L'un des principaux défis auxquels font face les peuples autochtones en Amérique du Nord est la persistance obstinée des stéréotypes générés par l’Indien imaginaire. Et là, encore une fois, la recherche-création est des plus appropriée. [...]. Ces stéréotypes sont le produit de l'imagination, et c’est par l'imagination qu’ils doivent être confrontés, défaits, rejetés et remplacés. Fondamentalement, AbTeC développe de nouvelles manières de raconter des histoires pour peupler l'imaginaire de la culture coloniale nord-américaine du 21e siècle avec des Indiens de notre propre création, au service des récits déterminés par nous.
En 2006, j'ai cofondé le réseau de recherche Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC) en collaboration avec l'artiste Skawennati. Notre objectif était simple : changer le monde. Notre méthode? Là, c'était la partie délicate.
Depuis sa création, le réseau AbTeC a choisi la recherche-création comme approche principale. D’abord parce que les œuvres d'art sont des « objets frontières » et des arguments pouvant être parfois beaucoup plus efficaces que les données et les analyses, particulièrement pour notre auditoire de jeunes autochtones, d'artistes, d'éducateurs, et de travailleurs culturels (incluant leurs communautés). Les visionnements de la série TimeTraveller ™ machinima à l'intention des aînés ont été beaucoup plus efficaces qu’un article pour susciter des échanges. Jouer à un jeu vidéo conçu par une équipe de jeunes Autochtones, lors de nos ateliers Skins, a permis d’engager immédiatement les autres jeunes autochtones. Et même au sein des cercles académiques et politiques, les œuvres créatives permettent à certains types d’arguments et de données de devenir plus visibles, plus compréhensibles. Aussi, cette dimension créative contribue à sortir ces échanges intellectuels de leur contexte académique pour les situer dans une vision culturelle plus large.
Ces travaux artistiques ancrent la recherche dans la réalité des corps autochtones. Une chose nous est apparue clairement au cours de la dernière décennie : ce sont ces corps qui produisent l'espace autochtone, et lorsqu’ils sont éliminés – soit par l'argumentation théorique, l'analyse statistique ou les processus législatifs – les besoins des communautés ont tendance à disparaître. Les œuvres d'art que nous créons et aidons à créer, qu'il soit question de machinima, de jeux vidéo, d'illustrations, d'animation, de peinture et de dessin, de perlage (beading), etc., contiennent la « main » de l'artiste qui les a créées. Quand les membres des communautés comprennent que l'artiste est un des leurs, ils désirent en savoir plus : quelle communauté, quelle nation, quelle langue? En bref, ils peuvent demander « qui est ta mère »? Ils situent alors la personne et le travail en relation avec leur propre expérience. C'est à ce moment que la recherche incorporée dans l’œuvre devient significative pour eux.
Étroitement lié à cette dynamique, il faut souligner que dans la plupart des communautés autochtones que nous fréquentons, il y a peu ou pas de séparation entre la fabrication artistique et la fabrication de la connaissance. La connaissance émane de sources différentes dont l'une des plus importantes n’est rien de moins que le processus de création, de synthèse et de présentation. Notre intuition est que tout engagement avec ces communautés qui entend saisir les connaissances existantes et en produire de nouvelles doit avoir la notion de making au cœur de sa démarche.
L'un des principaux défis auxquels font face les peuples autochtones en Amérique du Nord est la persistance obstinée des stéréotypes générés par l’Indien imaginaire. Et là, encore une fois, la recherche-création est des plus appropriée. Cet Indien imaginaire s’est construit au cours des siècles suivants la période de contact [au 16e et 17e siècle], alors que les colons et les gouvernements cherchaient à dépeindre les premiers habitants comme sujets indignes de la colonie. Il est alors décrit comme têtu et pernicieux. C’est l’image véhiculée par les colons lorsqu'ils en parlent entre eux, c’est l’image que les jurés et les juges font ressortir en court, et celle du gardien de sécurité du centre commercial quand il décide du qui a l'air suspect et du qui de l’est pas. Ces stéréotypes sont le produit de l'imagination, et c’est par l'imagination qu’ils doivent être confrontés, défaits, rejetés et remplacés. Fondamentalement, AbTeC développe de nouvelles manières de raconter des histoires pour peupler l'imaginaire de la culture coloniale nord-américaine du 21e siècle avec des Indiens de notre propre création, au service des récits déterminés par nous.
Avec notre dernier projet AbTeC, l'Initiative for Indigenous Futures (IIF), nous avons élargi la cible pour inclure un futur imaginaire. L'IIF pose la question : que seront les communautés autochtones dans sept générations? Cette question fournit un vaste territoire à travailler par des questions sur ce qui fera le présent du futur, et pourquoi. Les chercheurs, contraints par les rigueurs de leurs disciplines, ont souvent du mal à spéculer en toute liberté sur l'avenir, en particulier sur des échelles de temps aussi vastes. Pour les artistes, rêver de nouvelles réalités est un mode primaire d'engagement dans les réalités culturelles, politiques et sociales. Grâce à la recherche-création, l'IIF peut rêver d'un avenir brillant et autochtone et inviter les autres à se joindre à nous.
- Jason Lewis
Université Concordia
« Jason Edward Lewis est professeur titulaire de design et d'arts numériques. Il est un artiste des médias numériques, poète et concepteur de logiciels. Il a fondé Obx Laboratory for Experimental Media, où il dirige des projets de recherche-création utilisant des environnements virtuels pour aider les communautés autochtones à préserver, interpréter et communiquer des histoires culturelles, concevoir de nouveaux moyens de créer et lire des textes numériques.» Source : concordia.ca/finearts/design/faculty
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