[...] le plus important, selon nous, c’est que l’étudiant puisse aborder directement les obstacles rencontrés avec son directeur de recherche. Cela nécessite non seulement du courage et de l’humilité de la part de l’étudiant qui dévoile ses vulnérabilités, mais aussi une ouverture et une empathie de la part du directeur.
Un dossier pour penser le bien-être
Les études supérieures constituent une période difficile pour plusieurs universitaires1. Trente et un pour cent des étudiants aux cycles supérieurs rapportent avoir utilisé une forme de service de santé mentale2, et 14,1 % disent avoir manqué des obligations académiques en lien avec des difficultés de santé mentale3. Le stress est aussi très présent chez cette population : près de la moitié des étudiants rapportent avoir des problèmes lié à celui-ci2.
Le présent dossier porte justement sur cette délicate question de la santé psychologique des étudiants chercheurs. Depuis quelques années circulent beaucoup des données autour du mal-être étudiant; dont l'enquête, à paraitre bientôt, sur la santé psychologique réalisée auprès de quelque 40,000 étudiants de l'Université de Montréal, dont 10,095 qui ont pris la peine de répondre aux 130 questions... Ce n'est pas rien.
Dans le présent dossier nous avons plutôt porté notre regard vers ce qui pouvait contribuer au sortir de ce mal-être, vers ce qui pouvait contribuer au bien-être. Il y est question du stress et des manières de le déjouer quand il se fait trop intense, des retraites de rédaction Thèsez-vous? où ensemble on est moins seul et du comment traverser les études supérieures en contexte de TDAH. Puis, quatre étudiants témoignent avec grande sincérité de ce qui a pesé pour eux, et du chemin emprunté pour y faire face. Pour notre part, nous traitons ici de l’importance de la relation superviseur-supervisé quant au bien-être de l’étudiant. Nous nous sommes questionnés à savoir si certaines caractéristiques propres au milieu universitaire, à l’étudiant et au directeur de recherche peuvent créer un climat propice au développement de stress ou de détresse psychologique.
Perfectionnisme et procrastination
La littérature scientifique nous donne quelques pistes d’explications à ce sujet. En effet, certaines caractéristiques souvent présentes chez les étudiants aux cycles supérieurs, tels les traits perfectionnistes et la tendance à procrastiner, pourraient venir jouer sur la détresse de ceux-ci. Les étudiants aux cycles supérieurs auraient un niveau de perfectionnisme élevé pouvant nuire à la réalisation des tâches liées à la recherche4. Également, près de 42% des étudiants rapportent faire de la procrastination toujours ou presque toujours lors de la rédaction du mémoire ou de la thèse4.
Les comportements perfectionnistes et de procrastination sont associés à la peur de l’échec et à un manque de confiance de la part de l’étudiant envers ses capacités à effectuer ses travaux de recherche5. Ainsi, ces comportements peuvent être vus comme une façon pour l’étudiant de pallier à l’anxiété. Or, les comportements perfectionnistes et de procrastination génèrent un cercle vicieux maintenant le stress dans le temps. En effet, ces comportements amplifient la peur de faire des erreurs plutôt que de la diminuer6.
Le directeur de recherche : un incontournable
Le directeur de recherche peut avoir un rôle central pour aider l’étudiant à prendre confiance en ses habiletés de rédaction, et ce, afin d’éviter que celui-ci tombe dans le cercle vicieux de la procrastination. Dans cette optique, David Litalien (2014) souligne l’importante influence de son soutien sur la motivation et sur la perception de ses compétences. Également, une bonne relation avec le directeur de recherche est associée à un sentiment d’efficacité personnelle plus élevé chez les étudiants7. À l’opposé, une mauvaise relation est identifiée par les étudiants comme un facteur de stress et de détresse8. Il devient ainsi important de reconnaître que le directeur de recherche a une influence importante sur le bien-être de l’étudiant au cycle supérieur.
Le directeur de recherche peut avoir un rôle central pour aider l’étudiant à prendre confiance en ses habiletés de rédaction, et ce, afin d’éviter que celui-ci tombe dans le cercle vicieux de la procrastination.
