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L’importance de l’entrepreneuriat pour le développement des sociétés est généralement reconnue. Il serait une source importante de création d’emplois, d’introduction de nouveaux biens et services, bref d’innovations, et de contributions aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques. Parmi les nombreuses initiatives entrepreneuriales, celles qui impliquent de nouvelles technologies et des résultats de la recherche scientifique réalisée dans les universités sont très souvent celles dont les retombées ont le plus d’impact pour la société. Ainsi, stimuler l’idée « d’entreprendre » au sein de l’université pourrait être assez porteur, autant parmi la population étudiante qu’au sein du corps professoral. L’entrepreneuriat permet par exemple d’offrir aux étudiantes et étudiants aux études supérieures une autre trajectoire de carrière hors de l’institution.

Catherine Beaudry et Fabiano Armellini
Catherine Beaudry et Fabiano Armellini. Source : les auteurs

Paradoxe canadien de l’innovation

Avant d’aborder la question de l’entrepreneuriat technologique et universitaire en de plus amples détails, situons d’abord ce dernier dans un contexte plus large, soit celui du paradoxe québécois/canadien de l’innovation où, malgré une force indéniable en sciences et en technologie, l’impact en termes d’innovation tarde toujours à se matérialiser. Selon le rapport du Comité d’experts du Conseil des académies canadiennes (CAC) sur l’état actuel de la science et de la technologie et de la recherche et développement (RD) industriels au Canada1 , le Québec arrive 6e au pays en termes de nombre de publications par 1 000 habitants (derrière la moyenne canadienne) et connaît la plus faible croissance en termes de nombre de brevets2 . De même, bien que sa mesure d’intensité de la RD le classe en tête des provinces canadiennes, il arrive loin derrière les pays de l’OCDE, ce qui met en péril sa capacité d’innovation. À l’instar du Québec, le Canada prospère en termes de science et technologie (ST), mais son classement en matière de RD et d’innovation diminue3 .

Selon les auteurs du Global Innovation Index (GII)4, le Canada arrive 10e pour la qualité de ses innovations parmi les pays à revenu élevé, ce qui au final le classe 17e en termes de GII. Ce classement rend compte de la performance au niveau des entrants de l’innovation où le pays se classe 9e, mais le Canada est sérieusement plombé par sa piètre performance au niveau des extrants de l’innovation où il arrive au 22e rang. En outre, le Forum économique mondial classe le pays au 14e rang de son Global Competitiveness Index 4.05, en baisse de deux positions depuis l’an dernier. Cette perception pessimiste de la part des décideurs vient, entre autres, d’une mauvaise performance au niveau de la mobilité de la main-d’œuvre. À cela, on doit ajouter une performance assez moyenne au niveau de l’adoption des technologies de l’information et des télécommunications (TIC – 35e), et de la capacité d’innovation (16e).

Pour ces raisons, les pressions politiques sur les universités afin qu’elles stimulent et contribuent davantage à l’entrepreneuriat sont de plus en plus fortes. Parmi toutes les formes de liens avec l'industrie, le démarrage d'une entreprise basée sur les résultats de la recherche scientifique est fortement encouragé, en particulier lorsque le transfert de technologie nécessite un niveau d'engagement élevé de la part des universitaires. Jusqu’à présent, la recherche dans le domaine a fait peu de cas de l’entrepreneuriat étudiant. Or de plus en plus de jeunes pousses sont créées par des étudiants – en particulier par des doctorants –, car les établissements universitaires les y incitent en offrant des cours et des concours d'entrepreneuriat, des prix de l'innovation, de même que des installations telles des incubateurs et des accélérateurs. Dans certains domaines, le peu de postes universitaires fait de l’entrepreneuriat une option viable, voire très attrayante, pour ces détenteurs de doctorat qui peuvent ainsi exploiter les connaissances et les compétences acquises pendant leurs études.

Dans certains domaines, le peu de postes universitaires fait de l’entrepreneuriat une option viable, voire très attrayante, pour ces détenteurs de doctorat qui peuvent ainsi exploiter les connaissances et les compétences acquises pendant leurs études.

La recherche s’est concentrée sur deux aspects particuliers de l’entrepreneuriat universitaire : l’environnement institutionnel et les traits de caractère des entrepreneurs. Or, ce qui pousse les individus détenteurs de ces traits à passer de l’intention à l’action est encore à définir clairement. L’environnement, tant universitaire que socio-économique, pourrait jouer pour beaucoup dans cette décision d’entreprendre. Étudier au sein d’un laboratoire ayant de forts liens avec l’industrie peut être un facteur déclencheur. Un contexte socio-économique difficile, une pénurie de postes industriels ou universitaires peuvent aussi constituer un fort incitatif à se lancer en affaires.

