La participation à des colloques peut être visualisée comme l’ouverture et l’entretien d’un chemin en forêt. La première fois qu’on le parcoure, on débroussaille, et on s’assure de le baliser correctement. C’est plus long, plus difficile, plus périlleux. Toutefois, plus le chemin est déblayé, plus il est possible d’y être à l’aise. Ainsi, il suffit d’espérer que le chemin convienne à celui qui l’a ouvert et qu’il soit entretenu correctement. Si le chemin ne convient pas ou ne convient plus, il lui faudra avoir le courage d’en ouvrir un nouveau, et de reprendre le risque d’avancer en terrain inconnu.
Colloqui, s'entretenir avec
Le terme « colloque » nous provient du latin colloquium (colloqui : s’entretenir avec; cum : avec; loqui : parler) qui signifie « entretien, discussion, entrevue ». Selon l’ACFAS, les colloques scientifiques sont le cadre idéal pour diffuser des résultats de recherche et débattre entre chercheurs, experts, décideurs, utilisateurs de la recherche, etc. Ils permettent ainsi de :
- Mettre en valeur des résultats de recherche sur un thème de votre choix;
- Augmenter la visibilité de vos travaux de recherche et de votre institution;
- Consolider vos liens de collaboration et en établir de nouveaux.
Ainsi, la définition et l’apport intellectuel d’un colloque sont clairs. Le curriculum des étudiants gradués et la carrière de chercheur fournissent les outils nécessaires à la préparation et à la réussite intellectuelle de la participation à ce genre d’événements. Toutefois, que peut-on dire des aspects psychologiques de la participation à un colloque? Comment envisager et affronter les composantes affectives inhérentes?
À l'aube d'une première participation d'un étudiant-chercheur
Comme pour toutes premières fois, les variables inconnues s’amoncellent. Et une telle participation marquant une progression importante dans les processus de socialisation à la recherche et de contribution à l’avancement des connaissances, cela génère sans aucun doute une bonne dose d'anxiété. Dans ce contexte, les questions de nature « est-ce que ma participation est pertinente? », ou encore « qu’est-ce que je vais faire là? », doivent rapidement être reformulées pour faire place à une question du type « quels sont les objectifs poursuivis? ». Cette dernière deviendra le moteur de la préparation psychologique à ce premier rendez-vous scientifique.
Ces objectifs devront être simples, accessibles et réalistes, tout en étant facilement mesurables. Par exemple, ceux-ci peuvent être : a) de présenter ses résultats de recherche, b) d’agrandir son réseau de contacts, et c) de participer aux échanges tout au long du colloque. L’établissement de ce type d’objectifs permet d’éviter les attentes irréalistes du type « faire honneur (ou dans sa forme négative : ne pas faire honte) à mon directeur, à mon laboratoire, à mon groupe de recherches », « faire la meilleure communication du colloque », « épater les séniors lors de mes interventions », ou encore « développer immédiatement des relations et des collaborations de recherche ». Ces attentes irréalistes ne peuvent que mener à une participation décevante, et elles seront souvent source d’anxiété et de peur puisqu’il est pratiquement impossible de les réaliser. Pour cette raison, il est primordial de fixer de bons objectifs clairs dès le départ.
Les objectifs gagnés par de bons moyens
Une fois ces objectifs établis, il faut s’assurer d’avoir les moyens de les atteindre. Comme toute prestation, il faut être bien préparé et répéter de nombreuses fois, tout en s’assurant d’obtenir des rétroactions constructives. À ce propos, il est pertinent de mettre à profit son réseau de soutien social (collègues, directeurs, amis, conjoint.e) tant pour ces répétitions que pour partager les appréhensions, les craintes, et même l’excitation que cela engendre. En effet, ce soutien permet de relativiser, de temporiser ainsi que d'enrichir l'expérience par des perspectives nouvelles.
Il est important aussi d’adopter un discours interne positif, notamment en renforçant le sentiment de compétence à l’aide de mots-clés ou de phrases comme « je possède l’expertise et les connaissances nécessaires pour réaliser ma présentation et répondre aux questions », ou « je suis celui qui possède le mieux mon sujet alors je suis le mieux placé pour en parler ». Il peut être utile de se remémorer qu’il s’agit d’un défi dans lequel nous nous sommes engagés volontairement et dont nous contrôlons l’issue en majeure partie. Ce type de discours interne vise, d’une part, à augmenter la confiance et, d’autre part, à freiner sa contrepartie négative, l'appréhension.
