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Julia Morarin, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

La science, dans son essence, est en constante évolution. Elle s’adapte aux avancées technologiques, aux arts et à la créativité, tout en reflétant les besoins de la société. De la même manière, les chercheur·euses participent à cette transformation en menant leurs travaux sous différentes approches. 

Tel une paire de lunettes, leur cadre théorique d’observation de leur objet de recherche influencera les résultats obtenus. Or, la science « occidentale » à elle seule ne permet pas de saisir pleinement la complexité et la globalité des réalités qui nous entourent, notamment dans le champ des sciences naturelles. L’approche holistique, qui prend en compte l'écosystème et l'humain dans leur intégralité, s’avère essentielle. Pour contribuer à cet enrichissement des connaissances, il est pertinent de s’intéresser aux savoirs locaux. Ceux-ci représentent des connaissances ancrées dans la relation aux territoires et évoluent en fonction des transmissions culturelles et des changements environnementaux. 

C’est dans cette perspective que plusieurs professionnel·les de la recherche collaborent avec les communautés autochtones, détentrices d’un savoir dit « traditionnel », transmis de génération en génération et en constante évolution, pour cocréer avec elles de nouveaux projets. Au sein de notre équipe, plusieurs projets de recherche ont été menés en collaboration avec des communautés autochtones. Nos objectifs principaux sont de répondre à des besoins réels de ces populations, tout en compilant des données plus complètes sur les objets de recherche ciblés. Notre volonté est d'aller plus loin en développant des supports de vulgarisation pour que les résultats de ces projets puissent être utiles aux membres de ces communautés.

LES ORIGINES : LE RETOUR DES DONNÉES

Mots clés : idées, collaborations, territoire

Vulpicida pinastri est un lichen qui s'observe en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, et pousse sur les conifères et les bouleaux. Ce lichen a été observé en très grand nombre, que ce soit dans le nord de l’Abitibi ou en Eeyou Isthcee Baie-James / Illustration : Julia Morarin

Durant les cinq dernières années, Nicole Fenton, titulaire de la Chaire sur la biodiversité nordique en contexte minier (BCM), ainsi que ses étudiant·es, ont conduit des recherches approfondies sur les territoires anicinape et cri (Abitibi et Eeyou-Istchee Baie-James). Leurs travaux se sont concentrés sur la diversité des espèces animales et végétales présentes dans les milieux humides de ces régions, et les bouleversements environnementaux et humains auxquels elles sont soumises. Quelques questions entourent ces sujets de recherche : Quels assemblages de plantes sont spécifiques à différents types de milieux humides? Les espèces animales de ce territoire (oiseaux, mammifères et amphibiens) privilégient-elles les tourbières ou les étangs à castor pour leur cycle de reproduction? Comment les activités humaines perturbent-elles le comportement de la faune et la flore sur le territoire cri?

Ces projets de recherche ont été menés en étroite collaboration avec les communautés autochtones de Mistissinni et de Nemaska, représentées par le Gouvernement de la nation crie, ainsi qu’avec le Conseil de la Première Nation Abitibiwinni (Pikogan, Anicinape). Ces partenariats ont permis d’intégrer des connaissances traditionnelles précieuses et d’enrichir les projets de recherche grâce à une perspective locale et contextualisée.

Un principe clé de la recherche avec les communautés autochtones est de retourner les données collectées aux communautés partenaires. Le Gouvernement de la nation crie exige que les informations recueillies sur le territoire d’Eeyou Istchee soient restituées aux communautés concernées. Le retour des données est essentiel pour respecter les droits d'auteur sur les savoirs, ainsi que pour reconnaître et valoriser l'indépendance des communautés dans le domaine de la recherche.

Le retour des données [aux communautés autochtones] est essentiel pour respecter les droits d'auteur sur les savoirs, ainsi que pour reconnaître et valoriser l'indépendance des communautés dans le domaine de la recherche.

Or, à ce jour, les résultats de recherche dans des domaines tels que la foresterie et le développement durable sont trop souvent remis aux communautés dans un format qui ne leur est pas accessible. Et pour cause : les données sont plus souvent publiées uniquement dans des revues spécialisées, et présentées sous forme de tableurs numériques ou de longs textes rédigés dans un dense jargon scientifique.

C’est dans ce contexte que le projet Atlas de biodiversité : les milieux humides de l'Abitibi et de l'Eeyou Istchee Baie-James a vu le jour, dans le but de restituer aux partenaires des Premières Nations des données vulgarisées utiles et exploitables dans ce domaine.

LA RÉALISATION : L’ATLAS DE BIODIVERSITÉ

Mots clés : relations, discussions, échanges, créativité, évolution

Illustration réalisée à partir d'une photo d'un étang à castor prise sur le territoire Cri dans la région de Nesmaka (photo prise par Mariano J. Feldman) / Illustration : Julia Morarin

Rendre les résultats de recherche accessibles et compréhensibles nécessite un travail de vulgarisation et de communication. Bien que la vulgarisation soit en pleine démocratisation, elle est souvent peu adoptée par les acteurs·trices de la recherche par manque de temps, de financement ou de ressources.

