Ressources - Demande = Stress. Si vos ressources sont supérieures à la demande, le résultat est positif, ça va bien, vous avez des ressources en quantité suffisante, vous avez une marge de manœuvre. Si la demande est trop élevée, là, on entre dans le négatif. Il y a donc un mauvais stress.
Entretien avec Étienne Hébert
Johanne Lebel1 : Pr Hébert, vous êtes un chercheur en psychologie de la personnalité, avec une pratique auprès des sportifs. Qu’est-ce qui vous a amené à déporter vos conseils du côté des étudiants?
Étienne Hébert : C’est un effet collatéral de mon travail avec les entraîneurs et les athlètes. Un jour, une ancienne athlète qui travaillait dans le domaine financier m’a mentionné qu’un atelier sur la gestion du stress ne ferait peut-être pas de tort à ses collègues, et elle m’a demandé d’aller leur exposer mes idées. Ce fut un succès assez retentissant... Puis, j’en ai parlé à des collègues en éducation, et ils m’ont alors invité à donner des conférences aux étudiants des baccalauréats en enseignement préscolaire, primaire et secondaire de l’UQAC. C’est ainsi « rentré dans la culture »… Chaque année, je donne l’atelier aux finissants.
Johanne Lebel : Et si on voulait définir brièvement ce qu’est le stress?
Étienne Hébert : C’est simplement l’adaptation continuelle de l’individu, pris dans sa globalité, aux sollicitations de l’environnement; une réaction physiologique, cognitive et affective tout à fait normale.
Johanne Lebel: Comment approchez-vous dans vos ateliers cette réalité de nos quotidiens qu’on a tant de mal à saisir?
Étienne Hébert : Il s’agit d’abord de faire prendre conscience des éléments en jeu, mais aussi, et surtout, de notre capacité de les moduler. On n’est pas entièrement surdéterminé, on dispose d’une certaine marge de manœuvre. Puis, j’amène les gens à caractériser – à quantifier, en fait – leur stress par une équation mathématique. Toute simple. Une forme de soustraction : Ressources - Demande = Stress. Si vos ressources sont supérieures à la demande, le résultat est positif, ça va bien, vous avez des ressources en quantité suffisante, vous avez une marge de manœuvre. Si la demande est trop élevée, là, on entre dans le négatif. Il y a donc un mauvais stress. Toute demande, qu’elle soit positive ou négative, engendre le mécanisme du stress. Ainsi, lorsque le résultat de la soustraction est positif, on parle d’eustress, d’euphorie, ce que les gens confondent souvent avec une sensation d’excitation. Lorsqu’il est négatif, on parle de détresse, et les gens répondent à la demande entre autres avec appréhension. Quand je donne un atelier aux étudiants, je les fais travailler autour de cette équation. Quelles sont les ressources à votre disposition? Quelle est la demande qui vous est faite?
Johanne Lebel : Comment se débrouillent-ils dans ce calcul? Cela demande tout de même une certaine dose de réflexivité...
Étienne Hébert : Ils ont généralement de la difficulté à identifier leurs ressources. Ils pointent le fait de bien posséder leur sujet de recherche, d’avoir un plan de match. Ils sont très rapides à reconnaître les ressources ponctuelles, techniques et théoriques. En dehors de cela, ils voient mal ce qu’ils ont à leur disposition, ils ne perçoivent pas qu’il est possible de se prémunir contre le stress de manière globale en se dotant, par exemple, d’un bon réseau social. Voilà une ressource majeure qui n’est pas nommée. Avoir un bon sens de l’humour et pratiquer des activités pour se vider la tête sont aussi de très bons facteurs de protection.
Le stress, c’est simplement l’adaptation continuelle de l’individu, pris dans sa globalité, aux sollicitations de l’environnement; une réaction physiologique, cognitive et affective tout à fait normale.
Devant un étudiant qui se dit : « Ah, là, je suis stressé. J’ai un séminaire qui s’en vient, je ne suis pas prêt », on comprend que, de façon momentanée, il peut avoir un rush de travail. Mais attention à son premier réflexe, qui sera probablement de couper dans ses ressources : il verra moins sa famille, son chum, sa blonde. Ses loisirs lui sembleront une futilité face à la tâche. Inconsciemment, il se dira : « Je vais travailler au maximum, ma préparation sera meilleure. » Ce faisant, il sabrera des ressources précieuses au maintien de son énergie, annulant parfois, pour ainsi dire, l’effort supplémentaire.