Il peut être fort profitable de développer une courte routine pré-présentation. Loin d’être réservée aux athlètes ou aux artistes, une courte routine permet de se vider l’esprit et de se centrer sur la tâche à accomplir.
Il peut être fort profitable de développer une courte routine pré-présentation. Loin d’être réservée aux athlètes ou aux artistes, une courte routine permet de se vider l’esprit et de se centrer sur la tâche à accomplir. Il ne s’agit pas d’adopter une routine basée sur l’arbitraire ou le hasard, mais plutôt composée d’éléments contributifs à une bonne présentation, par exemple :
• relire ses notes quelques minutes avant le début;
• faire une courte visualisation de la présentation;
• balayer du regard l’auditoire.
Toutefois, et dans l’éventualité de l’adoption d’une telle routine, celle-ci ne sera efficace que si elle est utilisée tout au long de la préparation. Il faut l’ancrer dans votre « corps », l'incorporer.
Le stress sous ses divers déguisements : physique, cognitif et affectif
À présent que les objectifs sont clairs, que la préparation est en place, que le réseau social a joué son rôle de soutien, que le discours interne positif ronronne, qu’une routine pré-présentation s’est installée, il ne reste plus qu’à vivre la journée du colloque. Au cours des jours précédant, et même pendant cette rencontre scientifique, il est possible que le stress se manifeste, et parfois fort insidieusement. Et il arrive qu'on ait de la difficulté à identifier nos symptômes de stress ou qu'on ne fasse pas le lien entre les maux et le stress.
Parmi les manifestations de stress figurent plusieurs symptômes physiques, notamment :
• l’insomnie;
• les maux de tête;
• la boule dans le ventre;
• les mains moites;
• les tremblements;
• et la tension musculaire.
Le stress se manifeste aussi cognitivement et affectivement, par exemple par :
• la difficulté à se concentrer;
• l’apparition d’un discours interne négatif;
• la perte de l’habileté à réfléchir de manière nuancée;
• et le retour des attentes irréalistes.
Lorsque cela se produit, il importe de revenir à nos objectifs et aux outils à notre disposition. Cela devrait permettre de nous recentrer sur la tâche à accomplir et, élément essentiel, à avoir du plaisir tout au long de la rencontre.
Le retour sur l’expérience
Une fois le colloque tenu, il est important de réaliser un bilan, d'évaluer l'atteinte des objectifs. S'ils sont atteints, il est souhaitable d’en établir de nouveaux. Si ce n'est pas le cas, il faut en tirer les leçons conséquentes et les réviser afin d’y parvenir lors d’une prochaine participation.
Par ailleurs, le bilan est également le moment de prendre conscience que l’atteinte des objectifs fait croître les attentes de la communauté scientifique à notre égard. Cela peut être valorisant et agréable, mais il est aussi possible qu’une pression accompagne ces nouvelles attentes. Comment arriver à la gérer? Comme je ne crois pas à la magie, je dirai simplement qu’il faut reprendre le processus d’établissements d’objectifs et de se doter d’outils pour les atteindre.
Ouvrir, puis entretenir le chemin
Le temps des premières fois terminé, notre étudiant-chercheur est peut-être devenu un chercheur autonome voire une sommité dans son domaine. Comment doit-il à présent aborder les rencontres scientifiques? Le processus est le même; le chemin, identique.
En effet, la répétition d’expériences similaires – la participation à des colloques dans le cas qui nous préoccupe – peut être visualisée comme l’ouverture et l’entretien d’un chemin en forêt. La première fois qu’on le parcoure, on débroussaille et on s’assure de le baliser correctement. C’est plus long, plus difficile, plus périlleux. Le sol est incertain les obstacles imprévus, les surprises multiples. Toutefois, plus le chemin est déblayé, plus il est possible d’y être à l’aise. Ainsi, il suffit d’espérer que le chemin convienne à celui qui l’a ouvert et qu’il soit entretenu correctement. Si le chemin ne convient pas ou ne convient plus, il lui faudra avoir le courage d’en ouvrir un nouveau, et reprendre le risque d’avancer en terrain inconnu.
