Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Guy Drouin, Université d'Ottawa
En génétique, ce qui "mélange", les chromosomes comme les individus, est avantageux. Au contraire, ce qui isole ou ramène au "même", des populations insulaires aux mariages entre cousins, est désavantageux.

Le sexe, la « bonne affaire »

Comme l’écrit Santé Canada avec toute sa distance bureaucratique, le sexe est « une partie intégrante et essentielle de votre santé et de votre bien être ». Or, en plus d’être agréable […], et bon pour nos artères (!), il contribue à notre bien-être génétique et explique notre dynamique d’évolution.

Un individu ou une espèce dont la reproduction serait non sexuelle ne produirait que des copies carbones de lui-même. Donc, aucune variabilité génétique. Par contre, les individus sexués – qui ne peuvent se reproduire sans le concours d’une personne de sexe opposé – engendrent une grande variété de descendants.

En fait, comme on l’a vu dans une chronique précédente, étant donné que chaque parent possède 23 paires de chromosomes et que chacun ne donne qu’une de ses deux copies, deux personnes ont ensemble le potentiel de donner plus de 70 000 milliards d’enfants génétiquement différents [(1/2)23 x (1/2)23].Ceci explique pourquoi, à moins d’avoir des jumeaux identiques (dérivés du même œuf), tous les enfants d’une même famille sont toujours différents. Cette variabilité génétique, essentielle à la survie des espèces, assure qu’une proportion des individus possédant des mutations permettra l’adaptation à de nouvelles conditions (virus, bactéries, changements climatiques, etc.).

Un autre bienfait « génétique »  du sexe est de permettre le partage des mutations bénéfiques. Dans nos chroniques précédentes, nous avons discuté de plusieurs mutations avantageuses : une peau pâle favorisant la synthèse de la vitamine D, la protection contre l’infection par le virus du sida, ou encore, la digestion du lait par les adultes.

Le sexe permet d’accumuler les mutations utiles et de produire des individus plus adaptés. À l’inverse, ce qui empêche le croisement des lignées est délétère.

Si nous n’étions pas une espèce sexuée, ces mutations seraient restreintes aux populations dérivées d’une lignée unique d’ancêtres. Le fait d’avoir différents ancêtres et de pouvoir procréer ensemble nous permet d’avoir une descendance combinant, par exemple, les trois mutations précitées; c’est les cas des Scandinaves à la peau blanche, qui peuvent boire du lait et qui sont résistants au sida. Le sexe permet d’accumuler les mutations utiles et de produire des individus plus adaptés.

À l’inverse, ce qui empêche le croisement des lignées est délétère. Ce fut le cas des familles royales où l'on se mariait au sein du clan pour conserver richesses et pouvoir. Par exemple, une étude génétique sur les momies des membres de la famille de Toutankhamon a démontré qu’ils souffraient tous de diverses maladies génétiques. Le jeune pharaon, par exemple, était atteint de la maladie de Kohler, qui détruit les cellules osseuses; elle constitue probablement une des causes de sa mort à 19 ans1. Cette maladie affecte moins d’une personne sur 200 000 aux États-Unis. Elle est donc très rare. Or l’étude a démontré que les parents de Toutankhamon étaient frère et sœur. Ils étaient donc tous deux porteurs du gène défectueux responsable de cette maladie. Leur fils avait ainsi 25 % de risque  (50 % x 50 %) d’être affecté par cette maladie. Cette probabilité était  50 000 fois plus élevée que s’il avait eu des parents provenant de familles différentes (qui eux n’auraient eu que 0,22 % de risque d’être porteurs de ce gène défectueux). Bonne raison pour interdire les mariages incestueux!

Le problème avec la consanguinité, c'est que non seulement elle ne permet pas d’accumuler de nouvelles mutations bénéfiques, mais elle mène aussi à l’expression de mutations désavantageuses. Ceci peut être illustré avec le dessin ci-dessous. Cette généalogie montre l’héritabilité d’une maladie récessive causée par une copie défectueuse du gène A. Ici, les « A » représentent les copies fonctionnelles, et les « a » les copies défectueuses. Un individu Aa n’est pas malade parce qu’il possède au moins une copie fonctionnelle. Il n’y a donc pas de problème tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de mariages consanguins.  

Si l’ancêtre commun possède une copie non fonctionnelle, quelque 25 %, en moyenne, des mariages entre cousins porteurs aboutiront à la naissance d'enfants ayant deux copies défectueuses. De plus, si un des grands-parents possédait une copie non fonctionnelle, la probabilité qu’il la transmette aux enfants nés d’unions entre cousins et cousines est de (½ x ½ x ½) x (½ x ½ x ½), soit 1,6 %. Étant donné que nous sommes tous porteurs en moyenne de 80 gènes défectueux, les mariages entre cousins aboutiront à la naissance d'enfants ayant en moyenne un nouveau gène défectueux2. De plus, dans ces familles, les gènes défectueux s’accumuleront au cours des générations.

