Les femmes autochtones ont été écartées des sphères de décision; leurs rôles et leurs responsabilités ignorés par les politiques coloniales; leurs savoirs, leur lien au territoire et les conséquences de l’exploitation des ressources dénigrés par les chercheurs et les décideurs. De plus, les recherches ont généralement omis de considérer l’impact de la colonisation sur la contribution des femmes à la vie sociale et à la gouvernance de leurs communautés et de leurs nations, notamment en ce qui concerne le territoire et les ressources naturelles. Le rôle des femmes autochtones au sein de leurs nations respectives demeure méconnu et négligé.
* Ce texte est tiré de ma thèse de doctorat intitulé Le rôle et la place des femmes Atikamekw dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles (Basile, 2017).
Les Peuples autochtones et le rapport à la Terre
Les Peuples autochtones du monde entier entretiennent une relation privilégiée et particulière avec la Terre1. Cette relation est au cœur de leur identité, de leur mode de vie et sa remise en cause entraîne des répercussions importantes2. Pour les peuples autochtones, le territoire représente un milieu de vie duquel découlent notamment la langue, la culture et l’économie. Plusieurs de ces peuples affirment avoir un lien étroit et inextricable avec le territoire et ses composantes3. Ce lien se distingue par l’appartenance des humains à la terre et non l’inverse, et par le fait qu’il persiste depuis des milliers d’années. Jonathan Y. Kingsley et ses collèges (2013) confirment que, depuis la colonisation, les peuples autochtones, malgré la destruction de leur environnement et la diminution des ressources accessibles, ont su garder un fort et authentique lien d’appartenance à leur territoire. Les femmes autochtones, pour leur part, ont un attachement particulier au territoire basé sur la relation entretenue avec ce dernier, sur la longévité de cette relation et sur les connaissances qui y sont rattachées4. Elles ont des connaissances et des pratiques différentes de celles des hommes5. Elles ont aussi une expérience différente de celle des hommes en ce qui a trait aux conséquences de la colonisation6.
Femmes autochtones et sortie de « territoire »
Les femmes autochtones ont été écartées des sphères de décision; leurs rôles et leurs responsabilités ignorés par les politiques coloniales; leurs savoirs, leur lien au territoire et les conséquences de l’exploitation des ressources dénigrés par les chercheurs et les décideurs7. De plus, les recherches ont généralement omis de considérer l’impact de la colonisation sur la contribution des femmes à la vie sociale et à la gouvernance de leurs communautés et de leurs nations, notamment en ce qui concerne le territoire et les ressources naturelles8. Le rôle des femmes autochtones au sein de leurs nations respectives demeure méconnu et négligé9. Longtemps reléguées à la sphère domestique par les politiques régissant la vie des Autochtones10, elles ont pourtant continué à jouer un rôle important dans la gestion des pratiques territoriales telles que la transmission des territoires familiaux et des responsabilités y étant rattachées11 et l’utilisation des ressources naturelles. Souvent écartées des sphères de décision, leurs rôles et leurs savoirs ont été effacés d’abord par les politiques coloniales et ensuite par les hommes autochtones à qui la presque totalité du pouvoir a été confiée12. Aujourd'hui, la place occupée par les femmes autochtones dans la gouvernance du territoire et des ressources pourrait continuer à s'éroder en raison d'une combinaison de facteurs tels que la perte de l’accès aux ressources naturelles, l'altération des écosystèmes, les bouleversements dans les processus de prise de décision locale et territoriale ainsi que le manque de poids politique au sein des États13.
Aujourd'hui, la place occupée par les femmes autochtones dans la gouvernance du territoire et des ressources pourrait continuer à s'éroder en raison d'une combinaison de facteurs tels que la perte de l’accès aux ressources naturelles, l'altération des écosystèmes, les bouleversements dans les processus de prise de décision locale et territoriale ainsi que le manque de poids politique au sein des États.
