Cohabiter implique un partage, un échange. À l’échelle de la ville contemporaine, ce partage et cet échange passent notamment par une meilleure compréhension des principes et des enjeux du développement durable, qui, sans qu’on s’en rende toujours compte, transforment, petit à petit, plusieurs pratiques d’aménagement du territoire. Je retracerai ici quelques-unes des transformations qui caractérisent actuellement la ville, donnant à apercevoir autant de défis qui attendent l’urbaniste et l’aménagiste de demain.
En ce début de 21e siècle, la ville constitue un lieu majeur de transformations socioéconomiques, démographiques, politiques et culturelles. Les villes abritent désormais plus de la moitié de la population mondiale et on prévoit que d’ici 2050, cette proportion pourrait atteindre 70 %. Le contexte actuel de lutte aux changements climatiques et plusieurs autres facteurs incitent désormais les autorités politiques à envisager l’aménagement de la ville dans une perspective de développement durable.
Qu’est-ce qu’une ville?
Il n’est pas facile a priori de répondre à cette question. D’importantes disparités entre les législations démontrent qu’une ville ne peut être définie par le nombre absolu de personnes qu’elle regroupe, ni par l’intensité de son activité économique. De grandes caractéristiques d’ensemble permettent, toutefois, de distinguer la ville des autres formations territoriales. Ainsi, la ville constitue un lieu de concentration des populations, des équipements et des réseaux. Elle représente également un « organisme » créateur de communication et, jusqu’à un certain point, de culture. À cet égard, on évoque souvent l’urbanité, un terme dont la signification contemporaine (à la différence de celle qu’on lui accordait au 19e siècle) se rattache résolument au caractère de la vie urbaine.
Qu’est-ce que l’aménagement durable de la ville?
Le sujet est complexe et mérite qu’on réfléchisse d’abord à ce qu’est le développement durable. Aujourd’hui, il ne se passe guère plus d’une journée (parfois plus d’une heure) sans que cette expression parvienne à nos oreilles, que ce soit à travers la sphère médiatique ou le champ de la vie privée. Il faut bien le constater : cette expression qui eut semblé pour le moins farfelue et pléonastique au contemporain des années folles est, de nos jours, si répandue qu’elle teinte de multiples dimensions de l’action et des discours sous-tendant la vie publique et privée. En tant que système de valeurs qui oriente l’action, le discours du développement durable revêt indubitablement l’image d’une grande idéologie du début du 21e siècle. Vu sous cet angle, il poursuit une fonction d’intégration et d’appartenance, tout comme il est susceptible d’engendrer des distorsions et des détournements au profit d’intérêts particuliers. Il ne faut donc pas s’étonner du fait que, depuis quelques années, les acceptions et les formes associées au développement durable se soient multipliées de façon considérable, notamment du point de vue socio-culturel, et que des contre-courants, tels que la décroissance, s’y opposent désormais avec vigueur. Il demeure que le développement durable constitue un jalon dont les historiens de l’avenir ne pourront faire abstraction pour expliquer divers aspects de la vie des personnes et des collectivités du 21e siècle.
À l’échelle de la ville, l’introduction des principes du développement durable est susceptible de transformer, de façon considérable, les pratiques d’aménagement du territoire – lequel, traditionnellement, a pour fonction d’établir le meilleur usage possible du sol et la localisation optimale des grands équipements pour diminuer les conflits d’usage et contribuer au développement du bien commun. Il se déploie sur la base d’outils, de techniques et d’approches forgés, petit à petit, à la suite de la Première Guerre mondiale, par exemple le zonage, et qui s’appliquaient relativement bien aux modèles de croissance de la ville d’après-guerre. Or, le contexte mondial actuel, marqué notamment par la lutte aux GES, et, en corollaire, par les préoccupations relatives à l’atténuation des changements climatiques ou à l’adaptation à ceux-ci, a pour effet de porter de nouveaux enjeux et de nouvelles réalités à l’attention des aménagistes.
Au nombre de ces enjeux se trouve la densification. Le fait de densifier des portions données de l’espace urbain, c’est-à-dire d’y augmenter le nombre des résidents et d’y intensifier le flux des activités (emplois, déplacements, etc.), n’est pas nouveau. Dans le contexte actuel, cependant, la densification revêt des formes inédites. On l’associe, de plus en plus, aux efforts de réduction des émissions de GES, et les autorités politiques s’aperçoivent, lentement mais sûrement, qu’elle est indissociable de la prise en compte de la participation citoyenne. En effet, nombreux sont désormais les cas observés dans les villes à l’échelle internationales (de Québec à Saint-Pétersbourg, en passant par Istanbul et Montréal) où des entreprises visant la densification de quartiers urbains (le plus souvent centraux) ont suscité des débats dans l’arène publique en partie par incompréhension des enjeux citoyens en cause. Il faut dire que la densification peut transformer, de façon considérable, la trame urbaine, et qu’elle interpelle fondamentalement l’habitat, qui constitue le lieu premier de l’expression identitaire et culturelle des personnes et des collectivités. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit susceptible d’enflammer les passions aussi rapidement.
Les pratiques de verdissement constituent également de nouvelles réalités auxquelles sont confrontées les approches traditionnelles d’aménagement du territoire. L’idée de verdir les villes n’est, en rien, nouvelle : elle est partie prenante de plusieurs courants urbanistiques qui, pour certains, plongent leurs racines dans l’histoire ancienne. Toutefois, les mouvements de verdissement revêtent un caractère beaucoup plus large et englobant dans la ville contemporaine. Ils peuvent se déployer à plusieurs échelles, du lot jusqu’au quartier, et sont souvent porteurs d’affirmation culturelle et identitaire. Songeons, par exemple, au mouvement des potagers en façade des habitations. De tels mouvements, qui sont de plus en plus fréquents à travers les villes nord-américaines, traduisent notamment une volonté de proximité et de sécurité alimentaires – des aspects liés de près à la dimension socioéconomique du développement durable. Ils défient également, de façon considérable, certains dispositifs réglementaires des municipalités.
En guise de conclusion
Que l’on parle de densification ou de verdissement – nous aurions pu aisément allonger le propos –, l’aménagement du territoire est désormais soumis, plus que jamais sans doute, à des pressions majeures sous l’effet des principes du développement durable. À cet égard, les aménagistes doivent arriver à développer une compréhension fine des tenants et aboutissants des dynamiques de la démocratie participative, puisqu’elles sont au cœur des principes et des enjeux du développement durable. Il en va, en quelque sorte, des fondements d’une saine cohabitation à l’ère de la multiplication et de la diversification sans précédent des populations urbaines et des formes de la ville.
Il faut dire que la densification peut transformer, de façon considérable, la trame urbaine, et qu’elle interpelle fondamentalement l’habitat, qui constitue le lieu premier de l’expression identitaire et culturelle des personnes et des collectivités. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit susceptible d’enflammer les passions aussi rapidement.
- Etienne Berthold
Université Laval
Etienne Berthold est professeur agrégé au département de géographie de l’Université Laval. Il est membre régulier du Centre de recherche en aménagement et développement de l’Université Laval (CRAD). Il enseigne l’aménagement durable de la ville et s’intéresse, tout particulièrement, à la façon dont les principes du développement durable transforment les pratiques contemporaines d’aménagement du territoire. Son champ de recherche porte également sur la conservation durable du patrimoine, en milieu urbain ou naturel. En marge de ses activités de recherche et d’enseignement, il assure l’encadrement d’une douzaine d’étudiants-es aux études supérieures, en plus d’entretenir de multiples partenariats avec des organismes et des acteurs des milieux pratiques.
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