Une royauté de proximité

Les unions consanguines sont monnaie courante dans l’histoire européenne. Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, cas célèbre, étaient doubles cousins (du côté de leur père et de celui de leur mère!). Seuls 50 % (3 de 6) des enfants ont survécu plus d’un an alors que les 11 « bâtards » du roi ont tous fêté leur premier anniversaire3

L’exemple le plus extrême a résulté en l’extinction de la lignée, tout simplement. Il s’agit de la famille des Habsbourg dans laquelle, entre 1450 et 1750, près de la moitié des mariages avaient un coefficient de parenté plus élevé que celui d’unions entre cousins. Ceci a mené à leur extinction. Charles II d’Espagne, surnommé l’Ensorcelé tellement il était affecté par divers troubles physiques et mentaux, en plus d’être stérile, a été le dernier des Habsbourg à régner sur l’Espagne4. Il avait cumulé un grand nombre de gènes aux deux copies défectueuses. Il avait 25 % de gènes identiques (homozygotes), ce qui est  20 000 fois plus élevé que le taux moyen de 0,02 %. Étant donné qu’un individu en bonne santé est hétérozygote (possédant une copie fonctionnelle et une copie non fonctionnelle) pour 80 mutations menant à une perte de fonction, Charles II d’Espagne était donc probablement homozygote (possédant deux copies non fonctionnelles) pour 20 de ses 80 gènes défectueux (25 % x 80 = 20)2.

Les familles royales européennes ont appris de leurs erreurs. La reine Élizabeth et le prince Philip sont parmi les derniers représentants de familles royales à s’être mariés à l’intérieur de leur famille (voir leur généalogie). Leurs enfants ont tous marié des gens n’ayant aucune parenté avec eux.

Et pendant ce temps-là au Lac-Saint-Jean…

Si, chez l’aristocratie, la consanguinité est un choix, les populations isolées sont elles aux prises avec un bassin génétique limité. Celles du Lac-Saint-Jean et de la Finlande sont deux exemples de populations issues d’un petit nombre d’individus fondateurs. La région du Lac-Saint-Jean a été colonisée par des colons français qui furent par la suite isolés lorsque les Britanniques conquirent le Canada en 1760. La Finlande fut colonisée par deux vagues migratoires il y a 4 000 et 2 000 ans. Dans les deux cas, ceci a mené à l’augmentation de la fréquence de certaines maladies génétiques : 9 maladies sont plus fréquentes que la moyenne mondiale chez la population du Lac-Saint-Jean, et ce nombre monte à 36 chez les Finlandais.5, 6

Chez les populations arabes ou musulmanes, jusqu'à plus de 40% des mariages se font entre cousins.

S’il est facile de comprendre ces phénomènes géohistoriques, il est plus difficile de saisir pourquoi certaines cultures pratiquent toujours les mariages consanguins. Ceci est particulièrement vrai chez les populations arabes ou musulmanes, où jusqu’à plus de 40 % des mariages se font entre cousins. Les taux de consanguinité peuvent atteindre 80 %7, et les effets négatifs de cette consanguinité élevée sont bien connus8. Malgré cela, il y a eu une hausse du taux de consanguinité dans plusieurs pays. Par exemple, au Qatar, il a augmenté de 41,8 % à 54,5 % dans la dernière génération. De plus, la fréquence de consanguinité chez les Pakistanais vivant au Royaume-Uni est plus élevée qu’au Pakistan9. Étonnamment, plutôt que de prôner une solution rationnelle, soit interdire les mariages consanguins, plusieurs auteurs recommandent plutôt d’augmenter les efforts pour identifier les porteurs de maladies récessives89.

Marier légalement sa cousine au Canada

J’ai découvert, à ma grande surprise, qu’ici même, nos lois permettent le mariage entre cousins. Il est donc difficile de blâmer ces mariés! De fait, en 1990, le gouvernement fédéral canadien a décidé d’occuper son champ de compétence relatif aux conditions de validité du mariage. Il a rendu obsolètes les dispositions pertinentes du Code civil québécois, qui, elles, étaient basées sur le droit canon de l`Église catholique et qui ne permettaient pas les mariages entre cousins (sauf avec une dispensation émanant d’un évêque). Ainsi, selon le droit britannique, le mariage entre cousins est maintenant permis.

Personnellement, je pense que la rationalité devrait primer. Nos gouvernements ont légiféré pour réduire l’impact de la consommation de cigarettes et de rayons UV des salons de bronzage; ils devraient aussi légiférer pour protéger le bagage génétique de notre espèce.

Autres articles de cette série Parce qu'on évolue

Références : 

  • 1. HAWASS et coll. (2010). « Ancestry and Pathology in King Tutankhamun’s Family », JAMA 303: 638-646. 
  • 2. MACARTHUR et coll. (2012). «A systematic survey of loss-of-function variants in the human protein coding genes», Science 335: 823-828.
  • 3. DELACOUR et coll. (2012). « Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche : un couple à travers le prisme de la génétique », Immuno-analyse & Biologie spécialisée 27: 272–275.
  • 4. ALVAREZ et coll. (2009). The role of inbreeding in the extinction of a European royal dynasty, PlosOne 4:e5174 
  • 5. AUSTERLITZ et HEYER (1998). « Social transmission of reproductive behavior increases frequency of inherited disorders in a young-expanding population », Proc Natl Acad Sci USA 95: 15140-15144. 
  • 6. NORIO (2003). « The Finnish Disease Heritage III: the individual diseases », Hum Genet 112: 470-526.
  • 7. TADMOURI et coll. (2009). « Consanguinity and reproductive health among Arabs »,  Reprod Health 6:17. 
  • 8. AL-GAZALI  et coll. (2006). « Genetic disorders in the Arab world », BMJ 333: 831.
  • 9. MODELL et DARR (2002). « Genetic counselling and customary consanguineous marriage », Nature Review Genetics 3: 225-229.

  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires