Au Canada et partout dans le monde, les orchestres et les grands festivals de musique classique offrent de nouvelles initiatives d’accessibilité pour les personnes handicapées, des propositions qui vont au-delà de ce qui est habituel. Pensons aux programmations destinées à des publics neurodivers, dont celui des autistes – une approche inclusive de plus en plus courante.
Souvent appelés « concerts sensoriels », ces événements présentent des bénéfices importants : liberté de mouvement des spectateur·trices, options variées de type de sièges, salle plus éclairée, ou encore, répertoire avec moins de stimulation pour les personnes autistes, par exemple1.
Ce sont là des éléments caractéristiques des concerts de musique inclusifs et accessibles, mais il y a beaucoup d’autres dimensions à considérer. Dans le présent article, nous explorerons le concept à la base des concerts de musique adaptative, qui vont au-delà de l’adaptation sensorielle en offrant une plus large gamme d’accommodations. Leur but : mieux répondre à la grande variété des besoins dans les communautés neurodiverses et handicapées. Plusieurs partenaires de l’Institut de recherche en musique et santé (IRMS) ouvrent la voie à l’élaboration de cette innovation au Canada, notamment le Lotus Centre for Special Music Education, Ottawa Chamberfest, Xenia Concerts et l’orchestre du Centre national des arts.
Nous décrirons ici ces initiatives, qui constituent en même temps des objets de recherche.
Dans le présent article, nous explorerons le concept à la base des concerts de musique adaptative, qui vont au-delà de l’adaptation sensorielle en offrant une plus large gamme d’accommodations. Leur but : mieux répondre à la grande variété des besoins dans les communautés neurodiverses et handicapées.
Concerts de musique adaptative
Les concerts de musique adaptative s’adressent aux personnes neurodivergentes ou handicapées. Pour ceux et celles ayant une déficience intellectuelle (y compris, mais sans s’y limiter, un trouble du spectre autistique ou le syndrome de Down), les aspects sensoriels comme les lumières vives et les sons inattendus peuvent se révéler, selon la recherche, préoccupants. Ils font donc l’objet de mesures d’adaptation dans les concerts dits sensoriels depuis plus de quinze ans :
- Garder les lumières de la salle allumées afin de réduire le contraste entre la salle et la scène pour les personnes qui ont une sensibilité visuelle;
- Offrir des sièges variés, comme des tapis de sol ou des sièges qui facilitent le mouvement;
- Mettre le contenu en récit ou en contexte, raconter des anecdotes, ajouter des éléments visuels, etc.
Tous ces aménagements éliminent les obstacles à la participation auxquels font face de nombreux membres de ce type d’auditoire. Cependant, ils ne sont qu’une pièce du casse-tête. À l’IRMS, nos partenaires ont reconnu que dans les concerts de musique traditionnels, les défis sensoriels ne sont pas les seuls freins à l’inclusion – en particulier dans la tradition classique, où les attentes en matière d’étiquette, comme la nécessité d’écouter tranquillement, sont relativement élevées. Voici quelques exemples d’obstacles durant un concert qui se révèlent problématiques pour les publics neurodivers :
- impossibilité de bouger;
- difficultés à comprendre ou à respecter les normes sociales attendues lors des concerts;
- sentiment de détresse nécessitant des pauses;
- inconfort en raison des changements de routine ou de nouvelles expériences.
Des aménagements beaucoup plus profonds sont nécessaires. C’est là qu’intervient le terme adaptatif, lequel sous-entend qu’il y aura, selon les besoins émergents, des variations dans les étapes de planification du concert, mais aussi au cours du processus d’exécution du programme. Cette adaptation nécessite un changement de paradigme pour les artistes, qui planifient minutieusement leur répertoire de concerts, s’engagent dans de longues répétitions, puis se produisent.
[...] il y aura, selon les besoins émergents, des variations dans les étapes de planification du concert, mais aussi au cours du processus d’exécution du programme. Cette adaptation nécessite un changement de paradigme pour les artistes, qui planifient minutieusement leur répertoire de concerts, s’engagent dans de longues répétitions, puis se produisent.
Pour le public visé, la nature adaptative des concerts exige une sensibilisation et un engagement beaucoup plus profonds. En plus des accommodations énumérées ci-dessus pour ce qui touche les concerts sensoriels, les concerts adaptés peuvent inclure les éléments suivants selon les besoins du groupe :
- Présentation et mobilisation multimodales, y compris l’ajout d’éléments visuels ou l’utilisation d’accessoires;
- Incorporation de périodes où le public pourra bouger inclus dans le programme du concert;
- Mesures d’accommodation supplémentaires pour les personnes ayant des besoins précis : jouets « mobiles » ou sensoriels, casques antibruit et espaces dédiés à des pauses de stimulation;
- Communication verbale plus courte ou utilisation du langage des signes;
- Programme de concert écourté (généralement de 45 à 60 minutes) et choix de répertoire ciblés qui réduisent la probabilité de surstimulation ou sous-stimulation sensorielle;
- Outils de participation préconcert : vidéos présentant les artistes, information sur les pièces ou les compositeur·trices au programme, liens vers des ressources;
- Message visuel diffusé à certains moments pendant le concert afin de réduire l’anxiété des personnes qui ne peuvent pas facilement lire le programme.
Recherche préliminaire sur l’efficacité des mesures d’adaptation
Nous disposons encore de peu de preuves empiriques de l’efficacité des aménagements utilisés dans les concerts sensoriels ou adaptatifs. À ce jour, les programmations musicales reposent essentiellement sur la recherche concernant les besoins des personnes neurodiverses et handicapées dans d’autres disciplines, y compris l’ergothérapie. Des observations indiquent, depuis longtemps, que les concerts adaptés sont une initiative d’inclusion efficace, mais, sans données probantes, il est difficile d’évaluer quels aménagements ont réellement des retombées positives et d’assurer une prise de décisions pertinentes.
