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Les publications phares sur l'entrepreneuriat dit « durable » ont maintenant 10 ans, mais malheureusement l'éducation à l'entrepreneuriat, notamment la formation universitaire, n'a pas encore vraiment pris le virage. Un exercice qui n’est pas simple, mais qui n’en est pas moins urgent.
Ferme Lufa
Les fermes Lufa sont un bel exemple d’entrepreneuriat au service du développement durable : l’entreprise, qui a vu le jour en 2009, est devenue une pionnière dans le monde de l'agriculture urbaine avec ses serres installées sur les toits des édifices. Source : http://voirvert.ca

L'urgence d'agir

Les sérieuses dérives éthiques de certaines entreprises, voire de certains secteurs d’activités, de même que celles du système financier qui les sous-tend, influencent la perception que l’on peut avoir des entrepreneurs. Par amalgame, tous les entrepreneurs sont alors perçus comme uniquement préoccupés par la maximalisation des profits et des dividendes versés aux actionnaires. Une sorte de mythe s’est créé : « l’entrepreneur » n’aurait que peu ou pas de considérations relatives au bien-être de la communauté et à l’environnement. L’optimisation et l’automatisation des processus de production seraient pensées sans égards aux coûts sociaux engendrés et la réussite individuelle se ferait au détriment de l’intérêt collectif.

On sait aujourd’hui que le gain d’argent n’est qu’une motivation mineure au regard des autres motivations guidant les actions des créateurs d’entreprises1 . Le choix de se lancer en affaires est avant tout motivé par un besoin d’autonomie, d’accomplissement et de réalisation. Le mythe de l’entrepreneur poussé uniquement par la quête du profit est battu en brèche dans plusieurs études. D’ailleurs, cette diversité d’intérêts des entrepreneurs ressort encore davantage dans les travaux plus récents portant sur l’entrepreneuriat social, solidaire, conscient ou encore durable. On voit également de plus en plus de travaux s’intéresser à l’émergence au sein des entreprises, ou à une présence plus forte, des dimensions éthiques et de responsabilité sociale et environnementale. Ces différents travaux ont en commun de mettre en lumière une diversité de finalités à l’entrepreneuriat, c’est-à-dire que l’entreprise cherche non seulement à générer du profit, mais s’ouvre à d’autres formes de retombées, communautaires, sociales, solidaires, culturelles, durables et autres.

Les enjeux de développement durable, voire de décroissance, constituent l’une des principales préoccupations actuelles dans le monde. Des efforts importants, tant du côté politique que scientifique, ont été déployés au niveau international depuis les 30 dernières années pour sensibiliser les dirigeants à l’importance de la situation et pour les inciter à mettre en place des actions concrètes. Par exemple, en 1999, les Nations Unies (ONU) ont annoncé le Pacte mondial des Nations Unies (UNGC). Le UNGC vise à lutter contre les dommages sociaux et environnementaux causés par la mondialisation, le réchauffement climatique et le manque d'éthique dans certaines entreprises et secteurs d'activité2. Malgré tous ces efforts, plusieurs scientifiques signalent un double échec : l’inefficacité mondiale dans la résolution des problèmes sociaux et environnementaux et leur aggravation (par exemple, la rareté croissante de l’eau potable, la croissance démographique exponentielle, l’appauvrissement de la biodiversité, l’escalade de la fréquence, et de l’ampleur des catastrophes naturelles). Ces scientifiques soulèvent donc l’impératif moral d’agir en faveur de la vie humaine et non humaine, de la planète et du climat3.

L’entrepreneuriat au service du développement durable

La société de consommation dans laquelle nous vivons est une conséquence directe d’un modèle axé sur la croissance à tout prix. Cette croissance infinie dans un monde aux ressources finies apparaît comme un des principaux moteurs de la crise actuelle. Or, si l'entrepreneuriat est un acteur dans la détérioration de l'environnement4, il est aussi de plus en plus considéré comme faisant partie de la solution. Si les imperfections5 et les défaillances6 du marché peuvent certes entraîner une détérioration de l’environnement naturel et social, elles constituent aussi des opportunités de créer de nouveaux modèles commerciaux et des innovations plus responsables. Par exemple, devant les problèmes environnementaux provoqués par le modèle économique linéaire (extraire, fabriquer, distribuer, consommer, jeter), de plus en plus d’entreprises adoptent le modèle d’économie circulaire, qui permet de produire des ressources à partir de « déchets »7.