Castor du Canada
Castor du Canada (Castor canadensis) : Souvent décrit comme un ingénieur de la forêt, le castor modifie les plans d'eau en construisant des barrages, ce qui entraîne la création de nouveaux habitats pour diverses espèces de poissons, d'amphibiens, d'oiseaux, et même de mammifères / Illustration : Julia Morarin

La vulgarisation requiert non seulement des compétences en traitement et analyse des données, mais aussi de la créativité et des aptitudes en communication et en transmission des connaissances. Puisque la Chaire BCM avait besoin d’appui sur ce plan, c’est à cette étape que je pris en charge le projet de l’Atlas. 

À l'état d'idée, le projet avait besoin de développement. Il était crucial de d’abord lire les mémoires et les thèses d’étudiant·es afin de bien cerner le sujet, de comprendre les enjeux du projet et de tracer les premières grandes lignes de l'atlas, facilitant ainsi son processus de vulgarisation. Cette étape préliminaire serait la clé pour structurer les informations et orienter les actions.

Rapidement, plusieurs idées de réalisation se dessinèrent, tout en restant floues. Nous avons alors consulté les partenaires des communautés autochtones pour connaître leurs besoins et leurs attentes en matière de retour des données. Nous leur avons posé ces questions :

  • Comment préférez-vous que les résultats vous soient présentés?

  • Y a-t-il des espèces animales ou végétales que vous aimeriez voir mises en valeur?

  • Quel type de support médiatique vous semble le plus adapté pour la transmission des résultats (format écrit, audio, ou autre)?

La nécessité d'utiliser différents supports pour atteindre un large public au sein des communautés est rapidement devenue évidente. Ainsi, au fur et à mesure de l'avancement du projet, nous avons décidé :

  • De rédiger un livre vulgarisé et illustré, comprenant des résumés des recherches des cinq projets étudiants, ainsi que des cartes de localisation et des fiches descriptives sur les espèces animales et végétales d’intérêt (dont les images de cet article font partie).

  • De créer un site Internet regroupant les informations du livre et enrichi d’infographies interactives pouvant être utilisées dans les écoles pour atteindre un public plus jeune.

  • D’enregistrer des épisodes du balado Les tourbières : toute une histoire, basés sur les entrevues des professionnel·les et étudiant·es de la Chaire BCM, ainsi que sur des récits oraux et imagés concernant certaines espèces.

L'objectif est de s'assurer que le retour des données est effectué de manière adaptée à nos partenaires de recherche et d'aller au-delà des formats classiques de diffusion de la science. En explorant des approches innovantes, nous pouvons mieux répondre aux besoins et attentes, tout en rendant les informations plus compréhensibles et pertinentes pour un public varié. Cette démarche favorisera un dialogue constructif et améliorera la collaboration avec les acteurs impliqués.

LA SUITE : « ENCRER » LE PROCESSUS DE VULGARISATION DANS LES UNIVERSITÉS

Mots clés : projet pilote, suite, pratique ancrée, savoirs partagés

Pour valoriser les langues autochtones et répondre aux besoins de nos partenaires, le livre, qui sera publié en 2025 par la maison d’édition NATURAT, sera offert en deux versions bilingues : une français/anicinape et l’autre anglais/crie. 

Canard Noir
Canard Noir (Anas rubripes) : Le canard noir s'observe dans les milieux humides de l'Abitibi et de l'Eeyou Istchee Baie-James. Bien que ressemblant, beaucoup, à la femelle du canard colvert, la couleur de son plumage est plus foncée / Illustration : Julia Morarin

Le site Internet et le balado ont été conçus pour faciliter l’ajout de projets de recherche vulgarisés au fur et à mesure de leur avancement. Cette approche permet d’intégrer facilement de nouvelles initiatives, offrant ainsi une flexibilité précieuse pour la mise à jour des contenus et la valorisation des savoirs dans ce domaine de recherche.

À une échelle plus large, l’aspiration principale de l’équipe est de faire en sorte que les savoirs produits au sein des universités dépassent les frontières scolaires. Dans un contexte où l'éducation joue un rôle crucial pour sensibiliser les populations aux enjeux climatiques et sociaux actuels, ce projet vise à démontrer l'importance de démocratiser et de vulgariser les connaissances générées par la recherche auprès du plus grand nombre. 

Le travail de vulgarisation au sein des universités nécessite assurément un développement constant, car il vise à transmettre « la science du quotidien » au grand public. Je le considère également comme un moyen de démystifier « le quotidien de la science », c’est-à-dire ce qui se passe réellement dans le milieu de la recherche universitaire. Cet exercice permet de partager les résultats des recherches avec différents publics, et de montrer que la science n’est pas réservée aux spécialistes – elle est accessible à tous et toutes! 

Merci aux étudiant·es diplômé·es Tana Route, Eliane Grant, Marc-Frédéric Indorf, Mariano J. Feldman et Maxime Thomas pour leur précieuse collaboration.


Pour aller plus loin
Visionnez la communication libre de l'auteur·trice, présentée au 91e Congrès de l'Acfas

  • Julia Morarin
    Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

    Julia Morarin est auxiliaire de recherche à l'Institut de recherche sur les forêts (IRF) de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Titulaire d'une maîtrise en chrono-environnement et paléoécologie de l’Université de Montpellier (France) et d'une maîtrise en études autochtones de l'UQAT, elle utilise sa formation pour combiner ses compétences scientifiques et artistiques. Aujourd'hui, elle se consacre à la vulgarisation des recherches produites à l'UQAT, dans le but de rendre la science compréhensible et accessible à un large public. Grâce à son approche innovante, elle contribue à démocratiser le savoir scientifique.

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