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Le Cœur à l’ouvrage (CAO) fête, ce mois-ci, sa première année d’existence. Imaginé comme un lieu d’expérimentations, d’échanges et de soutien mutuel, ce collectif est conçu pour et par les étudiant·es aux études supérieures dont les travaux portent sur les violences basées sur le genre. Récit réflexif sur ce projet-pilote transformateur, appuyé par le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), et perspectives sur l’importance des espaces de sollicitude dans le milieu universitaire. 

Le bilan du Cœur à l’ouvrage (CAO) met en lumière une première année riche en apprentissages et en solidarité pour les sept membres du collectif. Conçu comme un espace féministe, inclusif et anti-oppressif, le CAO a permis de collectiviser les expériences et les réflexions liées aux recherches sur les violences basées sur le genre. Les rencontres entre les membres ont favorisé une posture réflexive et un soutien mutuel, donnant l’occasion d'aborder divers thèmes tels que la positionnalité épistémologique, les enjeux méthodologiques et éthiques, ainsi que leurs impacts sur la santé mentale et le bien-être des chercheuses. Par exemple, nous partageons nos expériences et nos outils pour mieux nous préparer à travailler sur le terrain et à faire face à des entretiens potentiellement déstabilisants. En effet, le type de terrain dans lequel nous nous engageons suscite souvent des réactions émotionnelles qui peuvent entraîner un trauma vicariant. Il est donc essentiel de développer des stratégies pour s'y préparer et prendre soin de soi, afin de garantir la durabilité de ce type de recherche. L’accent a également été mis sur l’importance de créer des espaces de convivialité et de plaisir, laissant à chacune la liberté de participer selon son niveau de confort et ses capacités émotives, tout en permettant une cohabitation avec des émotions parfois complexes.

Récit de pratiques d’éthique du care ou de la sollicitude

L’éthique du care ou de la sollicitude, telle que définie par Joan Tronto, met de l’avant l'interconnexion et la responsabilité mutuelle, en insistant sur le fait que la sollicitude n'est pas seulement une pratique individuelle, mais bien un engagement politique et social qui vise à reconnaître et combler les besoins de l’autre1. Cette éthique repose sur quatre dimensions fondamentales : l'attention portée aux besoins, la prise de responsabilité, la compétence dans les soins et la réactivité à la personne vulnérable. Elle reconnaît l'importance des relations et de la vulnérabilité dans le développement d'une société juste et bienveillante.

Au sein du CAO, nous mettons en pratique ces éthiques de la sollicitude de manière concrète, en plaçant la bienveillance au cœur de nos interactions. Cela se manifeste par des gestes simples mais puissants, comme des hochements de tête, des sourires, et la validation des ressentis et des expériences partagées. Nous avons appris à prendre soin les unes des autres, souvent au-delà des mots, en assurant le relais sur des tâches sans créer de pression, et en acceptant le rythme de chacune, sans jugement.

Notre fonctionnement s’apparente à un réseau de champignons, un mycélium souterrain : en priorisant les besoins du groupe, nous renforçons notre responsabilité collective de nous soutenir mutuellement. 

Notre fonctionnement s’apparente à un réseau de champignons, un mycélium souterrain : en priorisant les besoins du groupe, nous renforçons notre responsabilité collective de nous soutenir mutuellement. Ce réseau favorise une adaptation, une flexibilité et une solidarité constantes. L’approche va bien au-delà de nos parcours et de nos formations en tant que chercheuses féministes de la relève; elle s'enracine dans nos valeurs personnelles et collectives. Nous avons délaissé le besoin de constamment nous démarquer des autres dans un contexte de valorisation de la performance universitaire, en mettant au premier plan les besoins humains du collectif pour ainsi créer un espace où chacune est célébrée pour ses forces, sans remise en question.

De gauche à droite : Pascale Dangoisse, Océane Corbin, Juliette Chevet, Véronica Gomes, Carole Boulebsol, Lydia Risi et Catherine Rousseau / Crédit : Lydia Risi.

Nous retrouver ensemble va bien au-delà du simple partage intellectuel. Cela nous permet de combattre l’isolement scolaire, intellectuel, et parfois politique que plusieurs étudiant·es peuvent ressentir. Les liens que nous avons tissés, et que nous continuons de préserver, forment l'ADN même du CAO. Cet espace « réservé » nous aide à développer et renforcer ces connexions. Nous cultivons la transparence dans notre rapport au projet, tant sur le plan de la gestion des finances que des prises de décisions. Cela participe à un sentiment d'appartenance, alors que chacune sent que son avis est entendu et pris en compte.

