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Guy Drouin, Université d'Ottawa
Physiquement, nous sommes très différents des chimpanzés, nos pourtant très proches cousins. On croirait donc qu'il est relativement facile de trouver les gènes mutants responsables de ces différences d’allure. Mais ce n’est pas le cas. Par contre, après maints efforts, un de ces gènes a été identifié : le fameux FOXP2, le gène du langage!

Mutations : avec et sans effets

Nos gènes et ceux des chimpanzés sont identiques à 98,4 %. Cependant, un écart de 1,6 %  sur un génome de 3 milliards de nucléotides représente tout de même une différence de 48 millions de nucléotides. Parmi ces 48 millions, seule une infime fraction joue un rôle significatif dans nos dissemblances. Et vous pensiez que trouver une aiguille dans une botte de foin était difficile!

Pour détecter les mutations ayant un impact évolutif, on utilise souvent la « méthode des proportions de mutations ayant un impact fonctionnel ». Elle consiste à chercher les régions ayant un excès de mutations non synonymes par rapport aux mutations synonymes.

Comme vous pouvez voir au tableau 1, la plupart des acides aminés sont codés par plus d’un codon (groupe de trois nucléotides codant pour un acide aminé). Certaines mutations n’auront pas d’impact sur la protéine codée par ces groupes de nucléotides formant les gènes. Ce sont les mutations « synonymes ». Par exemple, une mutation qui change le codon GAA en codon GAG n’a aucun impact fonctionnel parce que le codon code toujours pour l’acide aminé nommé acide glutamique. Par contre, une mutation qui change GAA à GGA change l’acide aminé d’acide glutamique en une glycine. On parle alors d’une mutation « non synonyme ». Étant donné que ces deux acides aminés ont des propriétés différentes (l’acide glutamique est un acide aminé chargé positivement tandis que la glycine est un acide aminé chargé négativement), une telle mutation aurait probablement un impact fonctionnel (soit délétère ou avantageux). Par contre, un changement d’acide aspartique à acide glutamique est souvent neutre parce qu’ils sont tous deux chargés négativement.

Sélection naturelle et mutations

Parlons maintenant de l’effet de la sélection naturelle sur les mutations. Celles-ci se produisent au hasard. En fait, la grande majorité ont lieu lorsque les doubles hélices d’ADN sont copiées. Les enzymes qui copient l’ADN sont relativement efficaces et précises, mais même les meilleures commettent une erreur par 100 millions de nucléotides (ex. : mettre un nucléotide G à la place d’un A). Sur 3 milliards de nucléotides, 30 mutations sont produites et accumulées à chaque copie de notre génome.

Étant donné que nos enzymes commettent ces erreurs au hasard, les mutations synonymes et non synonymes sont aussi fréquentes les unes que les autres. Par contre, ces deux types de mutations ne sont pas transmis à nos descendants à la même fréquence. En effet, la majorité du temps, toutes les mutations synonymes sont transmises à la prochaine génération parce qu’elles n’ont aucun impact fonctionnel. Ce sont des mutations neutres.

Par contre, comme illustré ci-dessous, la sélection naturelle augmente la fréquence des mutations non synonymes utiles, c’est la sélection positive; et elle élimine la grande majorité des mutations non synonymes délétères, c’est la sélection négative.

Mutation délétère dans le gène FOXP2

En 2001, Cecilia S.L. Lai et ses collègues de l’Université d’Oxford ont identifié le gène responsable des déficiences de langage à partir d’observations réalisées  chez une famille londonienne, la famille KE.

Comme vous pouvez voir dans le pédigrée ci-dessous, ces déficiences (cette maladie) sont dues à une mutation dominante (présente à toutes les générations) et se trouve sur un chromosome autosomique (affectant les hommes et les femmes). Lai et ses collègues (2001) ont identifié le gène responsable, le FOXP2, situé sur le chromosome 7. Les copies normales de ce gène produisent une protéine dont le 553e acide aminé est une arginine, tandis que les copies mutantes ont une histidine à cette position (mutation de G à A qui a changé un codon CGT à un codon CAT).

