Le cœur de la mission "1000 jours pour la planète" est de faire circuler l’information scientifique. Souligner les bons coups des chercheurs et lever le drapeau rouge lorsque les résultats de leurs travaux sont inquiétants.
Le 18 avril 2012, à 18 h 08, le biologiste et cinéaste Jean Lemire ainsi que son équipage larguaient les amarres depuis Gaspé. Après l’exploration des pôles, le voilier océanographique Sedna IV entreprenait un tour du monde d’une durée de trois ans pour documenter l’état de la biodiversité planétaire. C’était la première journée de la mission 1000 jours pour la planète.
Cette initiative québécoise de portée internationale avait pour objectif de réaliser, en collaboration avec des scientifiques du monde entier, une série de documentaires mettant à l’avant-plan la beauté et la fragilité de la vie qui nous entoure. Mais rapidement, cet objectif a pris un autre cap. Plus que de la beauté, c’est de l’état inquiétant de la biosphère qu’il fallait rendre compte : destruction des habitats, espèces envahissantes, changements climatiques, pollution, surexploitation des ressources. Des menaces qui planent sur l’intégrité de la diversité biologique et qui ne cessent de se multiplier. Pour cumuler des images inédites illustrant de tels sujets scientifiquement complexes et humainement bouleversants, le choix de l’itinéraire devint extrêmement ardu étant donné l’ampleur de la tâche. Un pari pour le moins ambitieux.
Le tour des mers
Comme le disent les bouddhistes, tout voyage de 1000 km débute avec un seul pas. Pour nous, ce point de départ fut les Açores, archipel de l’Atlantique Nord au large du Portugal, où nous avions déjà plusieurs contacts. Pour accéder aux Açores depuis Gaspé, le Sedna IV a navigué à travers de pénibles conditions météorologiques, affrontant les tempêtes hauturières caractéristiques de cette région du globe. Néanmoins, de ce baptême des eaux est née une solidarité professionnelle entre les membres de l’équipage qui allait rendre d’autant plus efficaces le travail de terrain et la collecte d’images. Cet équipage particulièrement hétéroclite se composait de professionnels de plusieurs horizons : marins, étudiants, scientifiques et cinéastes.
Nous avons d'abord fait une halte à Horta, sur l’île de Faial de l’archipel açorien, une des plus célèbres et anciennes escales pour les navires traversant l’Atlantique. Dans cette région, l’objectif était de collaborer avec des chercheurs de l’Université des Açores pour installer des émetteurs acoustiques sur des requins bleus, Prionace glauca, l’espèce de requin la plus pêchée mondialement. Ainsi, dès leurs premières prises, les caméras de 1000 jours ont abordé des sujets litigieux : la surexploitation des océans et la pêche aux ailerons de requins. Des images-chocs de squales démembrés vivants ont tristement marqué l’équipage du Sedna IV et, éventuellement, le Québec entier1.
À partir de là, tout a déboulé. Nous entamions un tour du monde assez troublant! L’habitat morcelé des jaguars d’Amérique centrale, le blanchiment des récifs de corail en Polynésie française, la cohabitation des hommes et des dragons de Komodo en Indonésie, etc. Ce ne sont là que quelques exemples des points d’intérêt de la mission. L’itinéraire du Sedna IV a été ponctué de nombreuses escales de par le monde.
Sur la corde raide
Le parcours du Sedna IV fait ressortir un état de la biodiversité des plus inquiétants. Jean Lemire explique : « J’essaie d’être un éternel optimiste, de trouver dans les situations les plus alarmantes le côté positif des choses. Cette fois, j’ai de la difficulté. La situation environnementale mondiale est plus catastrophique que je ne le pensais! […] Difficile mission où la beauté du monde côtoie, encore une fois, les traces de nos dérisions… »
Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est de constater que l’équilibre millénaire des grands écosystèmes terrestres et aquatiques est en train de se rompre, globalement et rapidement. Depuis des milliards d’années, les organisations vivantes ont coévolué de façon dynamique au sein de la biosphère, tissant ainsi des réseaux d’interdépendance résilients, mais fragiles. Or nous le savons maintenant, une espèce ne peut disparaître sans risquer de faire s’écrouler tout le château de cartes qu’elle soutient, et qui la soutient en échange.
Nous avons observé cet état de fait à plusieurs reprises au cours de notre mission. Par exemple, nous parlions précédemment de la pêche aux requins, une pratique qui illustre bien les grands bouleversements océaniques. À l’instar de plusieurs espèces de poissons prédateurs, les requins sont vulnérables à la surpêche, notamment à cause de leur maturité sexuelle tardive. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la pêche commerciale a décimé, en 50 ans à peine, près de 90 % des stocks de poissons prédateurs. Qui plus est, le déclin des tortues marines, notamment en raison des prises de pêche accidentelles, a engendré une explosion considérable des populations de méduses. Les résultats écologiques de toutes ces modifications d’origine anthropique se répercutent sur le fonctionnement des écosystèmes marins. Et nécessairement, l’avenir de la pêche même est menacé.
