Un postdoctorat n’est pas un doctorat prolongé. Il est important qu’il y ait une césure entre les deux. Le premier facteur distinctif est la plus grande prise de risques que le postdoctorant peut se permettre.
Tina Gruosso : Comment les postdoctorants s’inscrivent-ils dans votre programme de recherche et en quoi leurs activités diffèrent-elles de celles du doctorat ?
Claude Perreault : Les postdoctorants et postdoctorantes ont une place bien particulière dans mon laboratoire. Un postdoctorat n’est pas un doctorat prolongé. Il est important qu’il y ait une césure entre les deux. Le premier facteur distinctif est la plus grande prise de risques que le postdoctorant peut se permettre. Je dirais qu’un projet de recherche se mesure à partir de l’équation suivante : la valeur est égale à l’intérêt scientifique multiplié par l’impact médical, divisé par le risque et le coût. Le risque ici, pour le postdoctorant, c’est celui de ne rien trouver qui soit publiable. Le niveau de risque est relié au bénéfice attendu. Les étudiants à la maîtrise et au doctorat doivent sélectionner des projets à faible risque. Par exemple, je ne leur donnerais jamais un projet de criblage à haut débit1 pour trouver un agoniste2 de quelque chose. Parce que s’ils ne trouvent rien, ils n’auront rien à publier. Un étudiant diplômé ne peut pas se le permettre. Il y a aussi de beaux projets qui apporteront potentiellement un grand bénéfice, mais qui sont à risques élevés. Le postdoctorant peut s’y aventurer pour deux raisons. La première, c’est qu’il n’a pas d’échéance à court terme. Il n’a pas à rencontrer son comité de thèse aux six mois pour faire part des avancées ou remplir d’autres exigences. Deuxièmement, le postdoctorant est capable d’affronter des problèmes plus complexes.
Tina Gruosso : Plus complexe? C’est-à-dire?
Claude Perreault : L’article The magical number seven, plus or minus two: Some limits on our capacity for processing information3 stipule que quand on réfléchit, on manipule sept chunks ou sept éléments d’information à la fois. C’est ce dont un cerveau humain est capable. La différence entre un néophyte et un expert, c’est la taille des éléments. On calcule que ça prend 10 à 15 ans avant de devenir un expert dans un domaine, c’est-à-dire de pouvoir jongler avec des gros chunks d’information. Un étudiant ou une étudiante qui passent du baccalauréat au doctorat, puis au postdoctorat, voient grossir la taille des éléments. Pas d’échéance à court terme, en combinaison avec des manipulations de « fragments » de données de taille supérieure, égale donc une possibilité de projets plus risqués.
Tina Gruosso : Voyez-vous d’autres distinctions entre le doctorat et le postdoctorat?
Claude Perreault : Une troisième différence est la dimension managériale. Peu importe ce qu’ils feront par la suite, il y a de fortes chances que les postdocs se retrouvent à un poste où ils superviseront d’autres personnes. C’est pour cela que je leur demande toujours d’encadrer des plus jeunes. Je pense que c’est un élément essentiel. Enfin, le dernier élément, c’est le degré d’autonomie. Aux étudiants de maîtrise, habituellement, je propose un projet de recherche. Au doctorat, je leur fais part de plusieurs projets possibles dans le labo. Un postdoctorant, lui, peut m’arriver avec son projet. Il a donc une contribution majeure dans le design de sa recherche.
Tina Gruosso : À quelles carrières préparez-vous vos postdoctorants?
Claude Perreault : Pour bien les préparer, il est important d’être flexible, d’offrir de la formation sur mesure selon le milieu de pratique visé : direction de recherche dans un milieu universitaire, industrie pharmaceutique, biothèques, hôpitaux, etc. Il faut leur ouvrir les portes et ne pas les considérer comme des clones de nous-mêmes. La plupart ne deviendront pas professeurs. Il faut leur donner une idée des autres possibilités, et ne pas attendre la fin du postdoctorat pour le faire. Je me rappelle d’un étudiant intéressé par l’industrie pharmaceutique. En plus des travaux au sein du laboratoire, il suivait un cours en pharmacoéconomie, si bien que par la suite, lors des entretiens d’embauche au privé, il se distinguait des candidats n’ayant qu’une formation universitaire. Je trouve important de faire en sorte que mes postdoctorants deviennent des stars dans leur domaine et qu’ils aient la possibilité de faire plus d’une chose, que de multiples parcours soient possibles.
