L’Association pour la recherche qualitative (ARQ) s’intéresse cette fois-ci à la pratique « ordinaire » de l’analyse telle qu’elle se réalise au cœur des rencontres de travail entre collègues-chercheurs (souvent de divers horizons disciplinaires), étudiants-chercheurs, et même parfois acteurs sociaux de diverses appartenances. Aujourd’hui, le travail collaboratif est très encouragé en recherche, notamment dans la production des analyses, mais il est souvent passé sous silence, voire complètement occulté en raison des limites et exigences des formats de publication habituels. L’ARQ souhaite donc ouvrir cette boîte noire pour examiner ces interactions au cœur du travail concret d’analyse en réinsérant celui-ci dans les pratiques sociales qui le mettent en œuvre, le concevant comme une action collective négociée entre les personnes impliquées dans la production du sens des matériaux étudiés.
L’éclairage anticipé revêt une grande importance puisque le travail collaboratif qui se réalise à l’ombre des démarches plus visibles a une incidence sur les choix retenus en matière de direction et crée ce qui éventuellement est présenté en termes de résultats de recherche. Ainsi, quelles sont les interactions qui participent à la production des analyses? Quels sont les objets de négociation qu’elles révèlent? Quelles sont les normes ou conventions qui balisent les décisions prises (Rix et Lièvre, 2005)? Quels compromis sont nécessaires au maillage d’idées de toute provenance et comment celles-ci sont-elles sélectionnées et hiérarchisées pour permettre l’avancée du processus analytique?
Ce questionnement se veut une contribution au projet scientifique lancé par Bruno Latour. Cet anthropologue des sciences a observé des scientifiques au travail et ce qu’ils font précisément dans leur laboratoire, et il a décrit le processus de production de données comme un travail de construction sociale. Il a ainsi montré comment celles-ci sont suscitées et construites, entre autres à la faveur de la coopération de tout un réseau d’acteurs. Les travaux de Latour s’inscrivent plus largement dans le domaine de la sociologie des sciences ou de la connaissance, entamé dans le monde anglo-saxon par des auteurs tels que Thomas Samuel Kuhn et développé aujourd’hui par bon nombre de chercheurs posant un regard distancié et resocialisant sur la production scientifique (ex. : Callon, Lascoumes et Barthe, 2001; Collins et Pinch, 1993; Darré, 1977; 1999; Larochelle et Désautels, 2002).
Ancrées dans des expériences concrètes de recherche empirique, les présentations s’inscriront dans l’un ou l’autre de ces axes : 1) celui de la division du travail; 2) celui de la négociation des positions de savoir; 3) celui des médiations construites par le chercheur; et 4) celui de la pensée plurielle en tant que potentiel d’innovation. Ces quatre axes de réflexion combinés permettront de mieux comprendre la fabrique des analyses qualitatives en la (ré)insérant dans l’ensemble de pratiques sociales qui la mettent en œuvre.