Considérant le rôle central du directeur de recherche, l’Association canadienne pour les études supérieures (2008) fournit des lignes directrices pour un bon encadrement des étudiants aux cycles supérieurs. De prime à bord, le respect mutuel et le professionnalisme permettent de favoriser une relation saine entre le superviseur et le supervisé. Dans cette optique, il est utile de clarifier les attentes, les rôles et les responsabilités de chacun9. Aussi, des rencontres régulières entre l’étudiant et le directeur de recherche sont recommandées9. En effet, les rétroactions fréquentes, constructives et pertinentes à propos de l’écriture de la thèse ou du mémoire sont bénéfiques pour l’étudiant10. Il est aussi important d’offrir une continuité dans la direction et d’offrir un remplacement si le superviseur est dans l’impossibilité de poursuivre la relation de direction11.
Par ailleurs, lorsqu’un conflit survient entre l’étudiant et son directeur de recherche, on recommande de tenter de résoudre celui-ci à la base, c’est-à-dire qu’une discussion entre le superviseur et le supervisé est à privilégier avant d’impliquer des niveaux supérieurs d’autorité9. Afin d’éviter les conflits ou de solutionner ces derniers plus rapidement lorsqu’ils surviennent, il importe de clarifier les enjeux de propriétés intellectuelles (p.ex. ordres des auteurs, propriétés des données, etc.) tôt dans le déroulement de la recherche, et non seulement à l’étape de la publication9.
On oublie souvent cet aspect, mais le directeur de recherche peut aussi agir en mentor professionnel, car ses responsabilités vont souvent au-delà de la direction du projet de recherche de l’étudiant. Le directeur de recherche peut donc accompagner l’étudiant dans d’autres facettes de son parcours telles que le réseautage et les demandes de subventions9. Finalement, il est recommandé aux directeurs de recherche d’encourager le développement de l’autonomie chez leurs étudiants12. Mais attention, autonomie ne veut pas dire absence de support; au contraire, les étudiants autonomes ayant un bon sentiment d’efficacité personnelle quant à leurs activités de recherche rapportent être confiants de la présence active de leur directeur de recherche s’ils ont besoin d’aide12.
L’étudiant est le coureur et le superviseur est son entraineur
L’analogie du marathon permet d’illustrer de façon imagée certaine des recommandations soulignées précédemment quant au rôle du directeur de recherche. L’étudiant est le coureur et le superviseur est son entraineur. L’analogie illustre bien l’importance des rencontres régulières entre le superviseur et le supervisé et des rétroactions fréquentes : la rédaction d’une thèse ou d’un mémoire est un défi de longue haleine qui exige un travail constant et récurrent. La plupart des étudiants ont été habitués à travailler en sprinteurs, c’est-à-dire qu’ils fournissent des efforts très intenses à l’intérieur de courtes périodes, comme c’était le cas pour produire des travaux de fin de session au premier cycle. Ils peuvent ainsi éprouver certaines difficultés lorsque vient le temps d’organiser le travail requis dans la rédaction de la thèse et de persévérer dans sa réalisation graduelle et itérative. Afin d’aider l’étudiant dans cette tâche, tel un coach, le directeur voudra le rencontrer fréquemment, afin de construire avec lui un horaire type de travail, de l’aider à identifier les causes de ses difficultés et à les rectifier, et de discuter de sa motivation au fil du parcours.
Communiquer, communiquer et communiquer
Comme toute relation significative, la relation superviseur-supervisé passe par des hauts et des bas. Lorsqu’une situation plus difficile se présente, nous recommandons aux étudiants de briser l’isolement et de communiquer. L’importance de parler des obstacles rencontrés est justement abordée dans l’ouvrage Assieds-toi et écris ta thèse13 (Belleville, 2014). Parler aux amis et aux collègues, par exemple, permet de normaliser l’expérience, mais le plus important, selon nous, c’est que l’étudiant puisse aborder directement les obstacles rencontrés avec son directeur de recherche. Cela nécessite non seulement du courage et de l’humilité de la part de l’étudiant qui dévoile ses vulnérabilités, mais aussi une ouverture et une empathie de la part du directeur. Le fait de nommer les difficultés permet de clarifier le rôle de chacun et constitue une première étape pour établir ou rétablir une confiance mutuelle entre le superviseur et le supervisé.
Le fait de nommer les difficultés permet de clarifier le rôle de chacun et constitue une première étape pour établir ou rétablir une confiance mutuelle entre le superviseur et le supervisé.
