Informations générales
Événement : 85e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 500 - Éducation
Description :Dans la pensée éducative québécoise contemporaine, la figure de l’enseignant est dominée par celle du professionnel, celui qui est éclairé par la science, et par celle du guide, celui qui facilite les apprentissages. Ils sont tantôt des applicateurs de savoirs experts relativement désincarnés, et tantôt des accompagnateurs dont les savoirs disciplinaires sont relégués à une position accessoire. En ce sens, ces figures acculent l’enseignant à un rôle relativement instrumental d’applicateur ou de tuteur, ce qui semble insuffisant pour nourrir l’identité, le développement et la pratique de façon signifiante et satisfaisante. Comme le défend Chris Higgins dans The good life of teaching, le travail de l’enseignant en lui-même peut fonder un modèle robuste de la good life et devrait permettre aux enseignants de mener des vies réellement gratifiantes.
Ce colloque propose donc de repenser la figure de l’enseignant de manière à permettre à ce métier, ce travail, cette profession, de renouer avec son caractère « vocationnel ». S’il est un métier « incarné », porté par un engagement profond pour le devenir humain et social, c’est bien celui de l’enseignement : il s’agit donc dans ce colloque de repenser cette figure de l’enseignant à la lumière des différentes manifestations historiques, mythologiques ou réelles dans le but de chercher à la penser différemment.
Date :- Marina Schwimmer (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Arianne Robichaud (Université du Québec à Montréal - UQÀM)
Programme
Figures antiques
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Communication orale
La figure ambiguë de l’enseignant-séducteurGuy Bourgeault (UdeM - Université de Montréal)
La figure de l’enseignant – séducteur est ambigüe. Car la séduction, requise sans doute pour que naisse et dure le rapport amoureux, est aussi, sur le plan politique ou même guerrier parfois, ruse, manipulation, stratégie de la victoire sur l’autre, asservi. Dans la Bible, si le Séducteur est le Satan-Serpent conduisant à l’expulsion, il est aussi Yahweh, l’Éternel, selon le prophète Jérémie : « Tu m’as séduit, et je me suis laissé séduire ».
La séduction est détournement. L’enseignement également, si on en croit le Platon de l’Allégorie de la caverne faisant violence aux prisonniers de l’opinion et de ses ombres pour les tourner vers l’aveuglante lumière de la vérité à laquelle cherche à accéder la connaissance dite d’ailleurs vraie, véritable. Elle opère alors par la provocation de l’étonnement admiratif. Elle éveille une connivence entre le maître et le disciple, le premier découvrant chez le second moins la faille qu’une aspiration semblable à la sienne, et joue alors la magie du charme. Elle est finalement, après les plaisirs et les difficultés du compagnonnage, solitude retrouvée et alors autonomie libérée ou plutôt déception et perdition
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Communication orale
Gratuité et gratificationMathilde Cambron-Goulet (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Il est bien connu que Socrate ne recevait pas d’argent pour son enseignement. Cette critique de la perception d’un salaire par les enseignants, pratiquée notamment par les sophistes (Blank, 1985), était courante chez les philosophes antiques et particulièrement chez Platon, Xénophon et Aristote. Ce refus de recevoir un salaire repose sur une conception pour le moins particulière de la rétribution de l’enseignant : celui-ci, en effet, développe une relation d’amitié avec son élève, or une personne que l’on paie est, précisément, une personne avec laquelle on ne souhaite pas entrer en relation. Cette relation entre l’élève et l’enseignant est toutefois asymétrique, et comme le signale Azoulay (2004, 136-138), les bienfaits de Socrate à l’endroit de ses compagnons sont tels que ceux-ci ne pourraient les lui rendre. Quels bienfaits, justement, les compagnons de Socrate sont-ils en mesure de lui rendre? Cette intervention vise à examiner les profits matériels et intellectuels qui font de l’enseignement une activité gratifiante, qui mérite d’être choisie pour elle-même, en s’appuyant sur les œuvres de Platon, de Xénophon et d’Aristote, dans lesquelles les critiques de l’enseignant salarié sont les plus virulentes.
Figures d’incertitude
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Communication orale
La figure du professeur de foi chez DerridaMarina Schwimmer (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Dans sa conférence prononcée à l’université de Stanford en 1998, puis traduite en français sous le titre de L’université sans condition, Jacques Derrida (2001) propose de penser l’avenir de l’université en considérant le travail du professeur comme une profession de foi. Sa réflexion porte sur le travail du professeur d’université, mais sa portée est plus large. Pour Derrida, la profession de l’enseignant ne consiste pas seulement à transmettre un ensemble contrôlé de savoirs objectifs et de compétences organisées, elle constitue bien plus profondément un engagement dévoué au nom d’une foi, foi en ce qui est à venir, un avenir imprévisible et toujours incertain. Cette présentation propose ainsi de profaner le sens moderne de la profession de l’enseignant, toujours habité par un désir de contrôle et d’efficacité, en y réintroduisant les éléments d’incertitude et de foi propres à son caractère vocationnel. Les concepts d’événement, de don et de foi seront abordés dans le but de réintroduire des dimensions désormais exclues du discours sur la profession, mais susceptibles de nourrir l'identité, le développement et la pratique des enseignants de façon signifiante et gratifiante.
