Présenté à l’Université du Québec à Rimouski du 25 au 29 mai, le 83e Congrès de l’Acfas est placé sous la présidence d’honneur de Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec. Dans ce contexte, le magazine Découvrir a "donné le micro" au recteur de l’UQAR, Jean-Pierre Ouellet, l'invitant à interroger M. Quirion sur l’apport de la recherche à la société québécoise.
Jean-Pierre Ouellet : Nous avons la chance cette année que le président d’honneur du Congrès de l’Acfas soit un scientifique ayant, de surcroît, connu une brillante carrière. J’aimerais que vous résumiez à grands traits votre carrière en précisant ce qui vous a stimulé à la poursuivre.
Rémi Quirion : Depuis mes études, ce qui m’a toujours passionné, c’est l’excitation des découvertes, l'idée de repousser les frontières de l’inconnu! J’ai obtenu mon doctorat en pharmacologie à l’Université de Sherbrooke en 1980 et j’ai par la suite effectué un stage postdoctoral au National Institute of Mental Health, aux États-Unis. Je me suis rapidement intéressé à la maladie d’Alzheimer et mes recherches ont aidé à mieux comprendre le rôle du système cholinergique dans cette maladie, celui du neuropeptide Y dans la dépression et la mémoire, et enfin, celui du peptide relié au gène de la calcitonine dans la douleur et la tolérance aux opiacés.
En plus de mener mes recherches, j’étais professeur de psychiatrie à l’Université McGill. J’ai énormément apprécié le contact avec les étudiants et j'ai participé à la formation d’une relève dans ce domaine. D’ailleurs, c’est un des aspects de mon travail que j’ai le plus savourés : transmettre mon savoir et ma passion pour les neurosciences.
J’ai de plus été directeur scientifique du Centre de recherche de l’Institut Douglas et directeur exécutif de la Stratégie internationale de recherche concertée sur la maladie d’Alzheimer des Instituts de recherche en santé du Canada. Jusqu’à ma nomination en tant que scientifique en chef du Québec, j’étais vice-doyen aux sciences de la vie et aux initiatives stratégiques de la Faculté de médecine de l’Université McGill.
Depuis le 1er septembre 2011, j’occupe le poste de scientifique en chef. À ce titre, je préside les conseils d’administration des trois Fonds de recherche du Québec et je conseille le ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière de développement de la recherche et de la science – et ce, dans tous les secteurs et domaines de recherche –, un poste qui présente de nombreux défis et se révèle très stimulant!
Jean-Pierre Ouellet : Quelle est, selon vous, l’importance de la recherche dans le développement futur de la société québécoise?
Rémi Quirion : La recherche est essentielle, voire incontournable! Dans 10 ans, les sociétés qui seront les plus compétitives seront certainement celles qui investissent aujourd’hui le plus en éducation et en R-D, et celles qui forment une main-d’œuvre hautement qualifiée. Il est aujourd’hui crucial de miser sur notre matière grise… plus que sur nos sous-sols (!), et d'investir pour l'exploiter Un fait intéressant : le gouvernement du Québec investit autant, sinon plus, en recherche et innovation que la moyenne des pays de l’OCDE. Cependant, la part du PIB consacrée à la R-D a diminué ici au cours des dernières années. Ainsi, entre 2003 et 2012, le ratio DIRD1 / PIB du Québec est passé de 2,68 % à 2,27 %, son niveau le plus bas au cours des dernières années.
«Il est aujourd’hui crucial de miser sur notre matière grise… plus que sur nos sous-sols (!)».
Jean-Pierre Ouellet : Quels sont les principaux défis que le Québec doit relever sur le plan de la recherche?
Rémi Quirion : D’abord, le Québec doit relever indéniablement le défi de la formation de la relève, d’une relève de très grande qualité. Nous devons être parmi les meilleurs au monde en recherche! Pour cela, il faut soutenir adéquatement la relève et intervenir tôt. Par exemple, il est nécessaire de promouvoir les carrières scientifiques dès le primaire et de s’assurer que nos enfants accèdent au minimum aux études collégiales. Il faut poursuivre et affiner nos stratégies pour combattre le décrochage scolaire, qui, heureusement, diminue depuis quelques années. Ensuite, il faut encourager les jeunes qui ont du potentiel à se rendre l’université et à terminer leurs études supérieures. C’est triste de voir qu’en 2010 les jeunes Québécois sont proportionnellement moins nombreux à décrocher un baccalauréat que l’ensemble des jeunes Canadiens (36,3 %), soit un taux d’obtention de 32,8 %. Cet écart s’est aussi creusé entre le Québec et la moyenne de l’OCDE, qui a grimpé de 28,2 % à 39,1 % entre 2000 et 2010.