L’entrepreneuriat est la clé

Étant avant-gardiste à plusieurs égards, il est naturel que le milieu universitaire produise des pistes et des solutions qui visent à répondre aux besoins d’aujourd’hui et aux défis de demain, tel que : le travail à l’ère de l’économie numérique; la santé et le mieux-être à l’échelle mondiale; la vie dans des environnements et des conditions difficiles; l’équilibre entre les risques et les avantages dans la nouvelle société de la surveillance; ou encore l’évolution de l’âge biologique; la dégradation généralisée des milieux naturels6; et bien sûr les bouleversements climatiques en cours.

En outre, les universités sont un terrain fertile pour l’entrepreneuriat technologique. D’une part, parce que ces institutions sont au cœur du développement de la science et de la technoscience, et d’autre part, grâce à l’environnement universitaire qui stimule la créativité des gens et les incite à sortir des sentiers battus en explorant des idées nouvelles, voire visionnaires, et en proposant des solutions novatrices.

Un rapport7 de l’Académie canadienne du génie de 1998 montre que l’importance de l’entrepreneuriat est connue depuis longtemps, mais que le changement ne se fait pas du jour au lendemain. Il y est par ailleurs mentionné que « l’entrepreneur technologique doit allier ses connaissances techniques avec d’autres qualités et compétences qui sont nécessaires au succès. » Cela revient à dire que la vision « techno-centrique » de l’éducation universitaire dans le domaine du génie, par exemple, basée sur la spécialisation du savoir doit céder la place à une formation qui, sans mépriser l’importance incontournable des connaissances techniques spécialisées, propose une vision plus vaste et inclusive aux professionnels de demain.

...la vision « techno-centrique » de l’éducation universitaire dans le domaine du génie, par exemple, basée sur la spécialisation du savoir doit céder la place à une formation qui, sans mépriser l’importance incontournable des connaissances techniques spécialisées, propose une vision plus vaste et inclusive aux professionnels de demain.

Dans ce dossier Entreprendre

Le présent dossier propose huit contributions comme autant de points de vue ou de parcours quant au phénomène entrepreneurial au sein des universités québécoises. Et voici en quelques traits, les différents textes : 

Maripier Tremblay, Matthias Pepin et Luc Audebrand abordent la question de l’entrepreneuriat responsable. Elle y souligne « que les universités, d’où sont issus bon nombre des entrepreneurs, ont un rôle crucial à jouer pour soutenir et outiller une toute nouvelle génération d’entreprises pouvant avoir une contribution majeure dans la résolution des problèmes de notre société et de notre époque ». 

Christina Constantinidis s’intéresse depuis de nombreuses années à la question du genre et de l'entrepreneuriat, un champ se trouvant actuellement à une croisée des chemins. « Il y a besoin de chercheurs et de chercheuses qui se penchent sur les 'systèmes de genre' en entrepreneuriat, et sur la manière dont ceux-ci dessinent les contours des parcours entrepreneuriaux des femmes et des hommes, dans différents contextes. Cela implique de positionner sa recherche dans une réflexion plus large sur le genre et la société ».

Étienne Saint-Jean mentionne pour sa part qu’il « ne faut pas perdre de vue que les scientifiques qui deviennent entrepreneurs et qui se consacrent à l’entrepreneuriat ne sont pas légion! » Aussi que les universités se tournent de plus en plus vers les étudiant-e-s et diplômé-e-s récent-e-s. Plusieurs universités ont ainsi « mis sur pied des centres d’entrepreneuriat universitaires, des incubateurs et des accélérateurs, orientés surtout vers l’entrepreneuriat technologique étudiant, bien que pas exclusivement. »

Sophie Veilleux fait ressortir « qu’un solide écosystème d’entrepreneuriat en santé repose sur une science publique solide, un système de brevets établi qui influence le modèle d’affaires et des collaborations régulières entre les acteurs. »

Pour Arman Aksoy, le « Québec avec son nombre important d’universités et de chercheurs(es) possède un très haut potentiel de développement des nouvelles connaissances et de leur déploiement vers la société. Cependant, il semble manquer d’une stratégie efficace pour aider les universités à capturer les revenus générés par la recherche ».

Finalement, cinq chercheuses et chercheurs font part du parcours les ayant menés des travaux universitaires à l’entrepreneuriat. Geneviève Arsenault-Labrecque et Chloé Dussault-Benoit, Frédéric Nabki, Pierre-Olivier Lemire et Laurent Dallaire témoignent de leurs expériences, et ils énoncent quelques conseils aux chercheurs qui voudraient prendre cette trajectoire, parmi lesquels :

  • Ne pas hésiter à aller chercher les ressources nécessaires à la concrétisation de votre projet auprès de votre université
  • N’ayez pas peur de présenter votre projet à des publics divers afin d'en arriver à bien le vulgariser et ultimement, à bien le vendre. La marche est grande entre le laboratoire et l’entrepreneuriat, mais il s’agit de la plus belle valorisation de vos recherches!
  • Démarchez un brevet avant la publication de votre recherche. Cela va souvent à l’encontre du réflexe des chercheurs qui sont jugés avant tout par leurs publications. Breveter avant de publier est souvent critique si une recherche possède un potentiel entrepreneurial, car ultimement dans plusieurs domaines, la valeur de la recherche passe par les brevets qui la protègent.

