L’insertion professionnelle des titulaires de doctorat dans le secteur privé ne va pas de soi en France. Mais les choses changent. Des pistes sont à l’étude pour accélérer le mouvement.
[NDLR : La version originale de cet article est parue au printemps 2014 dans le n°276 du CNRS le journal, partenaire de Découvrir, sous le titre Docteurs en science cherchent entreprises]
Dans une économie de la connaissance, les docteurs devraient être rois. Las!, alors que les mots « recherche », « innovation » et « compétitivité » fleurissent à longueur de rapports, entreprises et docteurs peinent encore à s’apprivoiser. « Dans un contexte où l’innovation est privilégiée, les docteurs sont appelés à prendre une place croissante dans les entreprises », explique Jean-François Pinton, ancien directeur de l’Institut de physique du CNRS.
Les profils d’ingénieur privilégiés
« La faible insertion en entreprise en France des titulaires de doctorat est due en partie à un sous-investissement en recherche et développement (R & D) privée », pointait le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) dans une note publiée en octobre 2013. Mais « il existe bien une réticence de nombreuses entreprises à recruter un docteur, même pour des postes de recherche », remarque aussi le CGSP. « Même lorsqu’il s’agit de recrutement pour la fonction recherche, les entreprises privilégient les profils d’ingénieurs », ajoute l’auteur de l’étude. Dans les entreprises, 55 % des chercheurs ont un diplôme d’ingénieur, 16 % un master et seuls 12 % un doctorat.
Malgré ce constat, une part non négligeable des quelque 12 000 docteurs diplômés intègrent chaque année les entreprises. Si la moitié des diplômés en 2010 travaillent dans la recherche publique et académique, 20 % exercent dans la recherche privée, et 19 % dans le secteur privé hors recherche, indique le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Quant au « goût pour le privé », il existe chez les 65 000 doctorants français : plus d’un tiers envisagent de travailler en entreprise au moment de leur soutenance, selon le Céreq.
Une part non négligeable des quelque 12 000 docteurs diplômés [de France] intègrent chaque année les entreprises.
Pour autant, l’insertion dépend aussi des disciplines. Les doctorants en sciences de l’ingénieur se tournent davantage vers l’entreprise que ceux en sciences humaines et sociales. Et tous ne sont pas encore convaincus de vouloir exercer dans le privé. « En début de thèse, nos doctorants veulent devenir enseignants-chercheurs et travailler dans la recherche publique », constate Valérie Le Cann, chargée de mission au collège doctoral international de l’Université européenne de Bretagne. Le public, c’est historiquement le débouché naturel. Mais la compétition étant de plus en plus rude, les doctorants réfléchissent plus facilement à d’autres voies. D’autant que « les universités ont entrepris de mieux les préparer à leur évolution professionnelle », explique Vincent Mignotte, directeur de l’Association Bernard-Gregory (ABG), qui rapproche les docteurs et le monde économique. Une dynamique encouragée par le secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, qui déclarait en avril 2014 vouloir « développer la culture entrepreneuriale » des doctorants.
PME ou grands groupes?
« Les choses changent, les docteurs prennent conscience qu’ils peuvent avoir d’autres opportunités de carrière et être heureux ailleurs que dans la recherche académique », estime Barthélémy Durette, responsable de la R & D du cabinet Adoc Talent Management. « De plus en plus d’entreprises embauchent des docteurs, en particulier des PME, et nous diffusons de très belles offres », ajoute Vincent Mignotte. Même s’il faut distinguer les PME innovantes des PME traditionnelles où embaucher un docteur ne va pas forcément de soi.
Dans les grands groupes qui possèdent des départements de R & D, les opportunités vont bien au-delà de la seule recherche. « Chez Air Liquide, un nombre important de nos docteurs évoluent vers d’autres fonctions au cours de leur carrière, en devenant managers ou en prenant, par exemple, la responsabilité d’un centre de production. Mais ils peuvent ensuite réintégrer la recherche et développement », explique Régis Réau, directeur scientifique senior de la R & D du groupe et ancien directeur de l’Institut de chimie du CNRS.
"L’atout du chercheur, ce sont les méthodes et les compétences, techniques et humaines, qu’il a acquises, bien plus que son sujet de thèse", explique Vincent Mignotte.
« Un jeune chercheur qui a fait de la recherche fondamentale se demande légitimement ce qu’il peut apporter à une entreprise. L’atout du chercheur, ce sont les méthodes et les compétences, techniques et humaines, qu’il a acquises, bien plus que son sujet de thèse », explique Vincent Mignotte. L’ABG constate la présence croissante de fonctions transverses dans les offres d’emploi et l’émergence de métiers du conseil, de l’expertise, mais aussi de la veille technologique. « Les entreprises de conseil considèrent le doctorat comme une très bonne expérience professionnelle pour comprendre rapidement un problème, formuler des hypothèses, savoir remettre en question des pratiques », confirme Barthélémy Durette.
Une autre vision du doctorat
Au-delà de la carrière d’un docteur en entreprise, c’est aussi une autre image du doctorat qui se dessine. « Le doctorat n’est pas fait pour produire des enseignants-chercheurs, mais pour apporter des compétences multiples et pour irriguer tous les secteurs qui ont besoin de professionnels de très haut niveau », plaidait ainsi Patrick Fridenson, chargé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de présenter des mesures concrètes pour favoriser les carrières des docteurs dans l’entreprise, lors des Rencontres Universités Entreprises le 20 mars dernier. Une autre conception de la recherche.
- Marc Daniel
Journaliste économique, CNRS Le journal
Marc Daniel a travaillé comme journaliste économique pour de nombreux médias en France (Ouest-France, Dow Jones, Le Monde, 01 Net, Le Nouvel Economiste…). Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Rennes et de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, il enseigne l’histoire et la géographie en région parisienne. Il s’intéresse plus particulièrement aux questions macroéconomiques et aux enjeux politiques de la géographie et de l’histoire contemporaine.
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