Les relations interpersonnelles que nous avons construites se reflètent dans la structure du CAO. L’animation de nos rencontres est partagée entre les membres, ce qui permet aussi de valoriser les différentes approches de facilitation de discussions de toutes. De plus, les moments d’émotion partagée, de vulnérabilité et de créativité renforcent ce lien. Cet espace de sollicitude est essentiel pour soutenir des méthodologies féministes, critiques et innovantes, tout en assurant de préserver notre santé mentale face à des sujets aussi lourds que les violences basées sur le genre. 

Investir (dans) les espaces 

Notre expérience au sein du collectif CAO illustre comment la relève peut s’approprier des espaces parascolaires pour partager les expériences tout en créant des opportunités pour une réflexion commune, vulnérable et transformatrice. Nous nous inspirons des stratégies émergentes d’adrienne maree brown (2017), qui valorisent les actions locales et intentionnelles, capables de produire des transformations plus larges à long terme2. Les récits de recherche en violence basée sur le genre s’inscrivent dans un espace liminal entre la posture professionnelle et personnelle de la personne chercheuse. Ces projets, souvent ancrés dans des réalités émotionnellement complexes, bénéficient de la création d'espaces de sollicitude et de soutien relationnel qui favorisent la durabilité du processus.

Nous croyons en l’importance de créer des espaces où des récits authentiques et des échanges vulnérables rendent le processus de création en recherche plus résilient et durable. C’est ainsi que des petites actions collectives comme les nôtres peuvent entraîner des répercussions profondes dans la manière dont la recherche est menée. Nous encourageons toute personne aux cycles supérieurs à se doter, avec des collègues, d'un groupe à la manière du CAO. 

Nous croyons en l’importance de créer des espaces où des récits authentiques et des échanges vulnérables rendent le processus de création en recherche plus résilient et durable.

Cependant, nous reconnaissons les défis liés au financement de ces initiatives étudiantes et expérimentales. Grâce au soutien financier du RéQEF, nous avons pu nous réunir en présentiel à sept reprises, bien que nous fréquentions des universités différentes. En intégrant les stratégies émergentes, nous rappelons que le milieu universitaire devrait investir dans la création et le maintien d’espaces de sollicitude au sein des établissements, particulièrement pour celles et ceux qui mènent des recherches sur les enjeux de violence. En attendant un soutien institutionnel plus structurel, il est essentiel de promouvoir des échanges qui normalisent les émotions difficiles en recherche, tout en cultivant des espaces de bienveillance dans la communauté universitaire.

  • 1

    Tronto, J. C. (1998). An Ethic of Care. Generations: Journal of the American Society on Aging22(3), 15–20. http://www.jstor.org/stable/44875693

  • 2

    Brown, A. M. (2017). Emergent Strategy. Chico, AK Press.


  • Cœur à l’ouvrage
    collectif

    Lydia Risi (M.A. science politique) est candidate au doctorat en études des populations à l’Institut national de la recherche scientifique. Son projet doctoral mobilise les cercles de perlage comme approche méthodologique et vise à investiguer la portée transformatrice des espaces de récits de plaisir sexuel des femmes inuit du Nunavik. 

    Juliette Chevet est étudiante à la maîtrise de recherche-intervention en sexologie à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur la réception des films et séries romantiques. Durant son temps libre, elle pratique le yoga et est active en vulgarisation scientifique. 

    Catherine Rousseau (M.A. sexologie) est candidate au doctorat en santé des populations à l’Université d’Ottawa. Sa thèse, mobilisant des méthodes mixtes, porte sur l’interférence contraceptive vécue par les jeunes (16-23 ans) dans un contexte de relation intime. 

    Véronica Gomes est candidate au doctorat en sociologie avec concentration en études féministes à l’UQAM. Elle s’intéresse aux besoins, enjeux et dynamiques de mobilité des femmes des Premières Nations en situation de mobilité ou d’itinérance en Mauricie. Elle est la coordonnatrice scientifique du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). 

    Pascale Dangoisse est postdoctorante au Labo de données en sciences humaines de l’Université d’Ottawa. Elle se spécialise dans l’analyse de discours médiatique et politique canadiens qui traitent des droits des femmes et des communautés 2SLGBTQIA+ pour comprendre comme la discrimination systémique se perpétue dans des environnements dits progressifs.  

    Océane Corbin est étudiante à la maîtrise en communication et en études féministes à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches se concentrent sur la construction de la misogynie et de l’antiféminisme au sein de la communauté masculiniste des incels (involuntary celibates)

    Carole Boulebsol (M.A.) est travailleuse sociale (T.S.), doctorante (UdeM) et professeure (UQO). Elle s’intéresse aux violences basées sur le genre, à la santé mentale et aux migrations, aux méthodologies qualitatives, au travail social de groupe et à la formation de la relève en recherche et en intervention psychosociale.  

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