Références :
- Association canadienne pour les études supérieures. (2008). Les principes directeurs de l’encadrement des étudiants des cycles supérieurs. http://www.cags.ca/documents/publications/working/Guiding Principles GRD STD SPV FR - 08 10 10.pdf.
- Barlow, D. H., & Savard, J. (2002). Anxiety and its disorders : the nature and treatment of anxiety and panic (2nd ed ed.). New York: Guilford Press.
- Belleville, G. (2014). Assieds-toi et écris ta thèse! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique. Québec: Les Presses de l'Université Laval.
- Council of Graduate Schools and Educational Testing Service. (2012). Pathways through graduate school and into careers. Report from the Commission on Pathways through Graduate School and Into Careers. Princeton, NJ: Educational Testing Service.
- Eisenberg, D., Gollust, S. E., Golberstein, E., & Hefner, J. L. (2007). Prevalence and Correlates of Depression, Anxiety, and Suicidality Among University Students. American Journal of Orthopsychiatry, 77(4), 534-542. doi: 10.1037/0002-9432.77.4.534
- Flett, G. L. , Blankstein, K. R. , Hewitt, P. L. , & Koledin, S. (1992). Components of perfectionism and procrastination in college students. Social Behavior and Personality: an international journal, 20(2), 85-94.
- Gunnarsson, R., Jonasson, G., & Billhult, A. (2013). The experience of disagreement between students and supervisors in PhD education: a qualitative study. BMC medical education, 13, 134. doi: 10.1186/1472-6920-13-134
- Hyun, J. K., Quinn, B. C., Madon, T., & Lustig, S. (2006). Graduate student mental health: Needs assessment and utilization of counseling services. Journal of College Student Development, 47(3), 247-266. doi: 10.1353/csd.2006.0030
- Ives, G., & Rowley, G. (2005). Supervisor selection or allocation and continuity of supervision: Ph. D. students’ progress and outcomes. Studies in higher education, 30(5), 535-555.
- Lindsay, S. (2015). What works for doctoral students in completing their thesis? Teaching in Higher Education, 20(2), 183-196. doi: 10.1080/13562517.2014.974025
- Litalien, D. (2014). Persévérance aux études de doctorat (Ph. D.) modèle prédictif des intentions d'abandon. (30573 CaQQLA Thèse (Ph. D.)), Université Laval. Retrieved from Accès via Archimede http://www.theses.ulaval.ca/2014/30573 Available from Bibliothèque de l'Université Laval Ariane database.
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- Statistique Canada. (2015). Effectifs postsecondaires selon le type d'institutions, sexe et groupe de programmes. http://www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/educ74a-fra.htm.
- 1Hyun, Quinn, Madon, & Lustig, 2006
- 2a2bHyun et al., 2006
- 3Eisenberg, Gollust, Golberstein, & Hefner, 2007
- 4a4bOnwuegbuzie, 2000
- 5Flett, Blankstein, Hewitt, & Koledin, 1992
- 6Barlow & Savard, 2002; Onwuegbuzie, 2000
- 7Overall, Deane, & Peterson, 2011
- 8Gunnarsson, Jonasson, & Billhult, 2013; Overall et al., 2011
- 9a9b9c9d9eAssociation canadienne pour les études supérieures, 2008
- 10Lindsay, 2015
- 11Ives & Rowley, 2005
- 12a12bOverall et al., 2011
- 13Belleville, 2014
- Geneviève BellevilleProfesseur·e d’universitéUniversité Laval
Geneviève Belleville est professeure de psychologie à l’université Laval depuis 2009. Ses intérêts de recherche portent sur l’anxiété, le stress post-traumatique et le sommeil. Elle a publié plus d’une cinquantaine d’articles scientifiques et chapitres de livres et, à son grand étonnement, apprécie la rédaction scientifique un peu plus chaque jour. Résistant à la pression de performance de l’empire universitaire, elle consacre le moins de temps possible au travail, préférant garder soirées et fins de semaine pour passer du temps en famille.
- Flore Morneau-SévignyÉtudiant·e au troisième cycle universitaire
Université Laval
Flore Morneau-Sévigny est candidate au doctorat en psychologie sous la supervision de Geneviève Belleville au Laboratoire d'étude de l'anxiété de l’Université Laval. La thèse de Madame Morneau-Sévigny s’intitule : «Détresse psychologique chez les étudiants universitaires : un devis mixte incluant une méta-analyse».
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