Par ailleurs, un autre défi est celui du financement de la recherche fondamentale, et ce, dans tous les secteurs. On se demande parfois quelle est la pertinence de financer la recherche en philosophie ou en science religieuse, par exemple. Pourtant, le phénomène de radicalisation religieuse au Québec nous rappelle l’importance de soutenir la recherche libre dans tous les domaines, car elle peut apporter des réponses à de tels problèmes de société.
«Un autre défi est celui du financement de la recherche fondamentale, et ce, dans tous les secteurs».
Cela dit, il faut aussi soutenir certains secteurs prioritaires pour le Québec. On peut penser au numérique, à l’aérospatiale, ou encore, à la recherche nordique ou sur les questions maritimes. Même s'il est difficile de choisir, il faut concentrer une part des efforts de recherche dans certains domaines plus précis, qui renvoient notamment à nos grands défis de société. Pensons aux changements démographiques, par exemple, un de nos plus grands défis actuels à cause du vieillissement rapide de notre population.
Jean-Pierre Ouellet : Plusieurs enjeux complexes commandent une mise en commun d’expertises pour bien les cerner. Comment peut-on faciliter ce partage?Rémi Quirion : Pour analyser la complexité des phénomènes de société, de santé et d’environnement, et proposer des solutions novatrices, il faut que des chercheurs de différentes disciplines, mais aussi de secteurs de recherche variés, puissent se côtoyer, se parler. Les chercheurs en sciences de la santé, en sciences naturelles et en génie, en sciences sociales et humaines, en arts et lettres, analysent les enjeux et les problèmes selon des perspectives et des méthodes différentes, et la complémentarité de leurs champs d'intérêt permet de mieux les comprendre, de mieux intervenir.
Pour encourager cette mise en commun, les Fonds de recherche organisent des forums d’orientation de la recherche sur des thématiques prioritaires pour le Québec – que ce l’entrepreneuriat, le développement du nord du Québec, le maritime – et y invitent des chercheurs de tous les horizons, des représentants des différents milieux (gouvernemental, industrie, société civile…). Ces échanges entre chercheurs et professionnels aident à circonscrire les pistes de recherches les plus porteuses, et donc sans aucun doute des pistes de solutions novatrices aux défis que doit affronter le Québec.
Jean-Pierre Ouellet : Le 83e Congrès de l’Acfas se tient en région cette année. Qu’est-ce que cela représente?Rémi Quirion : Le modèle du congrès de l’Acfas est unique au monde. Il s’agit d’un congrès francophone de niveau mondial. Chaque année, des chercheurs de plusieurs pays participent à ce rendez-vous nomade dont les universités d’ici se font hôtesses à tour de rôle. Les universités du réseau de l’Université du Québec sont ainsi appelées à recevoir la « visite » scientifique régulièrement. Ces établissements offrent des milieux de vie stimulants aux étudiants, participent activement au développement de leur région et se spécialisent souvent dans certains domaines. Organiser le congrès de l’Acfas en région, c’est mieux faire connaître l’Université, son territoire et sa réalité aux autres chercheurs du Québec et d’ailleurs. Une formule assurément gagnante pour tout le monde!Jean-Pierre Ouellet : Place au rêve… Comment voyez-vous le 100e Congrès de l’Acfas?Rémi Quirion : J’espère être encore là dans 17 ans pour fêter l'événement! Peut-être pourrions-nous penser à un congrès qui soit encore plus en phase avec les principes du développement durable et qui intègre, notamment, plus de sessions virtuelles. Le Congrès de l’Acfas doit devenir incontournable aussi pour les acteurs sociaux, au point où les ministres devraient devoir se battre pour y assister!
«Le Congrès de l’Acfas doit devenir incontournable aussi pour les acteurs sociaux, au point où les ministres devraient devoir se battre pour y assister!».
Note :
- Rémi Quirion et Jean-PIerre Ouellet
Scientifique en chef et recteurPrésentation de Jean-Pierre OuelletJean-Pierre Ouellet est le recteur de l’Université du Québec à Rimouski depuis 2012. Biologiste de formation, il est titulaire d’un doctorat en zoologie de l’Université de l’Alberta, d’une maîtrise en biologie de l’Université de Montréal et d’un baccalauréat en biologie de l’UQAR. Il est d’ailleurs le premier diplômé de l’Université en devenir le recteur. C’est à titre de professeur de biologie que M. Ouellet a commencé sa carrière universitaire à l’UQAR. Spécialiste de l’impact des facteurs anthropiques sur la faune, il a contribué activement au développement et à la mise en place de plusieurs programmes d’études en plus d’encourager l’essor de la recherche. Avant d’occuper la fonction de recteur, M. Ouellet a été vice-recteur à la formation et à la recherche et doyen des études de cycles supérieurs et de la recherche.
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