Transmission et territoire
La responsabilité de la transmission des savoirs rattachés au territoire demeure en grande partie au sein des familles et des clans des Premières Nations14, dont les femmes sont l’un des piliers. En effet, les femmes autochtones détiennent des savoirs particuliers et des responsabilités spécifiques envers leurs familles, leurs communautés et leurs territoires15. Leurs savoirs sont uniques et spécifiques (par ex. dans l’univers des plantes médicinales et des maux qu’elles peuvent soulager) et peuvent également être complémentaires à ceux des hommes16. Ces savoirs doivent certes faire l’objet d’une protection contre l’usurpation, mais aussi d’une représentation équitable (à ceux des hommes) et d’une attention particulière lors des recherches ou des travaux à propos des revendications autochtones17. À cet égard, Caroline Desbiens et Laurence Simard-Gagnon (2012) soutiennent que l’abstraction des dynamiques de genres dans les recherches fait en sorte de priver la science de données fondamentales émanant du savoir des femmes. Ces dernières, étant dans un mouvement de réappropriation de leurs savoirs, revendiquent également un rôle dans la gouvernance de leurs familles, de leurs communautés, de leurs nations et de leurs territoires18.
Les femmes autochtones sur le territoire politique
Bien que de plus en plus de femmes autochtones s’investissent en politique, domaine prohibé pour elles jusqu’en 195119, elles sont peu présentes dans les sphères de gouvernance, particulièrement en ce qui a trait aux enjeux territoriaux et à l’exploitation des ressources naturelles20. Dawn Harvard-Lavell et Jeanette Corbiere Lavell (2006) expliquent que ce phénomène est en grande partie dû à la colonisation et à ses effets dévastateurs sur le rôle et le leadership des femmes autochtones. Le mouvement de contestation nationale Idle No More, initié en 2012 par des femmes autochtones au Canada, est un parfait exemple de réponse à l’absence de consultation des Premières Nations21. Les femmes des Premières Nations veulent avoir leur mot à dire sur le développement ayant cours sur leur territoire et ce développement ne peut se faire sans la participation active des femmes dans les processus de consultation22. En contexte autochtone, la gouvernance représente la façon dont les gens structurent leur société en rapport avec le monde naturel. Les femmes autochtones réclament – et prennent – de plus en plus leur place au sein de la gouvernance de leurs communautés et de leurs nations. Elles veulent être consultées, écoutées, entendues et participer activement aux prises de décisions portant sur le territoire et son développement4.
En conclusion
Selon Glen S. Coulthard (2014), l’État canadien a modifié son approche, passant d’idéologies et de pratiques orientées sur l’exclusion et l’assimilation à un discours plus conciliant et des pratiques qui s’appuient sur la reconnaissance et l’accommodement. Malgré ces efforts, les relations entre l’État et les peuples autochtones demeurent de type « colonial » et l’examen de la place des femmes autochtones dans ce système devient indispensable afin de bien saisir les dynamiques qui animent la gouvernance chez les premiers peuples et spécifiquement chez les femmes autochtones. La décolonisation passe inévitable par un « retour » des femmes autochtones dans la gouvernance locale (communautaire) et nationale (au sein de leurs nations ou peuples)23, incluant celle du territoire et des ressources naturelles4.
La décolonisation passe inévitable par un « retour » des femmes autochtones dans la gouvernance locale (communautaire) et nationale (au sein de leurs nations ou peuples), incluant celle du territoire et des ressources naturelles.
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- Suzy Basile
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Suzy Basile est originaire de la communauté Atikamekw de Wemotaci. Elle a une formation académique, un baccalauréat et une maîtrise en anthropologie. Elle est professeure à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), au campus de Val-d’Or. Elle est membre du comité directeur du Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG). Elle a récemment soutenu une thèse de doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAT. Cette thèse porte sur le rôle et la place des femmes Atikamekw dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles. Madame Basile s’est impliquée dans le processus de développement du Protocole de recherche de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (2005, 2014). Elle a développé les Lignes directrices en matière de recherche avec les femmes autochtones publiées par l’Association des femmes autochtones du Québec en 2012. Elle a également codirigé divers ouvrages sur le sujet de l’éthique de la recherche avec les peuples autochtones.
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