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Communication orale
Figures de la parthénos : chemins de l’ignorance, du détour et de l’ailleursEftihia Mihelakis (Brandon University)
Dans la pensée occidentale, la virginité a été pensée soit comme un corps n’ayant pas encore connu l’acte sexuel ou un corps sacrifié au service d’une alliance avec le divin. Dans les deux cas, le passage d’un statut (ignorance) à un autre (savoir) sous-entend l’arrivée vers un état accompli, achevé et irréversible. Sachant que les institutrices d’autrefois recevaient une formation similaire à celle des sœurs religieuses (Jeffrey, 2013), il est intéressant d’explorer les relations qui existent entre la notion de virginité et l’histoire de la profession d’enseignant.e.
Il s’agira ici de jeter la lumière sur quelques exemples de ces figures d’enseignant.es « vierges » dans la littérature du Québec depuis la fin des années 1950 pour les comparer aux mythes de la parthénos divine ou tragique. On interrogera la possibilité de voir la virginité et l’ignorance par-delà l’idée d’un comportement irréprochable. Pour ce faire, je ferai des liens avec la pensée d’Avital Ronell, pour qui l’espoir de briser l’emprise actuelle du régime utilitariste de l’accumulation des connaissances dépend de la suspension de l’ignorance. Pour penser avec Judith « Jack » Halberstam, on peut faire l’hypothèse que le contact avec la profession ne devrait pas être pensé comme un passage d’un état vierge à un état nécessairement fertile et achevé, mais comme une forme d’ignorance, de détour, qui chemin faisant, nous amène ailleurs.
Figures d’engagement
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Communication orale
L’enseignant révolutionnaire : la vocation de la praxis orientée vers la justiceStéphanie Demers (UQO - Université du Québec en Outaouais)
La figure de l’enseignant révolutionnaire, que l’on pourrait associer tantôt à Goldman ou Ferrer, tantôt à Trostki, au Che, à Freire ou à Hooks, est à nos yeux peu fréquentée dans l’imaginaire éducatif québécois, à l’exception des milieux syndicaux et de l’alphabétisation. Pourtant, ce qui caractérise ces figures mythiques de l’éducation sur les plans téléologique, épistémologique et pratique est proximal aux visées de l’École québécoise : une agentivité épistémique et sociopolitique substantive, développée dans la praxis et orientée vers la justice. Face aux conditions aliénantes, voire prolétarisantes, du système scolaire actuel, l’enseignant révolutionnaire, dans sa conception militante de la vie bonne et juste, peut-il servir de modèle aux enseignants qui souhaitent s’affranchir des structures opprimantes et, ce faisant, fournir à leurs élèves des outils d’émancipation? Nous proposons d’explorer la pertinence des modèles de Ferrer (1905, 1908) et de Freire (1974) pour repenser l’engagement des enseignants pour une École rénovée et une société juste.
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Communication orale
Réalité et utopie dans la vision du maître chez Gabriela MistralJavier Nunez Moscoso
Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature 1945, était reconnue pour sa poésie et pour son travail de maître rural dans le nord du Chili. Son art poétique est marqué par son expérience de travail où la distinction entre vie professionnelle et vie personnelle n'a aucun sens.
Cette communication propose d'explorer et de décrire la figure du maître qui émerge du travail littéraire de Mistral, au carrefour d'une visée socio-historique et esthétique, en tissant les liens entre la dure réalité du contexte social du Chili rural et le rôle du maître.
Dîner
Figures professionnelles
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Communication orale
La figure vertuiste de l’enseignant ne s’essouffle pas!Denis Jeffrey (Université Laval)
Autrefois, les instituteurs et institutrices québécois étaient formés pour devenir des modèles exemplaires de moralité. Ils devaient être des exemples de bonne conduite autant dans l’école que hors de l’école. Ils représentaient, avec les religieux, les représentants des vertus catholiques, d’où le vertuisme. Après la Révolution tranquille, le modèle de formation a changé. La formation à l’enseignement s’est professionnalisée. La nouvelle éthique professionnelle n’oblige plus les enseignants à incarner une moralité irréprochable. Toutefois, encore en 1996, la Cour suprême du Canada appuyait sa décision, dans une cause concernant l’inconduite d’un enseignant, sur le vertuisme. Les enseignants, écrivaient les juges, devaient avoir une moralité exemplaire 365 jours par année et 24 heures sur 24. Presque vingt ans après cette décision, l’ancienne figure vertuiste de l’enseignant n’est pas disparue. À vrai dire, nombre d’enseignants se perçoivent encore aujourd’hui comme des modèles de moralité. Ils s’en font même une fierté. Ce vertuisme, nous allons en parler dans cette présentation, pourrait bien être incompatible avec les nouvelles exigences contemporaines d’une éthique professionnelle. En fait, comment définir l’enseignant compétent au point de vue de l’éthique ? Nous allons présenter des valeurs, des normes, des principes éducatifs et des finalités de l’enseignement qui pourraient guider l’enseignant d’aujourd’hui qui désire être perçu comme un professionnel.
