des problématiques reliées à l’émergence de la culture et des pratiques numériques.
J’ai essayé de voir comment on pouvait « augmenter » l’expérience esthétique du spectateur en impliquant explicitement son corps par le toucher, le souffle ou la marche. J’ai aussi proposé une nouvelle façon de concevoir l’art public en reliant l’intimité de la téléphonie mobile à la monumentalité des écrans urbains. J’ai développé des dispositifs d’écriture aléatoire se structurant et se déployant dynamiquement dans l’espace afin de produire des textes variables inspirés en bonne partie par la littérature imprimée de Borges, Derrida ou Beckett. Aujourd’hui, j’anticipe déjà comment l’intelligence artificielle pourra bientôt nous permettre de recycler perpétuellement l’immense stock d’images déjà accumulé en les réagençant de manière surprenante sinon révélatrice.
- Jean Dubois
UQAM - Université du Québec à Montréal
Jean Dubois explore le potentiel artistique de l’imagerie numérique qu’elle soit fixe, en mouvement ou interactive. Ses créations ont été présentées dans plusieurs institutions et événements internationaux. Il enseigne à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM où il a également été vice-doyen à la recherche et la création de la Faculté des arts. Il est un des membres fondateurs du réseau de recherche-création Hexagram.
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