J’ai souvent entendu des athlètes dire : « Ah! moi, je me plains tout le temps à ma blonde – ou à mon chum –, j’ai décidé d’arrêter ça. » Il peut y avoir une sur-plainte envers le conjoint, mais par contre, cette relation intime avec une personne permet aussi d’exprimer et d’évacuer un surplus de tension. Elle constitue une des ressources les plus précieuses. Il s’agit alors de moduler la manière de l’exprimer.
Johanne Lebel : Et qu’en est-il de la demande?
Étienne Hébert : Il est essentiel de reconnaître qu’il y en a deux types. Il y a la demande objective : Qu’est-ce qu’il faut réellement que je fasse? Qu’est-ce qui m’est demandé concrètement? Aux études supérieures, par exemple, il est généralement requis de maîtriser le processus de recherche, de connaître les particularités de sa discipline, de s’établir dans un réseau ou un groupe. C’est la demande objective, et le problème émerge rarement de là.
Puis, il y a la demande subjective : Qu’est-ce que je perçois comme étant ce qu’il faudrait que je fasse? « Je veux publier deux ou trois articles. » – « Je devrais être meilleure que… » – « Je veux travailler avec telle personne. » C’est là que l’étudiant risque de se retrouver avec un poids d’attentes inatteignables.
Il est rare que la demande objective soit trop élevée, c’est plutôt la demande subjective qui est le bourreau. Si celle-ci est beaucoup trop grande pour vos ressources, une situation de détresse se pointe. Quand on ne peut répondre à la demande, c’est normal de paniquer. Or la seule prise de conscience du volume de demandes que l’on a placées sur ses épaules, souvent, aide à replacer les attentes. Parce qu’on a un certain pouvoir d’action – et sur la demande, et sur les ressources.
Johanne Lebel : Est-ce qu’il y a des traits de personnalité qui protègent contre la surdose de stress?
Étienne Hébert : Dans le premier Les Boys, il y a une scène extraordinaire d’un point de vue psychologique, où Marc Messier fait mention de la dureté du mental. Il est possible de traduire cela en psychologie comme de la vigueur psychologique. Le personnage fait alors notamment référence à cette propension à voir les demandes comme des défis plutôt que comme des obstacles ou des embûches. Les personnes qui possèdent ce trait se sentent plus en contrôle de ce qui leur arrive. Sans surprise, elles répondent beaucoup mieux au stress. C’est un trait de personnalité, certes, mais aussi une posture que l’on peut développer. Parmi les facteurs liés à la personnalité, il y en a un autre qui est important pour la résistance au stress : c’est le sentiment d’autoefficacité, que l’on peut définir comme la croyance en nos propres moyens pour maîtriser une situation.
Johanne Lebel : Le stress menant à la détresse donne-t-il des signes?
Étienne Hébert : Bien sûr, mais, étonnamment, les gens sont extrêmement mauvais à reconnaître les signaux de leur propre corps. Ceux-ci échappent à leur attention, ou encore, ils les banalisent. Ils ne font pas le lien entre ces symptômes et une période de stress plus importante : maux de ventre ou de tête, mains moites, absence de concentration, sommeil difficile. C’est pourtant là le corps qui dit, qui crie : « Eh, là, il y a un problème! »
Étonnamment, les gens sont extrêmement mauvais à reconnaître les signaux de leur propre corps. Ceux-ci échappent à leur attention, ou encore, ils les banalisent.
Le mécanisme du stress, ce n’est pas très compliqué. Ce qui l’est, c’est d’être capable d’identifier les signes avertissant que l’on est stressé. Stress positif ou négatif, les signaux peuvent être les mêmes. On peut donc en faire une très mauvaise interprétation : « Ça y est, il y a quelque chose qui ne marche pas. Je n’ai pas de mémoire. Je ne suis pas prêt à présenter ma communication. » On peut avoir l’impression que l’on n’a plus de capacité à se concentrer, alors que ce ne sont là que des signes de stress positif.
Johanne Lebel : Jusqu’où le corps peut-il « en prendre »?
