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Marie Audette et Jean-Christophe Bélisle-Pipon, Université Laval et Université de Montréal

La diversité des parcours des doctorants représente un apport essentiel qui peut se traduire dans l’ensemble des secteurs d’activités, de la R et D en entreprise à la fonction publique, des milieux communautaires aux organisations d'économie sociale.

C’est avec plaisir que nous avons accepté d’agir comme rédacteurs invités de ce numéro spécial consacré à l’après-doctorat. Un dossier qui nous tient tous deux à cœur, étant respectivement professeure engagée depuis plusieurs années dans la formation aux cycles supérieurs et étudiant au doctorat. Nous avons pris le pari de livrer dans notre éditorial un message plutôt optimiste, mais non complaisant de l’avenir qui s’ouvre aux diplômés du doctorat. Notre propos se concentrera sur le Ph.D., le doctorat professionnel méritant une attention particulière et distincte.

Un paysage en transformation

Les dernières décennies ont été le témoin de changements importants dans les perspectives d’emploi des diplômés du doctorat. Nombreux sont les articles, interviews et éditoriaux qui ont dépeint de manière fort négative la situation des diplômés du doctorat. Ces sombres tableaux reposent essentiellement sur la prémisse que le seul débouché désirable du doctorat est la carrière universitaire professorale. Le constat que cette carrière n’est plus la voie toute pavée pour les détenteurs d’un Ph.D. n’est cependant pas nouveau. Il a fallu toutefois un certain temps pour que collectivement, nous passions du constat à la parole et de la parole à l’action. La formation doctorale est maintenant considérée comme une porte ouverte vers une diversité d’emplois, dans une diversité de milieux, pour peu que le milieu reconnaisse toutes les compétences développées par les diplômés1.

La formation doctorale est maintenant considérée comme une porte ouverte vers une diversité d’emplois, dans une diversité de milieux, pour peu que le milieu reconnaisse toutes les compétences développées par les diplômés.

De la réflexion à l’action

Dès 1998, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) mettait en lumière le besoin accru de former des chercheurs compétents qui seraient en outre des professionnels dont l’ouverture d’esprit leur permettrait de s’adapter aux nouveaux défis des carrières en recherche2. Il poursuivait dans la même direction en 2010 en recommandant aux universités de mettre en place des « activités destinées spécifiquement à développer des compétences professionnelles générales utiles aux carrières en recherche »3. Différentes organisations ont défini ces compétences générales professionnelles qui complètent les connaissances et habiletés propres à la discipline 4  5 .

Interpelés par la nécessité de mieux arrimer la formation des générations futures de chercheurs et leur employabilité, les Fonds de recherche du Québec (FRQ) organisaient en 2013 une journée de réflexion sur le renouveau de la formation à la recherche. Cette journée fut l’occasion de faire l’état de la situation et des initiatives développées au Québec et à travers le monde, témoignant que les différentes parties prenantes se tournaient résolument vers l’action6. Les FRQ ont également mis en place le  Comité intersectoriel étudiant (CIÉ) en 2014 qui joue un rôle-conseil auprès du Scientifique-en-chef en ce qui a trait aux questions entourant les étudiants-chercheurs et la relève en recherche.

L’Association des doyens des études supérieures au Québec (ADÉSAQ) produisait à l’été 2015 un rapport intitulé « Les compétences visées dans les formations aux cycles supérieurs » comportant un référentiel de compétences attendues des diplômés de la maitrise et du doctorat. Intégrant plusieurs référentiels afin d’en arriver à une image qui corresponde à la réalité québécoise, le tableau final identifie cinq grands domaines de compétences :

  • la production professionnelle et scientifique;
  • les connaissances et le regard critique;
  • la communication;
  • les aspects normatifs et l’intégrité;
  • et finalement, le développement professionnel et personnel.

Le référentiel sera disponible à l’automne 2015 sur le site de l’association, et il en sera fait aussi mention dans le suivi du présent dossier.

À l’échelle canadienne, l’Association canadienne pour les études supérieures (ACÉS) porte une attention particulière à la situation du doctorat, en en faisant le thème de son congrès annuel en 2014 et en poursuivant une série d’initiatives en lien avec la thématique de l’avenir du Ph.D.