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Communication orale
Faire voir et entendre les métiers de l’enseignement pour résister aux sirènes de la professionnalisationFrédéric Saussez (UdeS - Université de Sherbrooke)
La rhétorique de la professionnalisation s’est développée autour de l’idée qu’il importait de changer en profondeur la formation à l’enseignement et les pratiques enseignantes de façon à ce que l’école soit en mesure de servir l’excellence et contribuer de cette façon, à la compétitivité de l’économie (Labaree, 1992). Le projet de professionnalisation du métier s’est alors concrétisé au Québec dans une série de réformes visant à modifier les cadres et les normes structurant autant la formation initiale à l’enseignement que le travail des enseignantes. Il a fait de l’apprentissage de nouveaux modes d’action valorisée par la recherche une variable clé de l’amélioration des performances du système éducatif (Saussez et Yvon, 2014). Cet assujettissement à la rationalité instrumentale ne conduit-il pas le métier à la clandestinité ? La rhétorique de la professionnalisation en valorisant l’idée du changement ne conduit-elle pas à ce que la compréhension du travail réel ne soit trop vite remplacée par la projection de ce qu’il devrait être au nom d’une rationalité qui lui est étrangère ? En fait, que sait-on de ce qui se réalise au jour le jour dans le quotidien du travail enseignant ? Comment dès lors préparer à, ou encore transformer, une occupation dont on ne connaît pas la réalité ? Cette communication défend la thèse que l’Analyse Ergonomique du Travail Enseignant (AETE) offre une alternative à cette position normalisatrice au regard de la formation et du travail.
Figures de connaissance
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Communication orale
La figure du professeur socratique chez NussbaumChristiane Gohier (UQAM - Université du Québec à Montréal)
C’est à la figure de Socrate ou du débat et de l’argumentation sur le mode socratique que Martha Nussbaum se réfère pour promouvoir une pédagogie centrée sur l’examen critique des objets du savoir. L’éducation est conçue comme une enquête critique qui repose sur le débat entre pairs suscité par un pédagogue qui ne fait pas figure d’autorité. Elle rappelle l’importance de débattre et de discuter dans les démocraties pluralistes modernes. Si elle souligne l’apport de différents théoriciens européens et américains à cette conception pédagogique, de Rousseau à Dewey, en passant par Alcott et Mann, elle fait référence également à une tradition indienne qui prend source chez Tagore au début du XXe siècle et qui marie méthode socratique et arts libéraux. Car, pour Nussbaum, méthode socratique et éducation libérale, au sens de la fréquentation des œuvres produites notamment en sciences humaines, en philosophie, en art, en littérature et en droit, sont complémentaires. On se penchera dans un premier temps sur l’articulation entre la méthode socratique et les arts libéraux. Dans un deuxième temps, on se demandera si la conception de l’enseignant comme professionnel, issue des arts libéraux, est compatible avec la figure nussbaumienne du pédagogue.
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Communication orale
La figure de l’enseignant intellectuel chez Arendt : implications pour l’éducation québécoisePascale Bourgeois (UQÀM), Arianne Robichaud (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Si la pensée éducative déployée par Hannah Arendt dans La Crise de l’éducation (1954) est bien connue et abondamment commentée en philosophie de l’éducation, ses ramifications aux fondements de l’éducation québécoise, et plus particulièrement aux trois figures enseignantes proposées et valorisées par les différents programmes scolaires mis en œuvre au Québec depuis les années 1960, le sont beaucoup moins. Ainsi, cette communication vise non seulement à repenser et interpréter le modèle enseignant arendtien à l’aune de la dichotomie intellectualisme/anti-intellectualisme particulièrement pertinente pour étudier le rapport aux savoirs des enseignants québécois, mais également à contraster le modèle de l’enseignant intellectuel chez Arendt aux figures enseignantes se trouvant aux sources des programmes éducatifs québécois des années 1960-1970, 1980-1990 et 2000. Dès lors, comment l’enseignant intellectuel arendtien se mesure-t-il aux présupposés philosophiques de ces trois programmes et des modèles du maître qu’ils ont proposés? Comment se mesure-t-il également aux modèles enseignants préconisés par les programmes universitaires de formation initiale depuis les années 1960, arrimés à ces programmes scolaires respectifs? Telles sont quelques-unes des questions aux fondements de cette communication, dont l’objectif principal est d’actualiser la force de la pensée arendtienne pour une analyse philosophico-historique de l’identité enseignante québécoise.