Étienne Hébert : Notre bassin d’énergie n’est pas inépuisable. Personne ne peut résister au stress éternellement. Le seuil est très différent d’un individu à un autre, mais tout le monde frappe son mur, sans exception. Si une demande m’est présentée et que j’ai les ressources, j’y réponds momentanément. Le corps réagit rapidement, le stress tombe. Mais si le stress se déploie sur le long terme, dans une sorte de marathon –là on est sur le terrain de nos étudiants aux cycles supérieurs –, et si on ne gère pas cette situation, on épuise son corps et au bout d’un certain temps, « il se brise », voilà l’expression que j’utiliserais.
Johanne Lebel : Un effondrement, comme pour tout système complexe mis sous pression trop longtemps.
Étienne Hébert : En effet. Les gens développent alors un tas de problèmes de santé, physique et psychologique. Insomnie, digestion difficile, dépression, troubles mentaux, etc. Le risque d’accidents aurait aussi tendance à augmenter. Thomas Holmes et Richard Rahe, à la fin des années 1960, ont bâti une mesure du stress, en y plaçant les événements positifs comme les négatifs, sur une échelle de 0 à 100. À 100, l’événement est très négatif, c’est la mort d’un proche. À 50, c’est un mariage, un grand événement positif. Leurs résultats ont démontré que 80 % des gens ayant un score annuel au-dessus de 300 en termes d’événements stressants, avaient des problèmes de santé mentale et physique, ou avaient même eu des accidents : collision de voiture, jambe cassée, etc. Et, à l’inverse, les gens qui cumulaient 50 et moins sur l’échelle développaient aussi des troubles physiques et mentaux.
Johanne Lebel : Il y a donc vraiment une balance énergétique à maintenir.
Étienne Hébert : On possède des réserves d’énergie et elles ne sont pas inépuisables. Il existe un phénomène nommé syndrome général d’adaptation, qui explique le processus d’utilisation de nos réserves face au stress. Ainsi, quand une demande survient, le corps se mobilise et l’énergie est consacrée à y répondre; cela peut notamment occasionner une diminution de la réponse immunitaire. Si la demande n’est pas momentanée et que ce qu’on anticipait comme un « sprint » se transforme en « marathon », le corps puisera dans sa réserve de résistance. On le voit chez les athlètes, ce n’est pas lors de leur préparation physique qu’ils sentent leurs faiblesses : « Ça va, je n’ai pas le temps d’être malade, tu sais! »
Si ma mémoire est bonne, des études ont montré qu’il y a un pourcentage plus élevé de grippes, rhumes ou infections après les examens, chez les étudiants universitaires. Ils mobilisent toute leur énergie à répondre à la demande et à réussir leur « marathon », puis, lorsque tout est terminé, c’est entre autres le corps qui subit les contrecoups.
Johanne Lebel : En guise de conclusion, si vous aviez un mot pour des étudiants chercheurs qui sont soit au milieu de leur « marathon », soit en train de le commencer, quel serait-il?
Étienne Hébert : Le processus du stress n’est pas compliqué. C’est l’équilibre entre ressources et demandes. Le vrai défi, c’est d’effectuer l’analyse de ses ressources et des demandes reçues.Tenez un carnet : d’un côté, une liste des ressources à votre disposition, c’est votre capital; de l’autre, les demandes, que vous divisez par la suite en demandes objectives et subjectives... La réelle intégration des connaissances, le réel avancement passe par là.
Le processus du stress n’est pas compliqué. C’est l’équilibre entre ressources et demandes. Le vrai défi, c’est d’effectuer l’analyse de ses ressources et des demandes.
- 1Johanne Lebel est rédactrice en chef du Magazine de l'Acfas.
- Etienne HébertÉtudiant·e au troisième cycle universitaireUQAC - Université du Québec à Chicoutimi
Etienne Hébert est psychologue et détenteur d’un doctorat en psychologie (Ph.D.) de l’Université Laval. Il a été embauché comme professeur spécialisé en psychopathologie et dans les théories de la personnalité à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) en 2004. En psychologie clinique, il a travaillé sur l’opérationnalisation et les applications du concept d’organisation de personnalité. Il s’intéresse également à la psychologie du sport ainsi qu’à la formation des entraîneurs. Il a entre autres travaillé sur la motivation et la réussite chez les étudiants-athlètes ainsi que sur la passion des entraîneurs et des athlètes. Il a été directeur de la Clinique universitaire de psychologie de 2008 à 2010, directeur du Département des sciences de la santé de 2011 à 2013, et il est doyen des études depuis septembre 2013.
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