Alors que le développement des savoirs et des savoir-faire liés à la discipline a traditionnellement constitué le cœur de la formation aux cycles supérieurs, le développement des compétences professionnelles et des savoir-être relevait de l’initiative du doctorant ou découlait presque accidentellement d’un parcours réussi. Les universités se sont maintenant engagées à offrir et promouvoir les formations permettant le développement de ces compétences comme en témoigne la mise en place récente de l’Association Québécoise pour l’Enseignement et le Développement Universitaires des Compétences Transversales (AQEDUCT) qui a pour mission d’accroître la compétitivité des étudiants et des stagiaires postdoctoraux dans leur cheminement de carrière.

Comment former : les défis et les opportunités

La formalisation de la formation que l’on dit complémentaire soulève la question des curriculums doctoraux existants. Ces activités doivent-elles ou non être intégrées aux programmes ou doivent-elles être réalisées en parallèle du programme? Jusqu’à présent, les universités ont choisi de développer des écoles d’été, des programmes courts concomitants et autres formules apposées au programme. Autre exemple, le programme du CRSNG FONCER ou les formations en partenariat soutenues par Mitacs ont été conçus spécifiquement pour favoriser l’entrée des diplômés sur le marché de travail dans des emplois de qualité.

En décembre 2013, l’Institut pour la vie publique des arts et des idées (IPLAI) de l’Université McGill publiait un livre blanc sur l’avenir du doctorat7 dans les sciences humaines qui venait enrichir la réflexion et proposer des initiatives pour le moins surprenantes. Les auteurs recommandaient par exemple de remplacer la thèse par un ensemble cohérent de projets réalisés pour la plupart dans le milieu, consignés dans une diversité de formes (essais, rapports d’intervention, outils numériques, etc.) à l’intention d’une pluralité d’auditoires. L’encadrement ne reposerait plus sur les seules épaules du directeur de recherche, mais il serait réalisé par une équipe comprenant le directeur, accompagné de mentors provenant du milieu. Ce faisant, un lien étroit pourrait se tisser entre l’université et ses diplômés œuvrant dans différents secteurs en les impliquant dans l’encadrement des doctorants.

Dans la foulée de la publication du livre blanc, un colloque portant sur l’avenir des sciences humaines fut organisé par l’IPLAI où étudiants, professeurs, diplômés de partout au Canada ont eu l’opportunité de discuter des nouveaux modèles proposés. Si tous ont réitéré l’importance d’assurer aux diplômés du doctorat un avenir à la hauteur de leurs aspirations et de leurs compétences, et ce dans une diversité de milieux, tous n’étaient pas prêts à faire table rase des pratiques actuelles et à sacrifier la thèse. Par ailleurs, la nécessité de s’ouvrir et la reconnaissance qu’il existe plusieurs voies vers le succès ont fait consensus. L’initiative amorcée par l’IPLAI se poursuit à travers le projet TraCe (Track, Report, Connect, Exchange) qui vise à réaliser un suivi des docteurs en sciences humaines, d’identifier les carrières qu’ils ont entreprises, de les mettre en contact les uns avec les autres ainsi qu’avec des professeurs et des étudiants dans les universités et de parrainer des échanges de connaissances et de savoir-faire. Nous ne pouvons que saluer et nous réjouir de cette initiative.

Il sera maintenant important de mesurer l’impact des formations complémentaires et des cheminements doctoraux non conventionnels comme ceux proposés par l’IPLAI sur la réussite des doctorants, leur intégration sur le marché de l’emploi et sur la qualité des emplois qu’ils occupent.

Repenser la problématique pour mieux la résoudre

La majorité des parties prenantes semblent donc sensibilisées à la problématique de la transition entre le doctorat et la vie professionnelle. Les universités développent des initiatives à ce propos, de même que différentes associations vouées aux études supérieures et les fonds subventionnaires qui mettent en place divers moyens visant à améliorer la situation. Cela étant dit, encore beaucoup de travail reste à faire considérant le contexte.

La statistique qui revient sans cesse [...] est que 80 % des diplômés ne se dénicheront pas un emploi au sein du monde académique. En usant ad nauseam cette statistique, on renforce la conception classique d’un doctorat dont la principale finalité est la carrière professorale.

La statistique qui revient sans cesse lors des discussions à propos du doctorat est que 80 % des diplômés ne se dénicheront pas un emploi au sein du monde académique. En usant ad nauseam cette statistique, on renforce la conception classique d’un doctorat dont la principale finalité est la carrière professorale. De cela découle le fait que ce qui est méritoire et valorisé doit impérativement suivre le paradigme du tout académique avec comme étalon de mesure de la valeur de la contribution en recherche, la publication scientifique. Cette vision, souvent résumée sous la formule publish or perish, est au demeurant inscrite au sein même des mécanismes d’évaluation et d’octroi du financement à la recherche et des prix au mérite, ce qui cantonne donc la majorité des doctorants dans une voie qui ne sera au final pas la leur.