Peu importe notre niveau d’expérience, le processus pour obtenir du succès et pour bien gérer les affects associés demeurera le même. Les variations? La familiarité avec le "chemin", l’habileté à l’entretenir et à le modifier.
La consolidation de notre identité de chercheur
Parallèlement à ce processus psychologique, lié à la participation à un colloque, figure celui de la construction et de la consolidation de l’identité de chercheur. En début de carrière, celle-ci est souvent fragile et clivée, c’est-à-dire qu’elle est soit très bonne, auquel cas le chercheur se conçoit comme une étoile montante, ou qu’elle est très mauvaise, ce qui mène à d’importants doutes sur sa capacité à obtenir du succès ou à faire une carrière dans ce domaine.
Dans un contexte de développement professionnel normal, cette identité s’affine et se solidifie au fil du temps. Elle devient plus nuancée et permet l’intégration affective des forces et des faiblesses. Cette intégration permet d’adopter des points de vue plus complexes et de ne plus se sentir menacé lorsqu’on est aux prises avec des points de vue nouveaux, différents, ou encore divergents du nôtre. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre qu’une première participation à un colloque est une étape importante.
Deux éléments apparaissent cruciaux afin d’aider au développement, à la construction ou à la consolidation de cette identité. D’une part, un processus soutenu d’établissement d’objectifs réalistes. Ce processus contribuera non seulement à la gestion du stress, mais il permettra également au chercheur d’avoir un sentiment de continuité et de progression. Autrement dit, cela lui permettra de savoir d’où il vient (quels sont les objectifs atteints?), où en est-il (quels sont les objectifs du moment?) et où il se dirige (quels sont les objectifs à long terme?). Cette capacité à donner un sens à son identité de chercheur l’aidera à mieux l’intégrer, ce qui se traduira par une capacité à mieux tolérer les incertitudes et les erreurs.
D’autre part, les échanges et les questionnements qui ont lieu au cours d’un colloque constituent de précieuses opportunités de mieux se définir et ainsi de mieux contribuer à la communauté scientifique. À l’inverse, et c’est un piège, une identité trop fragile ou mal établie peut conduire à percevoir ces échanges comme des menaces. Dans ce cas, il est possible que le chercheur ait comme réflexe d’ignorer les commentaires et les opportunités de réflexion, de les dénigrer ou de les banaliser. C’est dans le même esprit que peut se situer la crainte d’être jugé et d’être méprisé. C’est ici que les expériences antérieures, que les rétroactions, les bilans passés et le réseau de soutien peuvent être utiles. En effet, ceux-ci peuvent agir comme un filet de sécurité et aider le chercheur à demeurer ouvert et réceptif.
En conclusion
La participation à un colloque est affectivement signifiante, peu importe que ce soit en début de carrière ou lorsqu’on est établi. C’est pour cette raison qu’elle a besoin d’être bien préparée. Cela nous permettra non seulement de profiter de l’expérience et d’en retirer une satisfaction, mais elle contribuera au développement et à l’intégration de notre identité de chercheur. En retour, cette meilleure intégration nous permettra de mieux participer à la communauté scientifique et à l’avancement des connaissances.
Je vous souhaite donc une bonne préparation et bon congrès !
La participation à un colloque est affectivement signifiante, peu importe que ce soit en début de carrière ou lorsqu’on est établi. C’est pour cette raison qu’elle a besoin d’être bien préparée.
- Etienne Hébert
Université du Québec à Chicoutimi
Etienne Hébert est psychologue et détenteur d’un doctorat en psychologie (Ph.D.) de l’Université Laval. Il a été embauché comme professeur spécialisé en psychopathologie et dans les théories de la personnalité à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) en 2004. En psychologie clinique, il a travaillé sur l’opérationnalisation et les applications du concept d’organisation de personnalité. Il s’intéresse également à la psychologie du sport ainsi qu’à la formation des entraîneurs. Il a entre autres travaillé sur la motivation et la réussite chez les étudiants-athlètes ainsi que sur la passion des entraîneurs et des athlètes. Il a été directeur de la Clinique universitaire de psychologie de 2008 à 2010, directeur du Département des sciences de la santé de 2011 à 2013, et doyen des études de septembre 2013 à octobre 2017.
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