...devant les problèmes environnementaux provoqués par le modèle économique linéaire (extraire, fabriquer, distribuer, consommer, jeter), de plus en plus d’entreprises adoptent le modèle d’économie circulaire, qui permet de produire des ressources à partir de « déchets ».

Les fermes Lufa sont un bel exemple d’entrepreneuriat au service du développement durable : l’entreprise, qui a vu le jour en 2009, est devenue une pionnière dans le monde de l'agriculture urbaine avec ses serres installées sur les toits des édifices. Les fondateurs de l’entreprise, conscients des lacunes dans leur industrie, ont fait la différence par un modèle d’affaires novateur, des principes durables et des valeurs bien définies : aucune utilisation de nouvelles terres, recirculation de l’eau, économie d’énergie, réduction des déchets, et utilisation de biocontrôles au lieu de pesticides synthétiques. « La serre profite de toute l’énergie résiduelle qui s’échappe par le toit de l’édifice, qui est habituellement gaspillée et qui se dissipe dans la ville, explique-t-il. Mais, ça marche dans les deux sens. La serre agit comme un tampon protecteur alors ça coupe les frais de chauffage et de climatisation de l’édifice en dessous8

Former des entrepreneurs responsables : plus que temps…

Les publications phares sur l'entrepreneuriat dit « durable » ont maintenant 10 ans9, mais malheureusement l'éducation à l'entrepreneuriat, notamment la formation universitaire, n'a pas encore vraiment pris le virage. Il existe un décalage entre l'urgence sociale et environnementale et son intégration « périphérique » dans la formation des futurs entrepreneurs10. On peut notamment penser que la « mentalité axée sur le profit » entrave la capacité des écoles de commerce à proposer des programmes d'éducation liés à la durabilité11. Il semble pourtant nécessaire pour les écoles de commerce, berceaux de la plupart des programmes et des cours en entrepreneuriat, d’introduire les questions éthiques que pose la création d’entreprises dans le contexte du développement durable12 où l’on doit faire usage des ressources avec beaucoup de sobriété (voire favoriser leur régénération), dans une approche de cycle de vie et en réduisant au minimum la production de déchets. Un exercice qui n’est pas simple13, mais qui n’en est pas moins urgent.

L’entrepreneuriat est un geste social et environnemental

Dans les dernières années, préoccupés par ces questions, nous avons proposé une approche axée sur l’entrepreneuriat responsable. Des textes plus détaillés sur nos réflexions peuvent être consultés14mais, essentiellement, notre conception part du principe que l’entrepreneuriat est un processus de création de valeur et que cette valeur peut être non seulement financière, mais également sociale et environnementale. L’entrepreneur adoptant cette approche cherchera à optimiser la création de valeur nouvelle tout en limitant la destruction de la valeur existante, et ce dans l’optique de pérennité de son projet et du milieu de vie dans lequel il s’inscrit. Dans cette optique, l’entrepreneur doit avant toute chose être conscient de l’impact de son mode d’entrepreneuriat sur soi, les autres et la nature (le vivant comme le non-vivant). Il doit également, après avoir pris la mesure des impacts, contrôler et réguler ses actions, en envisageant constamment les conséquences des décisions prises et des gestes posés tant sur le plan économique que social et écologique. Pour les entrepreneurs en début de parcours, qui font face à des contingences importantes, cet arbitrage n’est pas simple, mais il est essentiel pour l’avenir même de l’entreprise et de la société.

Or, si cette définition permet d’établir les bases, elle ne permet pas à elle seule d’éclairer le chemin pour devenir un entrepreneur responsable. Par quels moyens pouvons-nous former les entrepreneurs à développer des entreprises responsables, c’est-à-dire qui prennent en considération les enjeux du développement durable? Le formateur et intervenant adoptant notre vision de l’entrepreneuriat responsable aura pour objectif d’offrir aux porteurs de projet, actifs ou potentiels, des occasions et des situations d’apprentissage leur permettant de développer leurs capacités de conscientisation et d’arbitrage.

