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Sophie Dufour-Beauséjour, Institut national de la recherche scientifique - Eau Terre Environnement
Il m'était impossible d'assimiler toutes les connaissances générées dans mon domaine [physique], et je refusais de feindre la confiance alors que j'étais dans le brouillard. Je me sentais insécure avec le sentiment d'être une imposteure parmi mes collègues masculins qui affichaient une assurance inébranlable.

Découvrir #MagAcfas : Sophie Dufour-BeauséjourQuelle était votre perception quant aux défis personnels que représente la réalisation d'un mémoire, d'une thèse, d'un postdoctorat?

À peine entrée au baccalauréat, je me voyais déjà stagiaire postdoctorale. J'aspirais à mener une brillante carrière aux côtés des plus grands physiciens, m'imaginant trouver un filon et l'exploiter jusqu’au fond. La maîtrise et le doctorat exigeraient du temps et des efforts, mais le vrai défi, c'était l'après. Mes attentes étaient inspirées de la figure traditionnelle du chercheur, un modèle masculin omniprésent à l'école et dans la culture populaire. Infatigable, il se dévoue entièrement à une question qu'il est le seul à connaître à fond. J'étais confiante de réussir ma maîtrise, encouragée par le fait d'avoir toujours excellé dans mes cours et d'avoir décroché une très bonne bourse de recherche offerte par le gouvernement canadien. Convaincue de la validité du modèle de chercheur que j'idéalisais, j'ai voulu m'y conformer. Je n'avais jamais envisagé être à risque de tomber en dépression.

Qu'est-ce qui pèse ou a pesé sur votre bien-être?

J'ai commencé ma maîtrise dans une nouvelle ville où je ne connaissais personne, complètement épuisée par mon engagement dans le conflit étudiant de 2012, de même que par ses suites. Heureusement, ma sécurité financière était assurée par une bourse, et quelques heures de voiture suffisaient pour aller visiter mes proches. J'ai donc évité deux des situations qui menacent le plus la santé psychologique des étudiants – et que les étudiants internationaux vivent systématiquement –, soit l'isolement culturel et la précarité financière. J'ai aussi eu la chance d'être accueillie dans une belle équipe de recherche où j'ai pu apprendre dans l'entraide et la bonne humeur.

Cependant, la recherche en général et la physique en particulier sont des domaines où les femmes sont considérablement sous-représentées. Peu importe l'environnement où je me retrouvais, j'y étais souvent la seule femme. Les rouages du système de recherche moderne sont d'ailleurs optimisés pour les personnes qui se conforment au modèle du chercheur ultraperformant, celui qui me faisait rêver au départ. Chacune de mes interactions avec d'autres chercheurs était teintée de ce déséquilibre. La remise en question, la reconnaissance de mes limites, la collaboration étaient perçues comme un aveu de faiblesse. Ces habiletés que je valorisais menaçaient désormais ma crédibilité. Le département ne comptait aucune femme professeure et celles rencontrées à l'international me semblaient reproduire le modèle traditionnel masculin avec lequel je me sentais en décalage. Rien pour inspirer une jeune chercheuse comme moi à poursuivre dans le domaine.

Par ailleurs, j'échouais systématiquement à devenir le type de chercheuse que j'idéalisais. Il m'était impossible d'assimiler toutes les connaissances générées dans mon domaine, et je refusais de feindre la confiance alors que j'étais dans le brouillard. J'avais le sentiment d'être un imposteur parmi mes collègues masculins qui affichaient une assurance inébranlable. Finalement, j'ai terminé ma maîtrise sur les genoux, profondément malheureuse et déçue, avec la peur de ne jamais trouver ma place dans le système de recherche. Pourtant, mon directeur m'avait judicieusement fait remarquer, au début de ma maîtrise, que de mener une recherche ressemblait à avancer en territoire inconnu. Ça n'aura pas été suffisant pour me rassurer, et malgré les nombreuses reconnaissances que j'ai reçues pour mon travail, je suis demeurée convaincue d'être inadéquate.

Quelles solutions avez-vous adoptées?

À l'époque, ma mère m'avait dit « Il faut se battre pour sa qualité de vie ». Pour mon doctorat, j'ai voulu revenir habiter proche de mes amies dans un quartier que j'aime. J'ai choisi d'être supervisée par une femme afin de découvrir un modèle alternatif de chercheur. J'évalue mon progrès selon des critères que je définis moi-même, en faisant confiance à mon jugement et en avançant à mon rythme.

Plusieurs des mécanismes qui fragilisent la santé psychologique des étudiants-chercheurs peuvent être déconstruits. Il est essentiel de consacrer un peu de notre temps à cet aspect. Si nous modifions le système de recherche pour le rendre plus sain et plus respectueux du bien-être des chercheurs, la science continuera à s'épanouir longtemps et à nous émerveiller.


  • Sophie Dufour-Beauséjour
    Institut national de la recherche scientifique - Eau Terre Environnement

    Sophie Dufour-Beauséjour est candidate au doctorat en sciences de l'eau à l'Institut national de la recherche scientifique. Sa recherche porte sur l'imagerie radar appliquée à la glace de mer du Nunavik. Elle détient un baccalauréat et une maîtrise en physique de l'Université Laval et de l'Université de Sherbrooke. Le CRSNG lui a attribué une bourse Alexander-Graham-Bell pour sa recherche doctorale. Elle est animatrice, productrice et créatrice des magazines radiophoniques Les Simones (CKIA 88,3 FM) et Les Futurologues (CHYZ 94,3 FM).

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