En ajoutant à cela qu’un doctorant sur deux abandonnera ses études en cours de route, un constat simple peut émerger pour certains : si trop de doctorants sont formés pour renouveler le corps professoral, si la transition vers une carrière professionnelle autre est si difficile et qu’en plus tant de doctorants abandonnent leurs études, alors la solution réside à établir des quotas qui permettrait de rééquilibrer le nombre de diplômés par rapport aux besoins de main-d’œuvre professorale. Toutefois, penser ainsi, c'est de sous-estimer la juste valeur tant des acquis qu'une personne développe lors de son parcours doctoral que sa contribution au monde de la recherche en général.

Dédramatiser le thème de la transition en valorisant les doctorants

Au cours de ses études doctorales, une personne apprend à maitriser une littérature scientifique complexe et ramifiée, elle est amenée à développer de nouvelles connaissances et bien souvent à les appliquer dans de nouveaux contextes. Une fois diplômée, ces acquis demeurent et la personne contribue, si elle en a la possibilité, à cultiver une communauté scientifique riche et intersectorielle, habile au développement de la recherche et à la mise en oeuvre de solutions pour l’avenir, tant sur des sujets appliqués que « fondamentaux ».

Cela représente donc un acquis important pour l’ensemble de la population. Chacun avec son projet contribue à sa façon, c’est en ce sens que valoriser une plus grande diversité de parcours permet d’accroître la diversité et la richesse des apports des doctorants à leur communauté, car leurs contributions ne peuvent se résumer à un facteur d’impact. De cela, découle aussi la nécessité de mieux reconnaître et intégrer les parcours dits atypiques. Ces divers parcours représentent un apport essentiel qui peut se traduire dans l’ensemble des secteurs d’activités, de la R et D en entreprise à la fonction publique, des milieux communautaires aux organisations d'économie sociale. Encore faut-il que les doctorants puissent réaliser leur rêve et contribuer à la société.

Former moins de docteurs, c’est limiter la production de connaissances et, ainsi, se priver d’une source importante de richesse collective. Alors que le Canada est en milieu de peloton en termes d’investissement en recherche et en développement (1,62 %, bien loin des 4,21 et des 4,15 % d’Israël et de la Corée)8, il est d’autant plus important de valoriser leur apport et de travailler à faire en sorte que leur transition vers le monde professionnel soit optimale, car les doctorants d’aujourd’hui formeront inévitablement le pouvoir de recherche de demain. Bien avant de penser à contingenter le doctorat, il est plutôt souhaitable d'être proactif dans la valorisation des doctorants.

Bien avant de penser à contingenter le doctorat, il est plutôt souhaitable d'être proactif dans la valorisation des doctorants.

Quelques pistes de réflexion pour aller de l’avant

Des nombreuses initiatives qui ont émergé dans les dernières années en vue de faciliter la transition du doctorat à la vie professionnelle, nous en relevons plusieurs considérations importantes.

Il est d'abord souhaitable de voir émerger une cohérence entre ces initiatives qui permettent de mieux baliser ce qu'est un doctorat, ce qui est attendu des étudiants, ce vers quoi un doctorat peut mener, et il est aussi souhaitable d'être bien réaliste quant aux conditions de vie des doctorants (durée réelle des études, financement précaire, etc.). Lors de cet effort de cohérence, il est important de reconnaître que les raisons de poursuivre des études au troisième cycle sont nombreuses et souvent très personnelles, faisant ainsi en sorte qu’une approche univoque et universelle ne convient pas.

Ensuite, il est pertinent de s’attarder aux voies alternatives de suivi une fois le doctorat terminé, car à partir du moment où la thèse est acceptée, le seul lien institutionnel qui lie les universités et les jeunes docteurs demeure le stage postdoctoral pour les aspirants professeurs-chercheurs. C’est peut-être le moment de réfléchir au type de mécanismes qui pourraient être institués entre les universités et les milieux, privé, public ou communautaire, auxquels aspirent travailler les jeunes docteurs.

