Nos poumons ont évolué à partir du système digestif… ce qui explique que l’on s’étouffe parfois avec de la nourriture. Le bassin de la femme sert très bien sa démarche de bipède, mais pour enfanter des rejetons matures, ce n’est pas le meilleur modèle. Quant aux testicules des mâles, ils ont migré hors du corps en prenant un chemin beaucoup plus long que nécessaire. Bref, pour le design intelligent, on repassera…
Respirer et se nourrir par le même conduit
Les ancêtres des premiers animaux à quatre pattes (tétrapodes) avaient des nageoires. Ces poissons vivaient dans des marécages chauds et pauvres en oxygène. Les stratégies d’adaptation permettant de respirer l’oxygène de l’air ont donc été favorisées. Certains emmagasinaient cet air dans leur intestin pour le faire passer ensuite dans leur sang. D’autres ont plutôt développé une poche interne à partir de l’œsophage. Dans notre lignée évolutive, cette cavité a évolué pour devenir nos poumons.
Les poumons sont donc une excroissance (invagination) du système digestif. La faiblesse de cette adaptation est que notre nourriture, nos liquides et notre air entrent par le même conduit.
Personne n’aime s’étouffer, et il serait préférable d’avoir des conduits différents. Par contre, l’évolution n’est pas un ingénieur ayant le loisir de tout concevoir à partir de zéro. Elle doit procéder en modifiant ce qui existe tout en s’assurant que les changements apportés ne sont pas délétères. Essayez donc de modifier les conduits d’essence, d’eau et d’air d’une auto tout en faisant en sorte qu’elle continue de rouler, et voyons si vous pourriez faire mieux!
Le bassin de la femelle
Le bassin des femmes est un exemple d’une structure qui s’est modifiée de façon significative au cours de l’évolution.
Lorsque nos ancêtres sont passés de la marche à quatre pattes à la marche verticale sur deux jambes, nos mains ont été libérées de leur fonction locomotrice. Pour ce faire, le bassin étroit a été favorisé parce qu’il est nettement avantageux pour un déplacement bipède. Par contre, un bassin plus petit implique un plus petit pelvis… et un plus que petit problème pour ceux qui cherchent à naître. De plus, le fait que les humains ont un gros cerveau par rapport à leur taille corporelle vient d’autant compliquer cette arrivée.
Il y a donc eu un deuxième compromis évolutif : faire naître les enfants plus tôt afin qu’ils puissent passer par un pelvis étroit. Notez que le bassin des hommes, qui ne sert pas à donner naissance, est plus étroit que celui des femmes. Ces compromis expliquent pourquoi les femmes souffrent tellement en donnant naissance et que les petits humains sont si peu développés à leur entrée dans le monde. Je suis convaincu que plusieurs femmes envient la facilité avec laquelle la majorité des autres mammifères donnent naissance et le fait que leurs petits peuvent marcher quelques heures ou jours après leur venue au monde!
Les testicules du mâle
Mais ne soyons pas sexistes, parlons aussi des imperfections de l’appareil reproductif mâle!
Les premiers mammifères avaient, comme la majorité des autres vertébrés, des testicules internes. Cependant, ceux d’Homo Sapiens, comme ceux de la majorité des autres vertébrés récents (les rhinocéros et les baleines font exception), sont externes.
Ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt le chemin de sortie. En fait, lors de leur migration hors du corps, les testicules ont pris un grand détour. Comme l’illustre le dessin ci-dessous, plutôt que de descendre en avant de l’urètre, ils sont descendus derrière celle-ci. Les canaux séminaux (vas deferens) sont donc beaucoup plus longs que nécessaire. Ils mesurent près de 45 cm!
D’autres « conduits » sont aussi anormalement longs chez les hommes et les femmes. C’est le cas des nerfs laryngés, qui connectent notre cerveau à notre larynx, où se trouvent nos cordes vocales. Ces deux organes sont à environ 10 cm l’un de l’autre. Le nerf laryngé supérieur mesure environ 10 cm et il connecte notre cerveau et la partie supérieure de notre larynx par la voie la plus courte. Par contre, le nerf laryngé inférieur contourne l’aorte. Il part donc du cerveau, descend jusqu’au cœur et remonte au larynx (dans notre gorge), pour un trajet d’environ 60 cm. Chez la girafe, ce nerf mesure 5 m!
Des modifications qui se cumulent sur des millions d’années
Vous devez porter des « broches » parce que vos dents sont trop nombreuses ou trop grosses pour leur mâchoire? La responsable est l’évolution, c'est une conséquence de la réduction de la taille de nos mâchoires.
Nous avons aussi ce qu’on nomme des « organes vestigiaux ». Ce sont des organes utiles chez nos ancêtres, devenus inutiles depuis. Pensons au coccyx, un vestige du temps où nous avions une queue, aux muscles horripilateurs à la base de nos poils, un mécanisme de production et de conservation de la chaleur chez nos ancêtres plus poilus, et enfin, au muscle à la base de nos oreilles, servant à mieux détecter les sons, mais devenu depuis un peu désuet étant donné l’importance qu’a prise la vision.
Comme quoi, étudier nos origines évolutives aide à comprendre les forces, les faiblesses, les hasards et les compromis qui aboutissent tout de même à ce formidable résultat qu’est le corps humain…
Autres articles de cette série Parce qu'on évolue
- Bienfaits du sexe, méfaits du cousinage
- Les baleines, ces vaches qui ont pris la mer
- Notre corps « patenté »
- Domestiquer, c’est sélectionner
- Mutations... on n'a encore rien vu!
- Nos yeux « broche à foin »
- Notre corps « patenté »
- Évoluer en compagnie des bêtes et des plantes
- FOXP2, le gène du langage
- Le diabète : une adaptation qui a mal tourné?
- Poux ou virus : la datation par les gènes
- Haplotypes ou comment on reconnaît nos mutations utiles
- Vivre sans le gène de la vitamine C
- À l'heure de l'horloge moléculaire
- Vous êtes génétiquement unique
- Les mutants « buveurs » de lait
- Évolution en beauté
- Nu au soleil
- Guy Drouin
Université d'Ottawa
Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.
Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.
Vous aimez cet article?
Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.
Devenir membreCommentaires
Articles suggérés
-
Un nouveau regard sur la guerre de Sept Ans : les travaux de Jacinthe De Montigny -
Entre droit occidental et droit autochtone : l’étude de la représentation politique de Fannie Duverger -
Sondage - La responsabilité sociale de la communauté de la recherche : la perception des chercheuses et des chercheurs
Infolettre