Il faut leur ouvrir les portes et ne pas les considérer comme des clones de nous-mêmes. La plupart ne deviendront pas professeurs. Il faut leur donner une idée des autres possibilités, et ne pas attendre la fin du postdoctorat pour le faire.
Tina Gruosso : Former des postdoctorants revient pour vous à former les leaders de demain, c’est très stimulant ! Quelles sont les compétences qu’un postdoctorant doit acquérir au cours de sa formation?
Claude Perreault : Malcolm Gladwell, dans son livre The tipping point, pose la question suivante : pourquoi certaines idées font-elles beaucoup de chemin alors que d’autres meurent dès après leur naissance? Gladwell stipule que pour qu’une idée ait de l’impact, il faut qu’elle soit portée par trois types de personnes qu’il appelle respectivement des mavens ou experts, des sellers et des connectors.
Cette réflexion se transpose aisément à l’échelle des individus. J’essaie donc de convaincre mes postdocs que ce sont trois habiletés à posséder. Être un expert, c’est clair pour eux, il n’y a pas de difficultés. Être un seller, c’est maîtriser tout l’art de la communication écrite et verbale. Eh bien, certains ont du talent, d’autres moins, mais cela se pratique. J’aime beaucoup travailler cet aspect, et ce, dès la maîtrise. Être un connector, c’est être en réseau avec les bonnes personnes, celles qui ont de l’influence. Par exemple, si un postdoctorant s’intéresse à tel ou tel débouché, je m’arrange pour le mettre en contact avec les personnes pertinentes. Ce sont ces différentes habiletés – maven, seller, connector – que j’essaie de bien développer chez les postdoctorants.
Tina Gruosso : Avec toutes les portes que vous leur ouvrez, que deviennent vos postdocs?
Claude Perreault : Je dirais qu’un tiers poursuivent une carrière dans le milieu universitaire, un tiers dans le système public de la santé, et un tiers en entreprise privée. Comment expliquer ces chiffres, je ne sais pas trop. Ceux qui continuent dans le milieu universitaire, c’est qu’ils ont aimé leur expérience, ils veulent prolonger. Ont-il trouvé que j’avais l’air d’avoir pas mal de plaisir à faire ce que je fais? – et là, ils auraient eu raison (!) –, mais je ne sais pas si l’explication est aussi simple que ça. Et se diriger vers le système de santé, cela vient peut-être du fait que je suis médecin, ce qui me permet de donner une perspective clinique à la recherche et de faire part ainsi des opportunités dans ce secteur.
Par exemple, un de mes anciens postdoctorants est aujourd’hui directeur scientifique du Centre de thérapie cellulaire à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Entre les technologies de pointe et de bonnes responsabilités, il est très heureux. Je peux aussi mentionner un directeur d’un laboratoire d’immunologie, la directrice de la banque de sang de cordons à l’hôpital Sainte-Justine, ou encore, la directrice du laboratoire d’histocompatibilité à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
Ce sont des emplois avec d’importantes responsabilités dans le système public. Côté privé, c’est un système que je connais moins, parce que je n’y ai pas travaillé, mais avec le temps j’ai développé quelques relations. Je fais donc profiter mes étudiants de ce réseau. Mais peu importe où ils vont : s’ils sont des leaders dans leur domaine, je suis très content.
Tina Gruosso : Si vous aviez un conseil à donner à un postdoctorant finissant pour l’aider à trouver sa voie?
Claude Perreault : J’en donnerais trois.
Le premier conseil vient du Prix Nobel Peter Doherty. Dans le dernier chapitre de son livre Une vie en sciences, où il donne des conseils aux jeunes scientifiques, il met celui-ci en premier : « Apprenez à écrire ». En effet, peu importe où vous irez, vous serez dans une position de leadership et vous devrez déposer des plans de travail, des projets. C’est ce que je dis à mes étudiants. C’est la dernière habileté que les gens développent habituellement, l’habileté à écrire, alors qu’ils doivent absolument la posséder .