Également, cette perte de liens entre l’université et ses diplômés va plus loin que la question des stages. Au-delà des campagnes philanthropiques sollicitant les diplômés à donner généreusement, les universités auraient là une belle occasion de développer des moyens pour maintenir les liens avec les diplômés en valorisant, par exemple, leurs compétences mises en pratique lors de leur parcours professionnel. Les diplômés sont des vecteurs importants entre le monde de la recherche académique et professionnelle. En entretenant des ponts avec eux, cela peut être une façon de supporter le développement de compétences non traditionnelles au sein des murs des universités. Ainsi, fidéliser les diplômés contribuerait à renforcer la communauté de recherche au sens large, à l’avantage tant des mondes académique que professionnel.

Il est finalement souhaitable que les étudiants, confrontés à cette réalité au quotidien, se responsabilisent en étant à même de reconnaître l’apport de leur formation et de leur contribution à leur futur milieu professionnel et qu’ils soient ainsi davantage sensibles aux solutions qui s’offrent à eux. Habiles à décrypter le monde qui les entoure, les doctorants sont souvent maladroits quand il s'agit d'estimer leur valeur et les acquis développés lors de leur formation. Mais encore faut-il que les étudiants soient informés de leurs perspectives, qu’on leur laisse le temps (hors des contraintes d’une thèse) de s’y préparer et qu’ils soient dûment accompagnés dans leur cheminement et leur transition.

Avant même de penser à imposer des quotas, à contingenter les formations doctorales, il reste encore un vaste chantier de valorisation des diplômés, pour peu qu'on facilite leur transition, reconnaisse leurs contributions au monde de la recherche et consolide une communauté scientifique dans laquelle tous (diplômés et non diplômés, universitaires et professionnels) y trouvent leur place. Considérant que la recherche, qu’elle soit menée à l’intérieur ou hors des murs de l’université, est gratifiante sur le plan personnel et socialement utile, il est plus approprié d’en élargir les bénéfices que de les limiter.

C’est pour cela que nous souhaitons tendre la main à tous les doctorants et les diplômés : Soyez les bienvenus, chers docteurs, nous avons besoin de vous.

Considérant que la recherche, qu’elle soit menée à l’intérieur ou hors des murs de l’université, est gratifiante sur le plan personnel et socialement utile, il est plus approprié d’en élargir les bénéfices que de les limiter.

Notes et références :


  • Marie Audette et Jean-Christophe Bélisle-Pipon
    Université Laval et Université de Montréal

    Présentation des rédacteurs invités du DOSSIER : Un doctorat... et après?

    Marie Audette est détentrice d’un doctorat en biochimie de l’Université Laval. Après avoir effectué un stage postdoctoral au Ludwig Institute for Cancer Research de Lausanne (Suisse) elle a effectué un retour à l’Université Laval en 1987. Elle est actuellement professeure titulaire au département de biologie moléculaire, biochimie médicale et pathologie de la Faculté de médecine. Chercheuse-boursière du Fonds de la recherche en santé du Québec de 1987 à 2006, ses travaux de recherche sur les molécules d’adhésion cellulaire ont été principalement subventionnés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie (CRSNG). Son expertise l’a menée à siéger sur plusieurs comités de subventions et bourses au Québec, au Canada et à l’étranger. Impliquée pendant de nombreuses années dans la direction de programmes aux cycles supérieurs, elle a été nommée doyenne de la Faculté des études supérieures en 2007, poste qu’elle a occupé jusqu’en juillet 2015. Elle a été présidente l’Association des doyens d’études supérieures au Québec de 2012 à 2015 et présidente de l’Association canadienne pour les études supérieures en 2015. Elle occupe actuellement la fonction de vice-rectrice adjointe à la recherche et à la création à l’Université Laval.

    Jean Christophe Bélisle Pipon est étudiant au doctorat aux Programmes de bioéthique à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur l’interface entre la bioéthique, l’éthique des affaires et la responsabilité sociale des entreprises biopharmaceutiques. Ses articles scientifiques ont été publiés dans des revues telles que Healthcare Policy, Journal of Bioethical Inquiry, American Journal of Bioethics, Éthique et santé et HEC Forum. Il est impliqué dans l’administration de la recherche et des affaires académiques. À ce titre, il est notamment membre du Comité étudiant intersectoriel des Fonds de recherche du Québec. Il est boursier des Fonds de recherche du Québec-Santé (FRQS) et de l’Unité SOUTIEN-SRAP du Québec.

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