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James M. Walker, Université Indiana Bloomington

« Dans son ouvrage Gouverner les communs : l'évolution des institutions vers l’action collective (1990), Elinor Ostrom s'oppose à l’idée que gouverner la propriété commune implique nécessairement une “tragédie”. Après avoir examiné l’ensemble des données disponibles sur la gestion des biens collectifs [ndlr : common pools], elle constate que les utilisateurs, par eux-mêmes, établissent des règles et mécanismes d'application qui leur permettent de maintenir des résultats satisfaisants. A contrario, les restrictions imposées par le gouvernement sont souvent contreproductives, car les autorités centrales manquent de connaissances quant aux conditions locales et elles ont une légitimité insuffisante. En effet, Ostrom signale de nombreux cas dans lesquels l'intervention d’un gouvernement central a produit plus de chaos que d'ordre. » Résumé traduit à partir du texte du comité qui a sélectionné Elinor Ostrom pour le prix Nobel d’économie 2009

Walker
Source : James Walker

[Traduction par Fabio Balli]

Gouverner les communs

Les premières recherches en économie politique menées par Elinor Ostrom ont attiré l'attention sur la manière dont les procédures d'équité devant les tribunaux d'État (« l'ombre du droit ») pourraient faciliter la coopération entre les divers utilisateurs de ce bien commun qu’est l’eau. Elles ont servi de fondement à l'élaboration du Cadre d’analyse et développement institutionnel (IAD). Ce dernier fournit aux chercheurs un langage commun pour expliquer la réussite des actions collectives qui reposent sur des arrangements institutionnels se déployant à diverses échelles de gouvernance.

Ce cadre est devenu une référence pour les chercheurs qui étudient l'action collective dans le contexte des ressources relatives aux biens communs (common pool resources). Par la suite, Elinor Ostrom et des scientifiques du monde entier ont senti la nécessité de développer un cadre plus large, axé sur les systèmes écologiques. Le résultat de cette réflexion est désormais connu sous le nom de Cadre de référence du système socioécologique (SSE).

Dans l’article « A General Framework for Analyzing Sustainability of Social-Ecological Systems », paru en 2009 dans Science, Ostrom décrit l’historique et les objectifs de l’élaboration d’un tel cadre : réunir des chercheurs des sciences sociales et biophysiques afin d’intégrer l’étude du rôle des institutions, la modélisation biophysique et les informations locales dans la réalisation d’un modèle d’utilisation plus efficiente (moins destructrice) des systèmes de ressources naturelles.

Les travaux d’Elinor Ostrom soulignent l’importance de la « diversité institutionnelle » comme complément de la « biodiversité » et comme base de résilience aux fins d’un développement durable. Pour elle, les institutions qui utilisent les connaissances locales sont nécessaires pour résoudre les problèmes d'interactions imbriquées qui se produisent au cours du temps et lorsque les domaines biophysiques et humains se chevauchent. Un thème central de cette approche est l’idée de s’éloigner de politiques gouvernementales « unidimensionnelles ». Comme elle l'a expliqué cependant, il n'existe pas de panacée.

Un élément très fort émerge des travaux de cette économiste : il s’agit des règles générales qu’elle-même et d’autres ont jugées particulièrement pertinentes pour comprendre les conditions de réussite de politiques ou de règles en matière de gouvernement des communs. En résumé, les institutions développées par des parties prenantes devraient respecter les conditions suivantes :

  • Les frontières du groupe doivent être claires.
  • Les règles qui gouvernent les communs doivent être cohérentes avec les conditions et les besoins locaux.
  • Les personnes concernées par les règles ont le droit de participer à la modification de celles-ci.
  • Les droits des membres de réglementer leur propre communauté doivent être respectés par les autorités extérieures.
  • Des systèmes efficaces de suivi de l'utilisation des ressources doivent être mis en place.
  • Des sanctions graduelles pour le non-respect des règles doivent être établies.
  • Des mécanismes de résolution des litiges, efficients ou peu coûteux, doivent être implantés.
  • Il faut instaurer des systèmes de gouvernance ayant des niveaux imbriqués, du niveau le plus simple jusqu’à l’ensemble du système interconnecté.

La littérature abondante sur la gestion des biens collectifs développée par Elinor Ostrom et enrichie par des chercheurs du monde entier fournit des éclaircissements importants sur la manière dont la coopération peut être améliorée au sein des communs.

Les solutions consistent à trouver des règles institutionnelles appropriées qui impliquent une participation active des utilisateurs sur tous les plans, ainsi qu'une compréhension des caractéristiques physiques de la ressource et de son écosystème. Cette approche visant à trouver des solutions à la gestion des communs rompt radicalement avec la conjecture pessimiste de Garrett Hardin, exposée dans son article de 1968 The tragedy of the commons, selon laquelle les groupes sont condamnés à subir le parasitage de tiers.

En conclusion

La contribution d’Elinor Ostrom à la question des communs est largement reconnue. Les fonctions qu’elle a exercées en témoignent, entre autres la présidence de l’American Political Science Association, de la Public Choice Society et de l’institution qu’elle a contribué à créer, l’International Association for the Study of the Commons. Rappelons qu’Ostrom est la première femme à avoir remporté le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel. Pour ceux et celles qui la connaissaient bien, l’importance de cette récompense résidait dans la manière dont le prix promouvait et soutenait la recherche qu’elle-même, ses collègues et ses étudiants réalisaient sur les communs et sur d’autres arrangements dans lesquels des individus mettent en place des institutions afin de promouvoir l’action collective.

 

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Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.


  • James M. Walker
    Université Indiana Bloomington

    James M. Walker est professeur d'économie, chercheur principal et ancien codirecteur de l'atelier Ostrom, et directeur du laboratoire expérimental interdisciplinaire de l'Université d'Indiana. Ses recherches portent principalement sur l’utilisation de méthodes expérimentales pour l’étude du comportement lié à la production volontaire de biens publics et à l’utilisation de ressources relatives au bien commun (common pool resources). Parmi ses nombreuses publications, mentionnons cet ouvrage réalisé en collaboration avec  Elinor Ostrom et Roy Gardner : Rules, Games, and Common Pool Resources.

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