Le mot de la fin

De tout cela découle l’importance de soutenir les initiatives entrepreneuriales et de promouvoir l’éducation entrepreneuriale au sein des universités. Non seulement afin de faire s’épanouir les idées entrepreneuriales issues des recherches universitaires, mais aussi celles émanant des têtes créatives des étudiant-e-s universitaires, et ce à tous les cycles d’études. Plus important encore que les idées, il faut appuyer ceux et celles qui portent ces idées et les aider à passer de l’intention à l’action, et de l’action à la réussite.

De tout cela découle l’importance de soutenir les initiatives entrepreneuriales et de promouvoir l’éducation entrepreneuriale au sein des universités. Non seulement afin de faire s’épanouir les idées entrepreneuriales issues des recherches universitaires, mais aussi celles émanant des têtes créatives des étudiant-e-s universitaires, et ce à tous les cycles d’études. Plus important encore que les idées, il faut appuyer ceux et celles qui portent ces idées et les aider à passer de l’intention à l’action, et de l’action à la réussite.

Références :
  • Conseil des académies canadiennes (CAC 2018). Rivaliser dans une économie mondiale axée sur l’innovation : L’état de la R-D au Canada. Ottawa, Canada, Comité d’experts sur l’état de la science et de la technologie et de la recherche-développement industrielle au Canada, Conseil des académies canadiennes.
  • Innovation Science et Développement économique Canada (2016). Un programme d'innovation inclusif : état des lieux, Gouvernement du Canada. Rapport de l’initiative Bâtir un Canada prospère et novateur.
  • Schwab, K. (2016). The global competitiveness report 2016-2017. World Economic Forum.
  • Schwab, K. and M. Porter (2008). The global competitiveness report 2008–2009, World Economic Forum.
  • 1CAC 2018: 40 - http://new-report.scienceadvice.ca/index_fr.php
  • 2CAC 2018
  • 3Schwab and Porter 2008; Innovation Science et Développement économique Canada 2016 (https://www.ic.gc.ca/eic/site/062.nsf/fra/h_00009.html) ; Schwab 2016
  • 4https://www.globalinnovationindex.org/gii-2019-report
  • 5https://www.weforum.org/reports/how-to-end-a-decade-of-lost-productivity-growth
  • 6Horizons de politiques Canada liste 16 défis dans son rapport « La prochaine génération d’enjeux mondiaux émergents » : • Le travail à l’ère de l’économie numérique ; • La santé et le mieux-être à l’échelle mondiale au 21e siècle ; • L’émergence de la société asociale ; • L’évolution de la dynamique privilèges – marginalisation ; • Une meilleure vie, peu importe le genre ; • La vie dans des environnements difficiles ; • L’équilibre entre les risques et les avantages dans la nouvelle société de la surveillance ; • L’humanité+ ; • L’évolution de l’âge biologique ; • La vie en fonction de la capacité limite de la Terre ; • La contamination généralisée des milieux naturels ; • Des systèmes de gouvernance qui fonctionnent ; • L’évolution de la nature des conflits et de la sécurité ; • La vérité attaquée dans un monde postfactuel ; • La transformation des arts ; • L’érosion de la culture et de l’histoire.
  • 7Académie Canadienne du Génie (1998).La richesse par l’entrepreneuriat technologique, Rapport, Ottawa: 24p.

  • Catherine Beaudry
    Polytechnique Montréal

    Catherine Beaudry est est professeure titulaire au département de mathématiques et de génie industriel et titulaire de la chaire de recherche du Canada de niveau I sur la création, le développement et la commercialisation de l’innovation (Chaire-Innovation) à Polytechnique Montréal. Ses travaux portent sur l’économie de l’innovation et de son impact sur la performance des entreprises de même que sur l’évaluation de la recherche et du système de science et de technologie.

  • Fabiano Armellini, corédacteurs du dossier

    Fabiano Armellini, ing. D.Sc., est professeur agrégé au département de mathématiques et de génie industriel et responsable du groupe de recherche Gestion et Mondialisation de la Technologie (GMT) à Polytechnique Montréal au Canada. Préalablement à avoir son poste comme professeur, M Armellini a accumulé une expérience de 10 ans comme entrepreneur, en tant que praticien en gestion de l'innovation et en génie de développement de nouveaux produits. Comme chercheur, M Armellini est l'auteur à plus de 70 publications, y compris des articles à de revues scientifiques, des chapitres de livres, des rapports techniques et des communications de conférences. Ses recherches portent sur la gestion de l'innovation, l’entreprenariat technologique et le développement de nouveaux produits et services, avec un intérêt plus particulier vers l’innovation ouverte et collaborative et vers la gestion stratégique de la technologie au niveau de la firme.

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