Des observations indiquent, depuis longtemps, que les concerts adaptés sont une initiative d’inclusion efficace, mais, sans données probantes, il est difficile d’évaluer quels aménagements ont réellement des retombées positives et d’assurer une prise de décisions pertinentes.
En plus de l’efficacité des accommodements inclus dans la création d’une expérience de concert inclusive et engageante, d’autres questions de recherche se posent. La participation à des concerts adaptatifs peut-elle avoir un impact sur la santé mentale et le bien-être? Y a-t-il des possibilités de développement des compétences sociales? La fréquentation des concerts favorise-t-elle la régulation sensorielle et le comportement adéquat? Autant d’éléments relevés par le personnel soignant et à analyser méthodiquement.
À ce jour, des recherches préliminaires indiquent que les accommodements inclus dans les concerts adaptés présentés en collaboration par Ottawa Chamberfest et le Lotus Centre for Special Music Education ont un impact positif sur l’engagement social et le bien-être2.
Formation des artistes et reproductibilité
La prestation de concerts adaptés exige un dévouement particulier envers la cause de l’inclusion de la part des organisations artistiques et des orchestres. Les aménagements proposés sortent des normes de prestation de concert et nécessitent des ajustements à toutes les étapes de production. Les organisations en charge des concerts adaptés reconnaissent qu’il s’agit d’un obstacle et proposent des mesures de soutien, dont des ressources de formation. Par exemple, Xenia Concerts s’est associé au Lotus Centre pour créer un programme de formation qui est actuellement mis à l’essai avec tous les artistes qui donnent des concerts par l’intermédiaire de Xenia.
La formation comprend une série de webinaires sur des sujets tels que l’utilisation d’un langage approprié dans les échanges avec les personnes handicapées, l’adaptation aux différents besoins de communication et la création d’un programme de soutien sensoriel. Les webinaires sont suivis d’une séance de questions-réponses entre les artistes et les créateur·trices de contenu, ainsi que d’un guide.
Les premiers commentaires sur cette formation ont été très positifs, et les artistes l’ont reconnue comme essentielle à leur préparation. Le Centre national des arts, quant à lui, s’est associé au Centre Lotus pour préparer une série de vidéos et un guide sur le programme Music Circle. Ces ressources fournissent toutes les informations nécessaires aux organisations qui souhaitent mettre en œuvre ces pratiques.
Vers une plus grande inclusivité
Les mesures prises pour passer de concerts sensoriels à concerts adaptés sont nécessaires afin de créer des possibilités d’expérience vraiment inclusives. Cependant, de nombreuses limites demeurent. Comme on l’a mentionné, les organisations artistiques ont de la difficulté à offrir ces concerts spécialisés, ce qui en limiterait d’ailleurs la présentation à l’extérieur des grands centres urbains. La volonté de proposer des concerts adaptés exige un changement de perspective pour la plupart des personnes qui ont toujours travaillé dans le monde très structuré de la musique classique, qui suppose des attentes culturelles très normées.
Pourtant, étant donné le nombre croissant de personnes identifiées comme neurodivergentes, il est clair que pour fournir un accès universel à la musique, des initiatives comme celle-ci sont nécessaires. Notre recherche se poursuit, mais nous sommes d’ores et déjà convaincus des effets positifs de cette initiative, et ce, grâce à notre propre engagement avec la musique. Nous croyons que la musique doit être offerte à tous et à toutes, et que ses impacts potentiels sont encore plus importants pour les personnes ayant des difficultés avec les éléments que cet art peut soutenir, comme la régulation sensorielle et émotionnelle.
Nous croyons que la musique doit être offerte à tous et à toutes, et que ses impacts potentiels sont encore plus importants pour les personnes ayant des difficultés avec les éléments que cet art peut soutenir, comme la régulation sensorielle et émotionnelle.
Capsule vidéo présentant l'approche des concerts organisés par le Centre Lotus
- 1Shiloh, C. J., & LaGasse, A. B. (2014). Sensory friendly concerts: A community music therapy initiative to promote neurodiversity. International Journal of Community Music, 7(1), 113-128.
- 2Richard, J. & Parkes, E. (2023). A Sensory-Friendly Adaptive Concert Model Supported by Caregiver Perspectives. Manuscript submitted for publication.
- Erin Parkes
Université d'Ottawa
Erin Parkes est titulaire d’un baccalauréat en musique, d’une maîtrise en musicologie et d’un certificat d’études supérieures en recherche sur la pédagogie du piano de l’Université d’Ottawa. Elle détient un doctorat en éducation musicale de l’Université McGill, où elle a effectué des recherches sur la manière d’assurer aux professeur.es de musique de studio une formation efficace au travail auprès des autistiques. En 2012, elle a fondé le Lotus Centre for Special Music Education, un organisme caritatif ayant pour vocation de favoriser l’accès à l’éducation musicale aux personnes atypiques et dont elle est actuellement directrice générale. Outre ces fonctions, Erin enseigne l’éducation musicale spécialisée à l’Université d’Ottawa. Elle publie des articles et est conférencière invitée partout en Amérique du Nord et à l’étranger sur l’enseignement de la musique aux enfants ayant des besoins spéciaux et d’autres thèmes liés à l’éducation musicale.
Vous aimez cet article?
Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.
Devenir membreCommentaires
Articles suggérés
Infolettre