Quand des étudiants viennent aujourd’hui me voir et disent envisager des études doctorales, je leur demande ce qui les motive. D’aucuns ne sont pas certains. Dans ce cas, il vaut mieux prendre son temps et bien y réfléchir.
Un doctorat... par passion intellectuelle
Il m’est difficile d’imaginer une autre raison que la passion pour entreprendre un doctorat. Si l’on envisage de telles études, soit un programme de scolarité, de réflexion et d’écriture, qui s’étalera sur quatre ans, voire davantage pour certains, mieux vaut être enthousiasmé à l’idée de consacrer une bonne partie de son existence à la vie de l’esprit.
D’aucuns peuvent désirer obtenir un grade de docteur à des fins de carrière, mais il demeure encore assez inhabituel dans notre société, exception faite des professeurs universitaires, que celui-ci soit d’un si grand atout sur le marché de l’emploi. Donc, quand l’on souhaite faire des études doctorales, c’est que l’on a découvert le très grand plaisir et les avantages que procure l’émancipation par la pensée et que l’on désire poursuivre dans cette voie.
L’objectif fixé était clair : avoir le privilège de consacrer mon temps à réfléchir sur les différentes conceptions du politique qui ont traversé l’époque moderne. Il ne faut pas sous-estimer le véritable luxe que cela représente.
Quelles étaient vos attentes avant ou au début du doctorat?
En ce qui concerne mes attentes, elles portaient sur mes études, rien d’autre. J’ai eu plaisir à fréquenter les séminaires de mon directeur, Marcel Gauchet, mais aussi ceux de Pierre Manent, Jacques Derrida, Alain Touraine et Dominique Schnapper à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris. À plus d’une occasion, j’ai traversé la rue Saint-Jacques afin d’aller assister aux leçons d’autres sommités, cette fois au Collège de France. On y va comme on va au théâtre, c’est-à-dire que l’on assiste librement aux cours, il n’y a pas de travaux à rendre et l’institution ne décerne aucun diplôme. Ceux qui se présentent le font parce qu’ils le désirent. Au fil des années, j’ai eu l’occasion d’assister aux cours de Pierre Bourdieu en sociologie, Roger Chartier en histoire et Claude Hagège en linguistique. Ajoutez à cela que Paris regorge d’une offre incomparable en ce qui concerne les conférences et les colloques. J’ai été comblé bien au-delà de mes attentes. Je garde, non seulement un excellent souvenir de mes quatre années parisiennes, mais je suis toujours aussi reconnaissant du privilège qui a été le mien.
Qu’étais-je pour faire après? Je n’en étais pas certain. J’avais bien quelques idées, mais cela ne m’a jamais taraudé l’esprit. Si j’avais voulu m’assurer d’une carrière ou d’un poste, j’aurais plutôt effectué – et ce, beaucoup plus rapidement – une deuxième maîtrise ou encore un MBA dans une école de gestion. Je n’avais pas trop de soucis à cet égard. Je m’imaginais, peut-être un peu naïvement, mais également doté d’une certaine assurance, qu’avec un doctorat de l’EHESS, et récipiendaire de diverses bourses d’excellence, qu’il serait peu probable de ne pas trouver quelque chose d’intéressant par la suite.
Si j’avais voulu m’assurer d’une carrière ou d’un poste, j’aurais plutôt effectué – et ce, beaucoup plus rapidement – une deuxième maîtrise ou encore un MBA dans une école de gestion.
Quels conseils donneriez-vous à des étudiants qui envisagent un doctorat ou qui débutent?
Le bilan de mon expérience est des plus positif. Je continue fermement à croire que si quelqu’un souhaite faire un doctorat, cela doit être par passion intellectuelle, afin de poursuivre son émancipation personnelle. Autrement, il est un peu triste de penser entreprendre une telle aventure seulement en fonction d’une utilité projetée. Quand des étudiants viennent aujourd’hui me voir et disent envisager des études doctorales, je leur demande ce qui les motive. D’aucuns ne sont pas certains. Dans ce cas, il vaut mieux prendre son temps et bien y réfléchir. Les trois quarts des doctorants terminent sans le diplôme. Tout n’est peut-être pas perdu, mais il est difficile de penser qu’un constat d’échec ne traverse pas leurs esprits. Mieux vaut prendre son temps et trouver des raisons intrinsèques à soi-même qui peuvent motiver une telle entreprise.
Quels constats faites-vous aujourd’hui?
Le doctorat n’était pas nécessaire pour ce que je fais aujourd’hui. La plupart des professeurs au collégial possèdent généralement une maîtrise, très peu le diplôme de troisième cycle. Officiellement, un baccalauréat est suffisant pour être embauché, bien que cela soit beaucoup plus rare de nos jours. Si le doctorat n’était pas indispensable, c’est néanmoins grâce à ma formation que j’ai eu le plaisir, par la suite, de publier livres et articles. Il ne s’agissait pas d’une finalité pour moi, mais à la faveur de ces études, j’ai pu développer certaines habiletés qui me permettent de participer à la vie de ma cité à travers l’écrit. Pour certains, cela n’est peut-être pas grand-chose, mais, pour moi, cela me procure une certaine satisfaction et un bonheur renouvelé de posséder les outils nécessaires afin d’entreprendre de nouvelles méditations sur mon époque et ma société.
- Jean-François Lessard
Cégep André-Laurendeau et UQÀM
Jean-François Lessard est professeur de philosophie au Cégep André-Laurendeau et chargé de cours en science politique à l’Université du Québec à Montréal.
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