Deuxième conseil, supposons qu’un étudiant ne veut pas demeurer dans le milieu universitaire, mais qu’il ne sait pas vraiment vers quoi se tourner : il aime la science, il n’aime pas le milieu universitaire, il n’a pas d’idée précise de parcours. Dans ce cas, il y a des firmes de chasseurs de têtes qui guident vers des emplois possibles les personnes formées notamment en sciences de la vie. J’ai des étudiants qui ont contacté de telles firmes avec un succès impressionnant. Ils avaient tous un travail le mois suivant. Un travail qui leur plaisait beaucoup, et dans des milieux, souvent dans des compagnies qu’ils ne connaissaient pas. Ça les a beaucoup aidés. J’insiste là-dessus, car parfois les étudiants se disent « Je vais me mettre à la recherche d’un emploi » sans avoir de guide. C’est un exercice frustrant notamment parce qu’une grande partie des offres sont de fausses offres d’emploi4. Et c’est extrêmement demandant : ce n’est pas rien que de monter un CV et de préparer des entrevues. Si ce n’est pas sérieux, je crois que ça peut devenir extrêmement contrariant. Dans mon cas, aucun postdoc n’a attendu plus d’un mois avant de se trouver un poste à son niveau.
Le troisième conseil, c’est peut-être de ne pas attendre à la toute fin pour développer son projet professionnel et pour commencer à chercher.
Tina Gruosso : Quelles questions un doctorant finissant doit-il se poser pour savoir si un postdoctorat serait bénéfique pour lui?
Claude Perreault : Je pense qu’il y a deux questions.
La première : est-ce qu’il veut avoir une carrière dans le milieu universitaire, oui ou non? Si oui, il doit faire un postdoctorat. La chose la plus dramatique dans la vie, c’est qu’on vit juste une partie de tous les scénarios qu’on aurait pu vivre. On dit souvent « Vivre, c’est choisir, et choisir, c’est exclure ». À partir du moment où on a choisi, on a exclu beaucoup de choses.
La deuxième question serait alors : veux-tu choisir, et donc exclure plein de choses maintenant, ou si tu veux le faire plus tard, après, et acquérir entretemps des connaissances supplémentaires? Pour moi, ce sont les deux questions principales.
Peu importe où vous irez, vous serez dans une position de leadership et vous devrez déposer des plans de travail, des projets. C’est ce que je dis à mes étudiants. C’est la dernière habileté que les gens développent habituellement, l’habileté à écrire, alors qu’ils doivent absolument la posséder .
- 1Le criblage à haut débit vise à identifier, parmi des milliers de molécules, celles qui possèdent une activité intéressante, par exemple, au niveau de la cellule.
- 2Un agoniste est une molécule interagissant avec un récepteur d’une membrane cellulaire et activant ce récepteur.
- 3George A. Miller (1956),The Magical Number Seven, Plus or Minus Two: Some Limits on our Capacity for Processing Information, Harvard University. http://psychclassics.yorku.ca/Miller/
- 4De fausses offres, ce sont des offres d’emploi pour lesquelles il n’y a pas réellement de possibilités d’emploi. Exemple : l’établissement ou l’entreprise qui annonce l’offre possède déjà un candidat idéal à l’interne ou ne fait que récolter une banque de curriculum vitae par ce moyen.
- Claude Perreault, en entrevue avec Tina Gruosso
Université de Montréal
Claude Perreault est professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, et chercheur senior à l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC). Avec son équipe, il étudie les cellules qui régissent le fonctionnement du système immunitaire, les lymphocytes T, afin de comprendre et d’améliorer ce fonctionnement. Ses principaux objectifs sont de créer un vaccin contre le cancer et de prévenir le vieillissement du système immunitaire.
Après un doctorat en oncologie à l’institut Curie à Paris, Tina Gruosso rejoint l’Université McGill fin 2013 en tant que postdoctorante où elle étudie comment le micro-environnement des tumeurs du sein influence la réponse des patients au traitement. Tina est vice-présidente de l'organisme Dialogue Sciences & Politiques, au sein duquel elle défend l'élaboration de politiques fondées sur des données probantes, l'innovation, la diplomatie scientifique, la communication scientifique et la diversité.
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