Nous sommes d’avis que les universités, d’où sont issus bon nombre des entrepreneurs, ont un rôle crucial à jouer pour soutenir et outiller une toute nouvelle génération d’entrepreneur-e-s pouvant avoir une contribution majeure dans la résolution des problèmes de notre société, et de notre époque. Il faut donc poursuivre les réflexions et les travaux qui permettront de fournir des pistes concrètes d’intervention en ce sens.

Nous sommes d’avis que les universités, d’où sont issus bon nombre des entrepreneurs, ont un rôle crucial à jouer pour soutenir et outiller une toute nouvelle génération d’entrepreneur-e-s pouvant avoir une contribution majeure dans la résolution des problèmes de notre société, et de notre époque. Il faut donc poursuivre les réflexions et les travaux qui permettront de fournir des pistes concrètes d’intervention en ce sens.

  • 1Shane, S. Locke, E.A. & Collins, C.J. (2003). Entrepreneurial Motivation, Human Ressource Management Review, Vol. 13, 257-279.
  • 2Haertle, J., Parkes, C., Murray, A., & Hayes, R. (2017). PRME: Building a global movement on responsible management education. International Journal of Management Education, 15(2b), 66-72.
  • 3Ripple, W.J., Wolf, C., Newsome, T.M., Galetti, M., Alamgir, M., Crist, E., Mahmoud, M.I., Laurance, W.F. & al. (2017). World scientists’ warning to humanity: A second notice. BioScience, 67(12), 1026-1028.
  • 4York, J.G., & Venkataraman, S. (2010). The entrepreneur–environment nexus: Uncertainty, innovation, and allocation. Journal of Business Venturing, 25(5), 449-463.
  • 5Cohen, B., & Winn, M. I. (2007). Market imperfections, opportunity and sustainable entrepreneurship. Journal of Business Venturing, 22(1), 29 49.
  • 6Dean, T.J., & McMullen, J.S. (2007). Toward a theory of sustainable entrepreneurship: Reducing environmental degradation through entrepreneurial action. Journal of Business Venturing, 22(1), 50 76.
  • 7L’entreprise LOOP est un bel exemple d’entreprise d’économie circulaire, dont la mission est de combattre le gaspillage alimentaire généré par les modèles traditionnels dans cette industrie. www.loopmission.com
  • 8 Lemieux, Nadia (2018). Les fermes Lufa : l’agriculture réinventée. Journal de Montréal, 28 janvier.
  • 9Hall, J.K., Daneke, G.A., & Lenox, M.J. (2010). Sustainable development and entrepreneurship: Past contributions and future directions. Journal of Business Venturing, 25(5), 439 448.
  • 10 Thomas, M.T. (2018). Developing a capstone course on ecological and social sustainability in business education. Business Horizons, 61(6), 949-958.
  • 11 Lourenço, F., Jones, O., & Jayawarna, D. (2013). Promoting sustainable development: The role of entrepreneurship education. International Small Business Journal, 31(8), 841-865.
  • 12 Obrecht, J.J. (2016). Sustainable entrepreneurship education: A new field for research in step with the 'effectual entrepreneur'. International Journal of Entrepreneurship and Small Business, 29(1), 83-102.
  • 13 Arce, D.G., & Gentile, M.C. (2015). Giving voice to values as a leverage point in business ethics education. Journal of Business Ethics, 131(3), 535-542.
  • 14 Pepin, M., Tremblay, M. et Audebrand, L.K. (2017). “L’entrepreneuriat responsable : cadre conceptuel et implications pour la formation ». Document de travail 2017-008, Faculté des sciences de l’administration, Université Laval. ISBN 978-2-89524-451-6.

  • Maripier Tremblay
    Université Laval

    Professeure agrégée, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur le développement de l’esprit d’entreprendre et de l’entrepreneuriat, Département de management, Faculté des sciences de l'administration.

  • Matthias Pepin

    Université Laval
    Professeur adjoint, Département de management, Faculté des sciences de l'administration.

  • Luc Audebrand

    Université Laval
    Professeur titulaire, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur l’engagement social, Département de management, Faculté des sciences de l'administration.

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