Depuis que l’être humain a réussi à modifier son environnement à grande échelle, il semble avoir oublié qu’il faisait également partie intégrante de la biosphère. Et pourtant, seul, hors des écosystèmes, il ne peut subsister.« N’oublions pas que nous consommons 145 millions de tonnes de poisson par année dans le monde et que des populations entières dépendent des ressources de la mer pour survivre, nous rappelle Jean. La protection de nos écosystèmes, c’est aussi la protection de notre propre vie… »
La recherche autour du monde
Dans un pareil contexte, le travail des chercheurs des quatre coins du monde est crucial pour caractériser ces problématiques et proposer rapidement des solutions. Afin de les appuyer, le Sedna IV a offert aux acteurs de la recherche sa « plate-forme de travail ». Par exemple, des chercheurs ont pu y séjourner plusieurs jours pour accéder à des sites d’étude éloignés en mer. Évelyne Daigle, biologiste à Espace pour la vie et correspondante scientifique à bord du Sedna IV au cours des premiers mois de la mission, explique : « Nous avons rencontré, aux
îles Caïmans, des chercheurs qui étudient l'invasion d’un poisson exotique dans la mer des Caraïbes, la rascasse volante. Un de leurs objectifs était de comparer deux populations distinctes de rascasses : une située à Petit Caïman, l’aire d’étude habituelle de ces chercheurs, et une autre provenant d’un site où la pêche aux mérous, prédateurs naturels des rascasses, est peu pratiquée. Le Sedna IV a ainsi donné aux scientifiques l’accès à un haut-fond appelé Pickle Bank, situé à quelques dizaines de milles nautiques au large de ces îles. Ces scientifiques ont plongé sur le haut-fond pendant plusieurs jours et collecté des données importantes sur la prédation d'une espèce exotique envahissante par un prédateur indigène. »
Faire connaître
Le cœur de la mission 1000 jours pour la planète est de faire circuler l’information scientifique. Souligner les bons coups des chercheurs et lever le drapeau rouge lorsque les résultats de leurs travaux sont inquiétants. Ouvrir la réflexion sur des pistes de solutions, mais aussi et surtout, recueillir des images « témoins » qui seront diffusées à un très large public. Si la recherche entourant la biodiversité fait malheureusement peu les manchettes, 1000 jours pour la planète souhaite prendre d’assaut la télévision et faire passer ce message : notre planète a besoin d’aide. De nos chercheurs, mais aussi de nos entrepreneurs, de nos citoyens et de nos politiciens! Un appel à l’effort global est lancé. « Il ne reste qu’à espérer que l’héritage de ces temps difficiles engendrera un nouvel équilibre entre l’humanité et la nature, où le développement durable dressera les nouvelles règles de croissance et d’évolution », observe Jean Lemire.
Les derniers jours
Après approximativement 900 jours à voguer sur les mers du monde, le Sedna IV est aujourd’hui de retour dans les eaux familières de Cap-aux-Meules, des images et des histoires plein la cale! Notons que la dernière portion de l’aventure a été entamée en juillet 2014, au moment où le voilier a mis le cap vers la Terre de Baffin. Jean Lemire et son équipage s’y retrouvaient 12 ans après la fameuse mission Arctique, premier voyage scientifique du célèbre voilier circumnavigateur. Est-il possible que les paysages de glaces « éternelles » aient déjà changé après une seule décennie? Que nous apprendra le Sedna IV à son retour dans notre Saint-Laurent, cet automne, au moment où se concluront les 1000 jours de son épopée?
Nous vous relaterons les derniers rebondissements de cette mission haute en couleur dans quelques mois. En attendant, en tant qu’anciennes correspondantes scientifiques d’Espace pour la vie à bord, nous souhaitons à notre cher Sedna et à tout son équipage bon vent!
Pour en connaître davantage sur la mission 1000 jours pour la planète, nous vous invitons à consulter le site web et à suivre les nouveaux épisodes des documentaires présentés dès l’automne.
Note :
- Marie-Ève André et Jade-Anaïs Généreux-Gamache
UQAM et Espace pour la vie
Marie-Ève André est étudiante à la maîtrise à l’Université du Québec à Montréal en enseignement des sciences au secondaire. Elle détient aussi une maîtrise en biologie, avec un cheminement en écologie, de l’Université de Sherbrooke. Ses travaux de recherche, réalisés dans la région de Calakmul au Mexique, ont mis en lumière certains éléments de base de la biologie du Sarcoramphe roi, un oiseau nécrophage des forêts tropicales d’Amérique dont les populations sont en déclin. En tant que biologiste, Marie-Ève s’intéresse à la recherche appliquée en conservation de la faune, à l’enseignement des sciences auprès des jeunes et à la communication scientifique.
Jade-Anaïs Généreux-Gamache est titulaire d’un baccalauréat en biologie de l’Université de Montréal. Depuis 2009, elle travaille à Espace pour la vie (Jardin botanique, Insectarium, Planétarium Rio Tinto Alcan et Biôdome). C’est dans ce cadre qu’elle a pu séjourner à bord du Sedna IV en 2013 à titre de responsable des communications scientifiques pour la mission 1000 jours pour la planète.
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