Dans le pédigrée ci-dessus, les personnes affectées par cette maladie ont une copie normale et une mutante. C’est pourquoi elles ont des enfants affectés et des enfants normaux. La protéine encodée par le gène FOXP2 est un facteur de transcription et joue un rôle majeur en influençant l’expression de près de 1000 gènes lors du développement du cerveau. La mutation conduit donc à un développement anormal de certaines parties du cerveau et provoque des problèmes de compréhension du langage et d'articulation.

Les personnes affectées de la famille KE, par exemple, ont beaucoup de difficulté à comprendre les autres et à se faire comprendre.

Ce facteur de transcription influence aussi le développement d’autres organes, comme les poumons. Ce n’est donc pas strictement un « gène du langage », même s’il est souvent appelé ainsi pour faire plus sensationnel!

Mutations utiles dans le gène FOXP2

En 2002, Wolfgang Enard, de l’Université de Munich, et ses collègues ont étudié l’évolution du gène FOXP2. Comme illustré dans la figure ci-dessous, leurs résultats démontrent que l’évolution du gène a été très différente chez les humains. Alors qu’il n’y a eu aucune mutation non synonyme chez les autres primates, et une seule chez les souris durant leurs 70 millions d’années d’évolution, il y en a eu deux en seulement 5 millions d’années  (et aucune mutation synonyme) chez les humains – un excès de mutations non synonymes par rapport aux mutations synonymes. Ce fait suggère une sélection positive du gène FOXP2 humain. Par contraste, il n’y a pas eu de sélection positive de ce gène chez la souris, parce qu’il n’y a eu qu’un changement non synonyme pour 131 changements synonymes et que l’unique changement d’acide aminé est d’un acide aspartique à un acide glutamique, deux acides aminés chargés négativement. Le gène de souris a donc évolué sous l’effet d'une sélection négative où tous les changements fonctionnels (non synonymes) ont été éliminés.

Le haut taux d’évolution des nucléotides non synonymes du gène FOXP2 des humains suggère ainsi que ces deux changements d’acide aminé (de thréonine à asparagine à la position 303 et d'asparagine à sérine à la position 325) ont été sujets à de la sélection positive. Étant donné que ce gène est impliqué dans le langage, ces deux changements auraient permis l’évolution du langage chez les humains, un avantage indéniable. En d’autres mots, les personnes ayant eu ces mutations ont mieux survécu et ont laissé plus de descendants que leurs congénères n'ayant pas ces mutations. Comme les Neandertal ont les mêmes mutations, elles se seraient produites avant la divergence de nos deux espèces.

Testé sur des « souris éprouvettes »

Ce qui est particulièrement intéressant avec cet exemple de sélection positive est que cette suggestion a été testée expérimentalement. En effet, à l’aide de cellules souches, des chercheurs ont créé des souris transgéniques ayant les deux mutations humaines (Ednar et coll. 2009). Ces expériences ont démontré que ces mutations ont un effet marqué sur le développement des souris. En effet, elles affectent les vocalisations, les tendances exploratoires et les niveaux de dopamine dans leur cerveau. Comme quoi simplement analyser des séquences d’ADN peut mener à des découvertes intéressantes et à des hypothèses testables!

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Références :

  • 1)    LAI et coll. (2001) « A forkhead-domain gene is mutated in a severe speech and language disorder », Nature, 413: 519-523.
  • 2)    ENARD et coll. (2002) « Molecular evolution of FOXP2, a gene involved in speech and language », Nature, 418: 869-872.
  • 3)    ENARD et coll. (2009). « A Humanized Version of Foxp2 Affects Cortico-Basal Ganglia Circuits in Mice », Cell, 137: 961-971.

  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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