Provenant du latin infans et signifiant celui qui ne parle pas, le terme enfant porte le poids historique d’une population dont la voix est trop souvent réduite au silence. Avoir recours comme principales sources de données à l’expression des voix singulières de ce groupe minorisé attire divers chercheurs qui considèrent les enfants comme des acteurs sociaux dignes d’écoute (Honneth, 2000). La reconnaissance et la valorisation de ces jeunes comme agents épistémiques crédibles et signifiants (Farmer et Prasad, 2014) s’opposent aux conceptions de l’enfance comme état de manque, lesquelles octroieraient davantage de validité à la parole d’adultes. De ce fait, en nommant à partir de leurs schèmes d’adulte ce qu’ils observent de l’extérieur, ces adultes transformeraient la réalité subjective de l’enfant en récit de « dires » qui répondent à des normes et à des repères symboliques coupés de ce que vit réellement l’enfant (Bourdieu, 1993).
Bien que les acquis issus de la recherche qualitative et préoccupée par la prise en compte de la voix des enfants manifestent leur justesse éthique et méthodologique (Spyrou, 2011), les approches qui y sont associées soulèvent malgré tout de nombreux questionnements. En effet, comme pratiques de recherche relativement récentes, elles ont dans l’ensemble esquivé l’autoexamen critique, qui porterait notamment à réfléchir aux enjeux de représentation. Cela n’est pas sans faire référence à « la question du contrôle exercé par le chercheur, dans sa posture d’expert, sur les acteurs et la prise en compte de diverses voix » (Gohier, 2004, p. 12). Cette posture interpelle différentes disciplines invitées à réfléchir aux statuts et à la posture occupés par la chercheuse ou le chercheur quant à la particularité des repères éthiques, épistémologiques, méthodologiques que donner voix implique lorsque cette dernière est celle de l’enfant, et quant à la façon dont les résultats de recherche sont diffusés.
Divers cadres exposent le droit des enfants d’exprimer leur point de vue, d’être écoutés et entendus. Au-delà de ces obligations, il semble tout naturel et nécessaire pour quelques chercheuses et chercheurs (Côté et Trottier-Cyr, 2017; Lapierre et al., 2016; Prasad, 2013) de donner voix aux enfants, particulièrement lorsque l’objet de recherche les concerne directement, qu’ils en soient les acteurs ou sujets principaux, afin qu’ils expriment le sens de leur propre expérience. Selon James (2007), les chercheuses et les chercheurs seraient peu nombreux à interroger le rôle qu’ils jouent dans la représentation de la voix des enfants, dont ils se font les porte-parole par l’entremise de la recherche (Mazzei et Jackson, 2009), sans compter que les enjeux éthiques et méthodologiques anticipés — à tort et à raison — relativement à l’accès à la voix des enfants porteraient plusieurs chercheuses et chercheurs à éviter des approches qui incluent cette voix.